« I n 37 years in the intelligence profession, I've never seen the world in a more dangerous state »
C’était un dîner un ville. Quelqu’un avait parlé d’un autre qui s’était écrié : « Ah, Modiano ! Ne me parlez pas de Modiano, c’est infect, c’est un salopard ! C’est absolument zéro, Modiano, une honte ! » Et, maintenant, je ne savais pas si je l’avais rêvé ou si c’était plus en amont dans le livre que je lisais (j’en étais presque à en tourner les pages). En fait, non, quelqu’un d'irrésistiblement méchant avait parlé de quelqu’un d'irrésistiblement méchant, enfin, tout le monde avait compris que c’était juste pour le plaisir de dire du mal en roue libre comme c’est toujours dans les dîners en ville réussis. Sentant l’ambiance décontractée, ouverte, moi, j’avais, pour apporter de l’eau au moulin, raconté la rumeur qu’on m’avait assuré vraie (mais que je n’avais jusque là jamais osé répéter) qui disait — de source sûre — et, là, je citais ma source — désolée, elle se reconnaîtra — qui m’assurait qu’elle le tenait de source sûre — que, vous savez, cette actrice iranienne dont j’oublie toujours le nom, oui, vous voyez, très belle, eh bien, elle serait avec machin ! Si ! Depuis deux ans. Et, là, ce serait même fini car elle veut un enfant de lui, et, ça, machine (la femme de machin) qui était d’accord pour l’amour n’est pas du tout d’accord pour l’enfant. Non. Ensuite, on était passé à autre chose. C'était touchant et décadent, ces dîners en ville, comme si le réel, pendant quelques heures, n'était plus une menace — ou peut-être, au contraire, plus que juste une menace, seulement une menace, une vague menace persistante à l'ancienne, la guerre pas encore entrée dans Paris. C’était bien sûr dans les cas où ça prenait bien, où tout le monde comprenait pour chacun le sérieux à éviter. Dire du mal (mais aussi du bien) de gens connus au petit bonheur la chance participait de cette détente. On me demandait quelles actrices incontournables il pouvait bien y avoir en France en ce moment (si même il y en avait). Je répondais sans faiblir, brave, pensant m'avancer en terrain sûr (car on avait rapidement évacué Isabelle Huppert aux urgences de ses disgusting campagnes Balenciaga) que j’aimais beaucoup Fanny Ardant. « Ah, non ! Quelle horreur ! Je déteste sa voix — et cette façon qu’elle a (et ceci, et cela...), ah, non ! Ne me parlez pas de Fanny Ardant ! » C’était toujours l’Italien qui parlait comme ça. Je l’adorais. J’étais prête à sacrifier Fanny Ardant (et d'autres encore) pour l’écouter. Il disait qu’il préférait vivre à Paris qu'à Rome. « Tiens donc, pourquoi ? — Parce qu’à Rome... (il cherchait) un repas comme le nôtre, voyez, eh bien, on parlerait de foot... un peu de politique... et beaucoup de voitures… » L’Américain assurait qu’il était content de rentrer en France, parce que, là-bas, à New York, quand on a envie de changer d’air, il n'y a rien. « D'ici, on peut aller partout, Berlin... Amsterdam... Lisbonne... c'est très bien, Lisbonne... l’Italie… » L’Italien disait : « Il y a aussi toutes ces villes de l’Est… » Budapest ? « Budapest, c’est très beau… » J’avais envie d’aller à Budapest à cause des bains. En hiver, j’avais envie de bains chauds, j’avais envie de faire le tour des villes d’Europe pratiquant encore les bains...
J’avais du temps cet hiver. Du temps pour mourir...
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