Wednesday, September 29, 2021

Historique :


Yan Walther propose il y a un an à Yves-Noël Genod de reprendre au théâtre du Pommier deux de ses spectacles qui avaient été présentés en diptyque à l’Arsenic à Lausanne, Phèdre et Rester vivant, deux spectacles sur la langue française, celle de Racine et celle de Baudelaire dont on a relevé la proximité, deux langues monuments. Yves-Noël Genod renonce au Phèdre à cause d’une plus grande difficulté d’exécution et de l’indisponibilité d’un des artistes du son et de la lumière. Yan Walther propose alors à Yves-Noël Genod d’accompagner le Baudelaire d’une création : un solo qui raconterait ses spectacles anciens et les ferait ainsi connaître du public de Neuchâtel. Une présence live — celle du stand-up — qui permettrait aussi d’humaniser la proposition radicale et sublime du Baudelaire — intitulé Rester vivant — présenté dans le noir total. 


Mais cette création — dont le titre sera Qui m’aime me suive — demande bien sûr plus de travail et de présence dans le théâtre car Yves-Noël Genod, c’est sa particularité, ne peut créer ses spectacles qu’à partir des lieux. Beaucoup d’allers-retours donc et aussi la création d’une lumière. Un budget, bien sûr, qui dépasse celui d’un accueil. Philippe Gladieux, l’éclairagiste avec qui Yves-Noël Genod « co-signe » (on peut le dire) ses spectacles depuis une dizaine d’années propose pour le théâtre du Pommier — déjà transformé tout entier en boîte noire (gradin rentré) — d’amplifier cette sensation matricielle par la création d’un bassin d’un centimètre d’eau qui, permettant d’éclairer la voûte par réflection, en magnifiant ce qui est déjà là, montrerait l’« essence » du théâtre du Pommier, de façon à ce que le spectacle soit le poème du lieu. C’est toujours ce qu’Yves-Noël Genod espère quand il entre pour la première fois dans un espace ou un théâtre : faire du lieu littéralement son poème. Presque à la Mallarmé : « Rien n’aura eu lieu que le lieu » ; en tout cas à la Wallace Stevens : « Life is an affair of people not of places, but for me, life is an affair of places and that is the trouble. » (une affaire de lieux plutôt que de personnes). L’eau, c’est la vie (on a même dit que c’était la mémoire). On est à l’intérieur d’une cave, d’une grotte. On est dans la création-même. Les pieds dans l’eau pour raconter tous les spectacles d’Yves-Noël Genod (plus d’une centaine). Yves-Noël Genod, cet être résolument hybride, multiforme, certainement un phœnix. Ce comédien. Ce menteur en scène. On fabrique ensemble un spectacle comme un livre ouvert. Marguerite Duras disait que chacun d'entre nous peut « en écrire » — c’est le terme qu’elle utilisait —, à condition de tomber dans « le puit noir de l’arrière-conscience ». C’est ce puit noir (qu'elle appelait aussi la « masse noire de l’écriture ») que le théâtre, boîte noire (par définition) et cette scénographie qui la radicalise illustrent ou métaphorisent. L’idée en est venue (à Yves-Noël Genod, puis à Philippe Gladieux) parce qu’une source coule sous le théâtre du Pommier. Un cours d’eau qui peut menacer d’inonder. Un jour, en juillet, lors de la montée des eaux, du débordement des lacs, le directeur technique, Gilles Perrenoud a regardé grâce à un capteur placé dans une trappe, sous la scène, si le théâtre ne risquait pas l’inondation (comme c’est arrivé au moins une fois). C’est peu de dire que l’ancrage à Neuchâtel — c’est ainsi qu’il a toujours procédé : localiser les créations — représente pour Yves-Noël Genod tout l’enjeu de cette aventure et le tremplin de son envergure. On peut ensuite reprendre les spectacles dans d’autres salles, les adapter, mais la création, c’est du sur-mesure (comme dans un atelier de haute couture, « Je fais mes robes sur les personnes », disait Coco Chanel). Le dernier spectacle présenté en juillet au festival de la Cité, à Lausanne, et repris depuis dans divers lieux privés, une sorte de conférence, de conversation intitulée Vers le soir sur la poésie suisse, principalement celle de Philippe Jaccottet (de Moudon), de Gustave Roud (de Carrouge), de Rainer Maria Rilke (de Muzot), etc. en est encore une illustration : ne parler que de ce qui fait sens localement (c’est toute la difficulté car procéder ainsi, c’est aussi se confronter aux illusions de l’« identité »). Car à l’injonction poétique liée au lieu, il faut rajouter pour Yves-Noël Genod, celle des personnes humaines ou moins humaines. L’affaire de la vie n’est pas, pour lui, qu’une question de lieu, de ténèbres et de rencontres d’idées, mais aussi, quand même, de personnes. Le spectacle présenté en octobre 2020 dans la grande salle de l’Arsenic (gradin rentré) est, en ce sens, emblématique. Dans une installation plastique virtuose de Philippe Gladieux fonctionnant comme une agora (cosmique), dans la lumière d'un mouvement perpétuel et aléatoire,  uniquement le croisement improbable et naturel d’habitants de la ville et de ses alentours, parfois même rencontrés dans la rue, un cuisiner, une ballerine et sa mère et sa sœur, un boxeur, un Syrien migrant, un lanceur de drapeau et son apprentie, un Polonais en colère, un ado basketteur, un couple d’amoureux qui s’embrassent, un hauboïste, des vieilles dames, un maître-nageur, un paysan avec sa fourche et son foin, un jeune autiste très concentré sur des découpes de journaux, une Japonaise en costume traditionnel et sa fille, Une mère et son enfant en bas âge, une Américaine enthousiaste, une comédienne de Tchekhov, une autre improvisatrice, une autre comique, une danseuse contemporaine, un chanteur en boucle, un ami des plantes ayant apporté sa plante, un conférencier, un homme déguisé en chien, un livreur de pizza, un avocat, etc. De cette liste infinie, une sorte de troupe idéale s’est constituée par le hasard des rencontres et par le plaisir de se retrouver (la demande étant d’avoir au minimum une soirée de libre parmi les quatre représentations et les trois avant-premières, mais, bien sûr, les personnes qui trouvaient le plus agréable d’être là avaient tendance à trouver des solutions pour se libérer et revenir de sorte qu’à la dernière nous étions organiquement cette troupe).


