Wednesday, June 23, 2021

Bonjour Gwendoline ! 


Très peu de temps pour te répondre en ce moment, j’ai une première à Lausanne le 6 juillet et rien n’est fait… Peut-être peut-on trouver dans les mails que j'avais envoyés aux élèves un passage assez général pour convenir pour ici (le leur demander, alors, de le choisir).


Ce que je peux dire simplement 


J’ai vu l’Ecole dans sa nouvelle version comme un atelier très riche, permanent, recevant les intervenants les plus doués du moment, autour de vingt étudiants choisis parmi des centaines, bref, un luxe fou : j’aurais aimé faire partie de cette vingtaine. J'en suis jaloux encore, l’école qu’on espère : une rêverie permanente et intense, sans faiblesse, sans dépression possible, sans états d’âme, mais une rêverie individuelle, mais portée, comme dans une troupe. (Bien sûr il y a des états d’âme (ce sont des comédiens et presque des enfants), mais il me semble qu’il n’y a ni complaisance ni cynisme ni temps laissé à ça, ça avance, ça ne stagne pas, chaque jour un matin.)

A partir de là, de cette bonne surprise d’être invité dans un cadre si porteur, tout a été facile. Tout était déjà intense quand je suis arrivé (au début de la deuxième année), tout était joyeux, talentueux, ambitieux, actif, alerte, diligent… Tout le monde était « là » dans cet espace de rencontre comme les gens se croisent dans le rêve d’un seul, étudiants et encadrement (vous, Laurent, Arthur), tout le monde réuni sur le même bateau — et ce bateau est bien sûr un théâtre en état de fonctionnement, en pleine santé, le meilleur et le plus vibrant de France : là aussi, luxe, jalousie, conscience d’être au bon endroit (je crois que c’est ça que j’enviais aux étudiants : d'être « au bon endroit »). C’est la force d’une école quand elle est projet, haute école, pas voie de garage ou d'attente. 

Rien n’a été plus facile que de travailler au TNB avec vous et les élèves. Je n’ai eu qu’à partager mon expérience, ma jeunesse, je n’ai eu qu'à apprendre avec eux ; moi aussi, j’ai été élève.

Le lieu me plaisait, le Paradis (et son nom !), j’y avais déjà joué. Au Paradis, on joue sur les genoux du public, c’est parfaitement intéressant. Le gros plan. Et de dérouler les steppes et la longueur des jours et des nuits dans un si petit espace. Antoine Vitez, il faudrait retrouver la citation, disait que pour représenter le monde, il fallait le faire sur un tout petit théâtre (c’était au moment du Soulier de satin où tout se jouait, en effet, sur une scène réduite, un radeau entouré d'un vide qui figurait souvent la mer). Ainsi, tout ce qu’on pouvait faire entrer de large au Paradis, nous l’avons fait. Je suis reconnaissant à Laurent de m’avoir suggéré Tchekhov, l'immense auteur. Au départ, j’étais censé aller où je voulais, où le vent ou les élèves voulaient bien me pousser, mais j’aime beaucoup, en fait, répondre à des commandes, surtout quand elles sont suggérées (comme celle-ci l'a été). 

Voilà une magnifique aventure — « aventure », pour moi, est proche du mot « promesse ». J’ai travaillé dans une réelle empathie avec les élèves qui sont devenus immédiatement ou peu à peu des amis. J’aimerais jouer toute ma vie ce J’ai menti au Paradis ou en tournée, vieillir avec, mais, comme le dit Peter Brook, « Dieu merci, notre art ne dure pas ». C’est parfois étrange, quand les choses sont belles, de ne pas les faire durer… Mais, Dieu merci, notre art ne dure pas…


Avec amitié, 


Yves-Noël 


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S cène de jury


Mes chers amis, 

Comme vous l’avez compris, je suis arrivé au jury, lundi, jour du solstice, avec beaucoup de ce stress qui ne m’a quitté que le soir grâce évidemment à votre soirée si amicale, l’une de ces soirées dont seule la Belgique a le secret. Je me suis alors dit qu’après tout, le but, le jeu de cette journée, ç’avait été exactement d’apprendre à survivre à une certaine tension, que c’était l'expérience que nous avions eue à vivre — et j’ai réintégré cette journée dans mon champ d’amour (je suis étonné des mots que j’emploie, mais comment dire ?). Toutes les relations que je crée, j’ai envie de les placer dans un rapport d’inconditionnalité, qu’elles soient éphémères ou durables. Cest pour moi lessence du théâtre qui m'anime et peut-être de la vie, est-ce que je sais ? Participer à un jury (pour la première fois) m’a donc mis dans une certaine complexité, ça m'a secoué. Parmi les cinq livres que j’ai lus, j’ai été — Dieu soit loué — comme un poisson dans l’eau chez Perrine, Adèle et Bartho (pourtant si totalement différents) et pas (le diable soit maudit) chez Chloé et Robin. Trois sur cinq. Je voudrais réaffirmer que ça ne veut rien dire. Je voudrais même dire que c’est peut-être plus fort de m’avoir déplu. J’ai impression de le constater. Ces deux textes me restent peut-être autant, peut-être même plus que les autres. Par exemple, tout à l’heure, rue de la Roquette à Paris, il pleuvait à seaux, j’ai vu une scène que décrit Chloé, que j’ai remarquée : cet homme sous la pluie en costard, à cause d’une phrase lue chez elle qui m’avait justement agacé (pourquoi ? mystère) : « Son costume gris virera au noir, sur les bras et les épaules, comme si la teinture s’échappait de son veston ». En effet, le costume gris rue de la Roquette à Paris virait au noir comme si la teinture s'en échappait, l'homme avait un air jovial — je ne laurais sans doute jamais remarqué, mais, après lavoir lu chez Chloé, je lai remarqué. Ce nest quun exemple. Chez Robin, c'est la scène du « stock-car », mot que j’ai appris, qui se mélange beaucoup, entre autres, à mes rêveries. Il est donc tout à fait possible que les livres qui maient agacé soient ceux qui me restent le plus. Cest absurde, mais c’est comme ça. Je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle j’ai rejeté le livre de Chloé et celui de Robin si ce n'est, tout simplement, la fatigue d’avoir à enchaîner cinq livres. Dans mon esprit, je me sens moins coupable envers, toi, Robin, parce que juste avant que je parle (si mal), le délicieux Théo m’avait dit — ouf ! — qu’il allait, lui, te soutenir ; mais, bon, Chloé, toi, tu t’es tout pris dans la gueule absolument sans raison. Mea culpa. Voila ce que je voulais vous dire. Bonnes vacances à tous ! Bravo encore à, toi, Keliane, d’avoir, dans ce stress général, su créer une île de vrai temps, vrai espace, vrai bien-être, vrai repos dont j’ai su profiter. (Je t’ai mis 20, du coup, parce que l’excellence est facile à noter, c’est 20.)

Bonne vacances à tous et au plaisir !

Yves-Noël

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