Sunday, January 05, 2020

L es Incidents


Je suis allée au cirque avant hier. Un bon cirque itinérant de province et j’ai beaucoup pensé à nous et à cette histoire d’incidents et de frottements avec le réel. 
Évidemment tout était fait pour que l’on sente que les numéros peuvent rater et surtout VONT rater et — plus ou moins finement — l’échec était mis en scène pour nous faire croire à l’accident et mieux nous cueillir quand ça réussit. 
Ça, c’est pas nouveau ! 
Mais mieux ! Il y a eu à un moment — après le numéro de l’otarie qui encourage le public à applaudir, actrice géniale —  coupure d’électricité ! Chapiteau plongé dans le noir ; les techniciens et dompteurs qui éclairent à la lampe torche un toboggan que l’on distinguait à peine rempli de petits pingouins. Dans le noir et le silence, l’assistante — qui avait malheureusement déjà placé les pingouins sur le toboggan — essayait tant bien que mal de les retenir de glisser mais les pingouins, eux, faisaient leur numéro quoiqu’il arrive, musique, pas musique, lumière, pas lumière, rien à foutre. Sur ce, le clown qui débarque en trombe pour faire applaudir le public impatienté en attendant que la panne soit résolue. 
Les enfants derrière moi qui spéculent  : « Mais non, c’est parce que, les pingouins, ils aiment que le noir ; c’est pour ça », « Mais non, c’est parce que, quand ils vont rallumer, y en aura mille ; ils sont en train d’en mettre plein sur le toboggan ». 
Finalement le courant revient, le chapiteau se rallume, la musique repart mais les pingouins avaient fait leur tour, c’était trop tard ! Et la dresseuse les rembarque en coulisses pendant que Monsieur Loyal — un peu dépité — conclut : « Et voilà, Mesdames et Messieurs, c’était la famille Pingouin...! » 
C’était le meilleur moment de tout le spectacle ! 
J’ai repensé à la phrase de Tchekhov sur les incidents au théâtre : j’aurais, en effet, pu payer le double pour voir un spectacle rempli d’incidents de ce genre. 

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P ompéi


« Ici, j’ai foutu avec les amis »

« Ici, juste ici, mon frère Destro et moi avons agréablement baisé deux femmes, deux fois chacun »

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L es Jours sont des fruits


« Les jours commencent et finissent dans une heure trouble de la nuit. Ils n'ont pas la forme longue, cette forme des choses qui vont vers des buts : la flèche, la route, la course de l'homme. Ils ont la forme ronde, cette forme des choses éternelles et statiques : le soleil, le monde, Dieu. La civilisation a voulu nous persuader que nous allons vers quelque chose, un but lointain. Nous avons oublié que notre seul but, c'est vivre et que vivre nous le faisons chaque jour et tous les jours et qu'à toutes les heures de la journée nous atteignons notre but véritable si nous vivons. Tous les gens civilisés se représentent le jour comme commençant à l'aube ou un peu après, ou longtemps après, enfin à une heure fixée par le début de leur travail ; qu'il s'allonge à travers leur travail, pendant ce qu'ils appellent « toute la journée » ; puis qu'il finit quand ils ferment les paupières. Ce sont ceux-là qui disent : les jours sont longs.
Non, les jours sont ronds. 
Nous n'allons vers rien, justement parce que parce que nous allons vers tout, et tout est atteint du moment que nous avons tous nos sens prêts à sentir. Les jours sont des fruits et notre rôle est de les manger, de les goûter doucement ou voracement selon notre nature propre, de profiter de tout ce qu'ils contiennent, d’en faire notre chair spirituelle et notre âme, de vivre. Vivre n'a pas d'autres sens que ça. »

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P erte de la fraternité


« Devenus profondément individualistes, au fond, ça ne nous gêne pas que la liberté des autres soit brimée dès lors qu’on respecte la nôtre propre. C’est-à-dire que nous avons perdu le sens de la composante proprement politique de la « fraternité » de la devise républicaine (qui est une notion de fraternité politique). Donc je pense que il est de fait que la société politique est en train de disparaître, cette société où l’on se soucie avant tout de la liberté d’autrui est en train de disparaître. »

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Titre pour tout, pour la vie : A divine Comedy

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On rentre aujourd’hui et on trouve dans le courrier la pile de 10 jours de journaux. Et je découvre que quand on fuyait l’hexagone, Claude Régy prenait lui définitivement la poudre d’escampette...
Il fallait que ça arrive, dira-t-on… mais on n’a pas pour autant à « s’y faire »...
Ça me fait vraiment de la peine et je t’embrasse, 
S

Oui, je sais que la mort naturelle des personnes âgées te fait peut-être plus de peine qu'à moi. Je ne sais pas, il doit y avoir en moi un vieux fond de métempsycose...  Il est magnifique le texte de Giono que Yann, ton cousin, a mis sur Insta en disant qu'il venait de toi, « les jours sont ronds », je vais l'utiliser à Rennes (je n'arrête pas de leur balancer le plus beau du patrimoine). L'enterrement de Régy est mardi, à 13h30, au crématorium du Père-Lachaise puis, plus tard, au cimetière du Montparnasse, ça m'embête de ne pas y aller, quand même, mais, je ne sais pas, je suis à Rennes avec une création dans 15 jours, ça annulerait presque une journée. Je vais voir... Yves-Noël (Ça m'embête aussi de ne pas être à l'anniversaire de Pascal le 18, là aussi, je vais voir. Si on a assez travaillé (ça peut arriver), je prends un train.)

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C 'est à signaler !