Par cet exemple, nous voulons souligner qu’Yves-Noël Genod a trouvé en Suisse romande une résonance sympathique à son travail. Pourquoi ? Est-ce le hasard de la vie ? Est-ce que le fait d’être originaire du Jura français limitrophe y a sa part ? On peut sans doute le dire aussi. En tout cas, Yves-Noël Genod a donné, à Lausanne, d’abord aux Urbaines puis dans la programmation de l’Arsenic puis récemment au festival de la Cité de nombreux spectacles, en création ou en reprise (sans compter les projets qui n’ont pas abouti) depuis La Mort d’Ivan Ilitch, La Recherche (le spectacle sur Proust, repris aussi au théâtre Saint-Gervais, à Genève), Phèdre, Rester vivant (le spectacle sur Baudelaire) ; C’est le silence qui répond (pièce de groupe création automne 2020), puis, enfin, Vers le soir, au festival de la Cité, à Lausanne. (Un projet est en cours d’un spectacle sur Rilke à Sion).


Yves-Noël Genod avoue volontiers qu’il fait des spectacles pour « provoquer la lumière ». On pourrait avoir, au théâtre du Pommier, de cette intention, une réalisation particulièrement profonde (soignée). La lumière des Fleurs du mal sortie toute audible des ténèbres (noir total dans la salle) et la lumière humide de la vie-même, de la grotte matricielle et de la création.


