Tuesday, March 26, 2019

T he Storming of the Bastille


Choc au Nouveau Théâtre de Montreuil, Still In Paradise, le spectacle de Yan Duyvendack & Omar Ghayatt (jusqu’au 11 avril), pas complètement un spectacle, d’ailleurs (mais le mot « spectacle » est comme le mot « roman », il contient tout). En fait, cela ressort du « théâtre engagé », c’est-à-dire de ce que l’on voit partout maintenant, que ça (depuis que je n’ai plus de travail) (on vit vraiment l’âge d’or du « théâtre engagé »), au point que je me suis souvent dit que, moi qui déteste ça (moi qui pense comme Proust, pas comme Sartre), il faudrait que je me coltine d’en faire un, de spectacle engagé, pour voir comment, tiens, moi, je m’en sortirais... Eh bien, ce spectacle de l’Egyptien et du Hollandais, Yan et Omar, j’aurais été fier que ce soit précisément le mien. Même si pourtant je suis bien incapable d’avoir la patience et la ténacité — et l’endurance — et l’intelligence — et l'humilité — de l'avoir bâti. Je considère ce spectacle comme le mien. A cause de quoi ? A cause de l’ambiguïté permanente. Yan m’a expliqué que c’était une volonté, que faire un spectacle pour la tolérance et contre le racisme, le sexisme et l’homophobie, devant le public en circuit fermé du théâtre subventionné, convaincu d’avance, c’était comme pisser dans un violon, alors Omar et lui ont essayé d’aller dans des zones plus râpeuses, moins consensuelles. Et c’est très réussi. C’est comme un brainstorming, en fait. Que pensons-nous ? Où sommes-nous ? Quelles habitudes ? Exemple de ces zones d’ambiguïté ? A un moment, dans l’un des fragments (ça se présente comme une série de fragments d’agitprop qui changent d'un soir à l'autre selon le vote du public), c’est l’immigré d’Egypte qui explique à l’Occidental qu’il faut arrêter d’accueillir les migrants, qu’il ne faut pas aller à Calais, que c’est en Afrique qu’il faut aller aider, mais surtout pas en accueillant les migrants, que c’est trop dangereux, qu’ils ne s’intégreront pas comme les autres vagues d’immigrations l'ont fait à cause de cet ensemble inséparable de la culture et de la religion, que c’est une bombe à retardement. Hors ce n’est pas, ici, un discours d’extrême droite que l’on entend. En fait, l'on ne sait pas trop ce qu’on entend, ce que personnellement l'on entend. Ce n’est qu’un exemple, mais peu à peu l’on s’aperçoit — et le spectacle ne s’arrête pas, déborde et se déverse — qu’on est dans un rapport à une réalité très riche et complexe et que, cette réalité-là, on est en train de la vivre. Voilà, c’est un peu ça, c'est le piège d’un spectacle qui ne produit pas du spectacle, mais de la vie, de la vie qui se pense, mal ou bien, d’une manière chaotique sans doute, intelligences-naïvetés diverses, mais qui se pense...