M olière


Cher Yves-Noël, 
Comment vas-tu ? Pardon de te répondre que maintenant, on a eu la performance de 48 heures, puis le bal de Noël, puis les fêtes, blablabla... J'espère que tes fêtes furent douces ! Bref, OUI, Andy Kaufman ! Génie ! comme The Office et cette équipe de comiques américains qui vivent au bord de leur propre esprit parfois. L'Amérique est un pays étrange, schizophrène entre la culpabilisation du puritanisme et la pression d'être libre du néolibéralisme. Tout ça va mal finir...
J'ai lu et transmis ton mail à la classe, merci beaucoup ! Voici l'adresse de Sarah Moschler au cas où : sarah@moschler.name
Quant à ce que je voulais te dire moi en réponse à ton mail, c'est que j'ai trouvé ton cours ABSOLUMENT, et je pèse mes mots, EXTRAORDINAIRE et le moment qu'on a passé ensemble précieux, précieux, précieux. 
Ta capacité à sentir et nous faire voir des choses de l'impalpable qu'on apprivoise sur un plateau m'a bluffée et je trouve très inspirant de travailler par le biais que tu empruntes. Comme si, l'impalpable n'avait plus besoin d'être justifié, mais pouvait juste sans effort être manifesté ou se manifester. 
J'aurais aimé être plus courageuse sur le plateau, mais en voyant comment tu travailles, je me dis que c'est pas vraiment une question de courage, plutôt une question de générosité. Soyons généreux dans ce que nous transmettons de ce que nous avons capté. Pardon, j'ai l'air un peu solennelle, mais je réfléchis en même temps que j'écris. 
Aussi, je fais que de penser à « littéralement et dans tous les sens ». J'ai l'impression qu'avec l'écoute globale que tu proposes, il n'y a pas de nécessité à faire dissocier le créatif du passif, le chaos de l'ordre, le monde s'en charge pour nous. 
Bref, c'était trop super ! 
A lire vraiment : c'est Eloge du risque, de Anne Dufourmantelle — je pense que ça va faire écho littéralement et dans tous les sens. 
Merci encore, à la prochaine ! Et que 2020 (nouvelle décennie, c'est fou) soit une belle année pour toi, 
Anouk



Merci beaucoup pour cet enthousiasme, chère Anouk ! C’est beau que tu parles de générosité (tu en as beaucoup, soit dit en passant). Je vais insister sur ce point avec mes étudiants de Rennes. Moins une question de courage que de générosité. Je réécoute un entretien radiophonique avec François Sureau et je recopie : 
« Quelle est votre idée de la liberté ? 
— C’est la vie. Et je vais vous dire, vous vous souvenez des Enfants du paradis, de Marcel Carné ? Y a un moment où un acteur demande à Arletty, il lui dit : « Vous êtes belle » et Arletty lui répond : « Je ne suis pas belle, je suis vivante ». Et, au fond, j’ai souvent pensé à ça. C’est la liberté qui nous rend vivants, nous, en tant que Français, en tant que nation, en tant qu’Européens, en tant qu’Occidentaux. C’est la liberté qui nous rend vivants. S’il s’agit d’établir la société des Aztèques où, au fond, nous craignons le déferlement et le retour des forces du chaos et nous voulons des policiers partout pour nous en préserver, nous pensons que la sûreté et la sécurité absolue sont la seule valeur qui tienne, eh bien, créons la société des Aztèques, mais cessons d’être Français. On ne sera jamais aussi bons que des Chinois dans le contrôle administratif. Et c’est quoi, être vivant ? pour une femme ou un homme comme pour une nation, c’est se tromper. Nous nous sommes souvent trompé. Nous avons fait la colonisation, une décolonisation médiocre, nous avons eu des régimes variés. On n’a pas fait ce qu’il avait fallu. Mais l’une des raisons pour lesquelles nous pouvons continuer à nous aimer, l’une des raisons pour lesquelles les gens continuent à nous aimer, c’est ce caractère vivant. Ce caractère vivant ne dépend que d’une seule chose qui est la liberté. Il y a une chanson de Béranger magnifique qui s’appelle A mes amis devenus ministres […] Cette chanson est magnifique, A mes amis devenus ministres, quand il dit : « De ce palais souffrez donc que je sorte », « La liberté s’offre à nous pour soutien ». « Je vais chanter ses bienfaits dans la rue. / En me créant Dieu m’a dit :  Ne sois rien. »
« Peut-on susciter l’amour ? Et y a une phrase de Molière comme ça — qui va paraître très anti féministe aujourd’hui — où il dit : « La grande ambition des femmes est d'inspirer de l’amour ». Voilà. Eh bien, je trouve que ça devrait être la même chose pour nous, pour chacun d’entre nous. Notre grande ambition devrait être, quand on se parle entre nous, quand on parle à tout le monde, quand on parle à nos enfants, quand on parle aux enfants des autres, quand on parle à ceux qui ne sont pas Français, d’inspirer l’amour de la liberté. Je pense que c’est une action individuelle, je pense que c’est quelque chose de très intime, je pense que c’est quelque chose de très profond. Nous devrions avoir une oreille plus fine pour ceux qui ne sont pas prêts, n’aiment pas, ne veulent pas, ont peur d’eux. Laisser parler entre eux ce sentiment de la liberté qui est, au fond, aussi puissant que le sentiment de l’amour et sans lequel il n’y a effectivement pas grand chose. Parce que l’expression de ce sentiment, c’est notre honneur collectif. »
Mes meilleurs vœux, 
Yves-Noël

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