« Même si la tristesse durera toujours, comme Van Gogh l’avait dit à son frère avant de mourir, la lumière ne cessera jamais. Tout tourne, tourbillonne sans cesse. Dans notre vie de tous les jours, les yeux essayent de retenir les flux et font sans cesse une image solide du monde, là où tout est subtil et se métamorphose à la vitesse du vent. » (Pacôme Thiellement, L’Enquête infinie)


L’équipe artistique

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N ouveau spectacle


C’est l’histoire d’un spectacle comme je les aime. Etat-de-l’apparition. L’histoire d’une rencontre… Je trouve le spectacle beau, merveilleux, mais, comprenez, c’est cette rencontre que je trouve merveilleuse. Le fait que, sur cette Terre, il y ait la possibilité — en fait, toujours — que quelque chose ait lieu, une surprise, quelque chose qui n’existait pas et qui se fait, se fait tout seul et pour toujours. Ça s’appelle une rencontre puis une autre puis une autre… Ça s’appelle aussi le Kairos, ce petit dieu grec du bon moment, représenté souvent par un adolescent qui passe et qu’on attrape — ou pas — par les cheveux (ah ! ces Grecs...) C’est exactement cela que je trouve merveilleux. Ce prétexte vivant de vivre. Ne pas manquer notre unique matinée de printemps. C’est pour cela, peut-être (que je réaffirme à chaque fois), qu’il faut sans doute appeler ce spectacle par son nom de baptême (qui est aussi son nom de guerre) : 

Une petite merveille 

Avec Raphaëlle Rousseau et Zakary Bairi

Deux nouvelles avant-premières sont proposées en entrée libre (et sans réservation) le lundi 4 octobre à 20h et le vendredi 15 octobre à 20h 

A Saint-Ouen, à Mains d’Œuvres, 1, rue Charles Garnier, salle Star Trek

Accès par la ligne 4, arrêt Porte de Clignancourt ou ligne 13, arrêt Garibaldi ou ligne 14, arrêt Mairie de Saint-Ouen. Compter 10 mn à pied ensuite

Une représentation payante (réservation conseillée) a lieu le samedi 16 octobre à 21h dans le cadre de la soirée Love Deluxe (12 € sur le site de Mains d’Œuvres et 15 € sur place, plusieurs spectacles dans la soirée, ouverture des portes à 18h)


(Photo DR)


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P rojet d'atelier


Ne manquez pas votre unique matinée de printemps


«  Ne manquez pas votre unique matinée de printemps » est une phrase que Vladimir Jankélévitch, dit-on, avait l’habitude de dire à ses étudiants (il l’a aussi écrite dans Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien *). Elle a, comme toutes les phrases de poète ou de philosophe une multitude de sens. Elle pourra certainement nous servir de bâton de marche pour ce workshop. Cette phrase, je viens de la découvrir (j’ai donné une performance récemment à propos de Jankélévitch), mais j’en ai plusieurs autres un peu semblables qui nous servent de viatique. Par exemple, une de Marguerite Duras qu’elle a mise dans une pièce, mais qu’elle prononçait souvent aussi dans la vie (j’étais là !) : « Si nous allions au restaurant, pour une fois que nous ne sommes pas morts ».   

Je peux transmettre des choses qui nous viennent du futur, qui nous viennent du passé, la vie est la même. Elle ne s’arrête pas. Mais elle traverse des métamorphoses, des personae, des morts et des résurrections… Claude Régy m’avait dit un jour que le théâtre, pour lui, c'était « le passage d’un instant à l’autre ». Revoilà Vladimir ! L’entre. Ce qui est en train de se faire, en train de surgir, ce qui est avant même le phénomène, « sur le point de ». 

