Saturday, March 01, 2014

A vec mon lapin Yuval


Photo Thomas Smith

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N ote aux acteurs (3)


Oiseau Dnt
Bonsoir ! Cet article me fait penser à vous…

— Tout à fait ! Merci ! C'est la deuxième fois qu'on me parle de Georges Didi-Huberman, la première fois, ça a été à Avignon, l'été dernier, pour « Disparaissez-moi ! », on m'a parlé de La Survivance des lucioles. Du coup, ça m'a permis de rentrer dans ces textes (j'étais passé à côté jusque là, je voyais pas trop...) Dans cette interview, beaucoup de choses que je vais transmettre aux interprètes...







« Devant l’image, Devant le temps : à l’image des titres de certains de vos livres, votre travail explore la question de la frontalité du regard, face au monde, à l’histoire, à l’art… Au fond, que regardez-vous derrière ces images et ce temps ? Du mystère, du politique, de la souffrance, de l’expérience, du poétique, des souvenirs, des rêves ?

Georges Didi-Huberman — Du mystère, du politique, de la souffrance, de l’expérience, du poétique… tout cela, et d’autres choses encore, sans doute. Mais ce n’est pas « derrière ». Le politique ou le poétique ne sont pas derrière les images, ils sont à même les images. Ils sont donc d’abord devant nous, au sens visuel (frontalité, être en face) comme au sens temporel (désir, être dans l’attente). J’ai aimé le mot « devant » — c’étaient les années 80 et 90 — parce que j’avais l’impression qu’il fallait à la fois une évidence et une longue initiation pour savoir regarder une image. Et l’initiation est loin d’être terminée. Regarder n’est pas une compétence, c’est une expérience dont il faut, à chaque fois, reformer, reconstruire les fondations.
La rencontre avec une image a d’abord lieu frontalement, c’est un moment extraordinaire, une rencontre avec les yeux, mais aussi avec le front, la bouche, les mains : c’est tout mon corps qui, tout à coup, tombe sur La Dentellière de Vermeer, par exemple (toute petite, bouleversante, inattendue). J’ai dit aussi « devant » parce que le discours iconographique et son côté « Sherlock Holmes » faisait, à l’époque de ma formation à l’histoire de l’art, comme si une image était une porte fermée qu’il aurait fallu, grâce à une « clé » – une clé d’interprétation –, savoir ouvrir pour en comprendre l’énigme, ce qu’il y a « derrière ». Mais il n’y a rien derrière un tableau de Vermeer ! Tout est là, rien n’est caché ! Le mystère n’est pas derrière la porte, il est la porte elle-même (si la porte est aussi belle et intéressante qu’un tableau de Vermeer). Voilà pourquoi il a été important pour moi, entre autres choses, de recourir à des descriptions phénoménologiques : pour raconter, aussi charnellement que possible, ces rencontres avec les images. »



« Les images ont souvent à voir avec les fantômes. En quoi ? Parce qu’elles nous hantent ? Nous effraient ? Parce qu’elles survivent à tout, y compris à la mémoire ?

— C’est ce que j’ai appris d’Aby Warburg, que je considère comme un penseur ayant eu, dans le domaine de l’histoire de l’art, le même type d’exigence que Nietzsche avait eu dans le domaine de la philosophie (ils ont d’ailleurs revendiqué tous deux le même « maître », Jacob Burckhardt, ils ont tous deux, à un moment, sombré dans la folie et ont été soignés par le même psychiatre…). Aby Warburg parlait de l’histoire des images comme d’une « histoire de fantômes pour grandes personnes ».
Cela coïncide avec tout ce que Freud a découvert dans le psychisme inconscient, tout ce que Marcel Mauss a découvert dans l’organisation des sociétés, tout ce que Marc Bloch a découvert dans les longues durées historiques. Au centre de la « science de la culture » inventée par Warburg, il y a, en effet, cette « survivance » (Nachleben) qui fait des images ces fantômes capables de traverser les frontières de l’espace comme du temps. Les images sont des migrantes, c’est comme cela qu’elles savent durer dans nos mémoires. Nos mémoires inconscientes, et pas seulement nos souvenirs, bien sûr. Nos désirs, et pas seulement nos mémoires, d’ailleurs. »



« Heureusement que toutes les images ne m’intéressent pas. Si c’était le cas, je serais sans doute moi-même devenu fou depuis longtemps… Il y a tellement d’images, il y en a trop, vous le savez bien, et elles ne s’accumulent souvent que pour tuer notre regard, offusquer notre vue, étouffer notre pensée… Il faut savoir choisir. « Savoir, c’est savoir trancher », disait à peu près Michel Foucault. Donc je choisis : non pas selon des critères correspondant à ce que je définirais comme des « bonnes images », mais selon des rencontres qui m’ouvrent tout à coup à une dimension inattendue de l’expérience visuelle. »

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