Sunday, February 01, 2009

Les mots d’enfant (la rencontre)

La rencontre

Hier première rencontre avec Clélie (quatre ans et demi, je le précise pour ceux qui allume leur machine juste à l’instant). Clélie est au moins aussi intimidée que moi : moi, je reste muet comme une carpe et, elle, se cache un bon moment derrière une porte, sous une couverture qui lui sert de cape ou dans les pièces de l’appartement où je ne me permettrais pas d’aller parce que c’est la partie de la colocataire de Pierre. Quand Pierre lui propose non pas d’embrasser (« On n’est pas obligé d’embrasser le premier jour. »), mais de dire bonjour, elle hurle (de derrière sa porte ou sa couverture) un long non plaintif comme si c’était la chose la plus inenvisageable, la plus atroce à envisager, plutôt mourir en se jetant dans le feu du sacrifice du haut d’un rocher dans sa robe grecque qui ne vieillira donc jamais. Quand, finalement, après des siècles d’indifférence de notre part (après tout, Pierre et moi, on a pu vivre sans Clélie jusque là), Clélie apparaît dans sa pleine lumière de femme, son plein feu et sa découverte, c’est Valérie Lemercier qu’elle m’évoque. Peut-être que toutes les petites filles évoquent (maintenant) Valérie Lemercier et que je n’en avais jamais vues…

Les mots d’enfant

Elle dit à son papa : « T’es mon jouet. » Comme la phrase m’enchante et enchante tout le monde et l’enchante, elle la répète plusieurs fois sur tous les tons. Je suis d’accord aussi pour imaginer Pierre comme un jouet. « Un grand jouet. », dit-elle. C’est une trouvaille.
En effet Pierre paraît si grand à coté d’elle. (Elle s’accroche à sa jambe, par exemple, comme nous avons tous fait, c’est super rigolo, ces grandes jambes…) Plus tard, tendrement : « Papa, tu peux m’mettre un p’tit dessin animé… » et je demande avec elle aussi « un p’tit dessin animé »… Comme le dessin animé ne donne le son que par intermittence (problème de machine), je propose de lire les sous-titres à haute voix. À un moment, elle me dit : « Tu veux pas arrêter un p’tit peu d’parler. » * Donc on regarde The Black Cauldron avec un bruit très lointain de brouillard de musique et de voix. Parfois une voix revient au premier plan : « Voici le cochon qui a des visions. », surprenante (pour disparaître à nouveau)…
Dans la rue, quand je sors, Pierre veut m’accompagner pour fumer une cigarette. Mais elle aussi ! On se retrouve donc dans le froid, à lire une histoire de l’ours brun qui veut pas manger sa soupe. C’est mignon, la p’tite famille ! La petite famille dans l’univers. On s’est donné rendez-vous pour aujourd’hui… On s’est embrassé en partant. On est amis.



* Un peu avec le ton de Miranda dans The Devil Wears Prada, vous savez, quand elle dit : « No, no. It wasn't a question. »

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« Mais quand cesseras-tu, Ovide, de gémir ? »

J’écris avec un certain acharnement sur le blog que vous êtes en train de lire. Il y a un moment où je n’écrirai plus (sur ce blog) qu’en recopiant des phrases de Pierre, je ferai du montage. Par exemple, là, la première phrase est de Pierre, la deuxième est de moi… Parce que l’essentiel a déjà été dit, je le pressens. Alors… Il suffit de faire tourner les mots dans des formulations heureuses… Et peut-être même de n’écrire sur rien. (Et des formulations heureuses, le blog ami en regorge, il en est même plein comme le ciel est, en fait, plein d’étoiles…) Le lectorat comprendrait peut-être que le blog est un blog sur rien, finalement… comprendrait plus clairement*. Vous lisez Pessoa (Le livre de l’Intranquillité) et vous écrivez comme Pessoa. Vous lisez Ovide et vous écrivez comme Ovide. Vous lisez Saint Augustin et vous écrivez, vous vous convertissez comme Saint Augustin**. Vous lisez Pierre et vous vous mettez à sucer sur l’aire (« l’ère ») d’autoroute***. J’ai rêvé cette nuit que le livre de Saint-Exupéry Lettres à l’inconnue (Un amour de Petit Prince) était en fait des conversations qui avaient été retranscrites d’appels téléphoniques de Saint-Exupéry. Je demandai : Il existait déjà le téléphone à l’époque ? (le téléphone portable, pensais-je).






* Marie Darrieussecq sur Les Tristes et Les Pontiques (Ovide) : « D’une syntaxe moins dense que ses textes précédents, ses lettres forment par moments un livre sur rien, obsédé par sa propre immobilité, un livre qui assiste à sa propre écriture en s’adressant à des absents. »

** Vous assistez à la mort de sa mère.

*** Vous prononcez mal le r parce que vous avez la bouche pleine.

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