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F amous


Il faisait si beau, cette deuxième journée officielle du printemps, c’était presque comme le printemps, c’était comme le printemps, on se croyait au printemps, on s’y croyait et, alors, après le cours de danse où le professeur proposait plus de « dimensions », plus de « profondeur », je suis parti à pied et je suis entré chez Perrotin. Le célèbre galeriste présente des tableaux somptueux d’un jeune peintre de quatre-vingt-deux ans. Un Japonais. La nature. Entre David Hockney et l’Art brut, pour aller vite. Ensuite je rejoignais le célèbre festival du Cinéma du réel pour un film fabriqué avec les rushes d’Une partie de campagne, le célébrissime film de Jean Renoir. Les rushes avait été déposés par le producteur dans les années soixante et quelqu’un, j’ai oublié son nom, en a fait un film qui est l’un des plus beaux films que j’ai vu de ma vie. C’est même bouleversant. Dans le film, on voit Sylvia Bataille. Tomber amoureux de Sylvia Bataille. Sylvia Bataille, c’est le printemps, la plus jolie jeune fille que j’ai jamais vue (ici, au naturel, en train de faire son métier et — de vivre). Sylvia Bataille était la femme de Georges Bataille qui a fait une psychanalyse avec Jacques Lacan et qui est tombée amoureuse de Jacques Lacan avec qui elle a vécu jusqu’à sa mort. Jacques Lacan a élevé Laurence Bataille, sa fille, comme sa fille et j’ai passé du temps dans sa maison à l’île de Ré où j’ai rencontré Héléna Villovitch à qui une amie à elle (la petite fille de Georges Bataille donc) avait prêté cette maison. Mais Jean Renoir, c’est aussi le fils d’Auguste Renoir, et alors c’est tout un monde de merveilles et de naïvetés qui s’éclaire et miroite...


« Les putains m’ennuient, les femmes du monde encore plus, et les autres… Non, je trouve ça trop dangereux. »

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I ntact comme Copi


« Copi, sans reprendre souffle, mettait dans le mille : immigrés, écolos, homos, zizi, herbe, exil, taule, travelos, mouise, chiens, douleur dite morale à se foutre une balle dans le crâne. Savoir-vivre, humeur claire. Les rires qui font respirer. Vraiment personne comme Copi n’a récuré jusqu’aux coudes, page par page, dessin par dessin, la merde des jours, personne n’est resté plus intact.  »

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« L a vie me calme »


En rentrant d’avoir vu — avec un grand plaisir — les jeunes de « 1er acte » (« issus de la diversité »)  que j’ai fait travailler — avec joie — avec Rachid Ouramdane début février à Grenoble et qui, là, à l’Odéon, montrait une fin d’atelier sur Tchekhov (et c’était souvent très bien !) (Tchekhov est inouï et c’est touchant de le voir renaître intact et frais comme du jour chez des jeunes qui peut-être n’en avaient même pas entendu parler l’an passé (j’exagère, mais, au moins pour l’un d’entre eux, j’en suis sûr)) — en rentrant donc, tard, dans le froid, après avoir déposé le Vélib loin car le parking proche est complet comme souvent à cette heure de la nuit et arrivant enfin dans ma rue, une image m’attire le regard : il est devant la porte, deux numéros avant le mien, avec une grosse valise à roulette, un sac — d’où vient-il ? depuis quand ? est-ce que la porte va s’ouvrir ? problème de code ? — et bien vêtu d’une parka à immense capuche bordée de fourrure comme ça se fait et, ce qui m’attire, c’est l’ombre de cette parka : on ne distingue pas son visage, un trou noir comme je l’avais désiré pour 1er Avril, aux Bouffes du Nord, et réussi en particulier avec Bertrand Dazin dans un costume de moine de Zurbarán, dans certaines lumières (de Philippe Gladieux) on ne voyait pas son visage sous la capuche, sa voix de contre-ténor sortait de l’obscurité mystique d’un trou noir, fantôme pur à la place du visage, j’avais dit à tous les acteurs cette phrase devenue célèbre  : « L’idéal, c’est des costumes avec personne dedans » — et le bref coup d’œil que j’envoie en passant à ce trou noir sous la parka qui me rappelle tout ce travail immense et inoubliable, je réalise soudain que c’est un Noir quand il en sort : 
« Tu veux ma queue ? 
— Quoi ? 
— Tu veux ma queue ? 
— Ouhlà… Non, je ne pensais pas à ça… 
— Nique ta mère. » 
Ah, c’est pas encore gagné-gagné, la belle soirée promise de l’intégration, me dis-je en grimpant les escaliers et en pensant enfin (peut-être) (esprit de l’escalier) à sa « queue » et aussi à — il faut certes que j'y pense de temps en temps — niquer ma mère

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