Devenir ce que l’on est. Disons qu'il y a l'instant qui est le refuge. Mais, l'instant, on ne peut pas y rester. Alors il y a la solution du temps (à la crête de l'instant). « Pour être, disions-nous, il n’y a qu’à être et cela est bien plus facile encore que vivre, respirer, que dormir, que sais-je encore, attendre ! quels que soient les mots que je choisis, ils sont tous plus déterminés que « être » ; c’est pas l'être qui est difficile, mais ce sont les manières d’être, ce sont les modes de l’être. » Eh bien, nous ferons en sorte que cette facilité, cette rêverie, cette poétique soit présence dans l'espace (c’est souvent pour certains plus facile sur scène que dans la vie),

Yves-Noël Genod, 29/09/21

« Il n’est rien de si précieux que ce temps de notre vie, cette matinée infinitésimale, cette fine pointe imperceptible dans le firmament de l’éternité, ce minuscule printemps qui ne sera qu’une fois, et puis jamais plus.  »



Rémy Yadan me demande de préciser ce qu'il va se passer, si les étudiants devront performer (en tant que personne) ou / et s'ils vont apprendre à diriger, s'ils vont regarder des films, etc. Cela (ce programme, cette spécificité) ne peut que s'élaborer ensemble et j'aimerais même — ce serait l'idéal — directement avec les étudiants. Je n'ai pas de position magistrale. Je fais avec le bon moment, le contexte et la connaissance des besoins des étudiants pour lesquels vous me demanderez d'intervenir. En général, je propose une rencontre en amont pour justement décider d'une direction. Là, comme il s'agit d'une durée courte, cette réunion préalable n'est sans doute pas nécessaire...



Bio (1)

Yves-Noël Genod a toujours joué, mis en scène. Professionnellement il a d’abord travaillé avec Claude Régy puis François Tanguy (théâtre du Radeau). A partir de la pratique du contact improvisation, il déborde vers la danse avec une collaboration principale avec Loïc Touzé. Loïc Touzé lui propose, en 2003, à l’occasion d’une carte blanche pendant le festival Let’s Dance, au Lieu Unique, à Nantes, de fabriquer son premier spectacle. Ce spectacle intitulé En attendant Genod s’appuie sur le modèle des stand-up anglo-saxons. Les  commandes (toujours des « cartes blanches ») s’enchaînent ensuite, spectacles — plus d’une centaine à ce jour — et performances présentés le plus souvent dans des festivals ou des lieux de danse ou de formes hybrides. Un théâtre dont on aurait enlevé le drame, l’action et dont il ne resterait que la poésie, le fantôme, la trace. Yves-Noël Genod a travaillé avec de nombreux interprètes qu’on retrouve maintenant sur les plus grandes scènes et, dans ce sens, on peut dire qu’il a marqué une génération.



Bio (2) 

Yves-Noël Genod ne se présente lui-même que comme un « distributeur » de poésie et de lumière. Un « Dispariteur » (nom de son association). Pour certains il s’agirait d’un « théâtre de l’invitation », d’un « théâtre chorégraphié ». C’est en tout cas un théâtre qui veut faire de la place. Créateur d’inconnu, d’irréel, de chimères… il a pourtant le sentiment de n’inventer jamais aucun spectacle qui n’existe déjà. Ce comédien — ce menteur en scène — prétend s’effacer derrière une œuvre qu’il désire n’être que trace infime, mais dans l’optique pascalienne : « Nul ne meurt si pauvre qu’il ne laisse quelque chose ». 

Yves-Noël Genod a donné de nombreux workshops, toujours inventés avec les circonstances, mais toujours avec des titres et une ambition poétiques : Leçon de Liberté, Jouer comme Gérard, Casser une noix, Jouer Dieu, Fabrique de stars, Fellation et poulet rôti... Il en a donné plusieurs dans des écoles d'art, notamment à la Villa Arçon, à Cergy, à l'Académie royale des beaux-arts de Bruxelles, à La Cambre. Il demande de préférence des lieux vastes et beaux, avec une acoustique, c'est plus facile. Ces lieux existent, mais sont rares. Alors, il se débrouille. Mais c'est beaucoup une histoire d'architecture, la vie... Citons Wallace Stevens : « Life is an affair of people not of places, but for me, life is an affair of places and that is the trouble ».

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