Wednesday, August 12, 2015

« La scène quotidienne qu’il faut imaginer. »

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Bonjour Yves-Noël.
Un énième TGV qui me laisse le temps d’écrire un mail (et de rattraper tant de retards estivaux).
Je ne ferai pas aussi long, mais c’est agréable de te lire.
Je m’attarde sur quelques points de ton message. Je découvre un peu plus ton travail et ta manière de travailler.
Il va me falloir arriver dans le studio, pour m’y atteler sérieusement, il y a tellement de choses à gérer en dehors de celui-ci ! Pas toujours très ragoutantes.
Un peu de Fabrizio De André dans les oreilles (j’aime écrire mes mails avec le shuffle de mon iTunes ouvert) et c’est parti.
Donc.
J’ai lu La Cerisaie. C’est vrai que c’est incroyable ce déploiement de tout et de rien, de reste d’aristocratie (il y a du « Gattopardo/Le Guépard » un peu dans ça, non ?) et cette hache qui s’abat et rythme le temps de la fin… 
Je me suis attelé à Guyotat. C’est un peu « spécial » comme lecture de plage, ma foi… et je comprend que ça soit difficile.
Tu cherches « un danseur », j’en connais, au moins deux, qui pourraient être intéressés, veux-tu les rencontrer? Quels sont les spectacles sur lesquels tu en cherches — les dates/périodes ? Si tu veux les rencontrer, comment, quand, où — j’imagine au Point du jour ?
Des costumes, OK, je vais y penser… mais c’est vaste tant que je ne me suis pas attelé au studio… je n’ai pas dans l’immédiat de « personnage » auquel me rattacher, mais plutôt des ambiances, des atmosphères qui me parlent en terme de qualité et de mouvements… ou de chant. Des images comme à cette audition/rencontre en mai au TNP.
Au Pole Emploi ce matin, avec mon conseiller qui est fan de ton travail, je (et il) me posais(t) aussi la question de la situation administrative. C’est toi qui gère tout, ou tu as un intermédiaire qui te décharge de ça ? (contrats et autres).
J’ai une voiture sur Lyon, elle ne sera pas toujours disponible car je la partage avec d’autres, mais elle pourra peut-être dépanner si besoin des soirs de spectacle.
Je pourrais venir au point du jour entre le 24 et le 27 août. J’ai quelques autres affaires à régler sur Lyon, avant de commencer pleinement avec toi (et ce passage à Copenhague aussi, je reviens le 2 septembre), donc si tu as des préférences de jours, dis le moi et je m’organise.
Je me demande qui sont les autres « distribués », je vois des prénoms, je ne les connais pas, pas encore. J’ai hate.
Voilà pour aujourd’hui, ceci partira à la prochaine connexion. Poitiers, changement de train, je range mon ordi.
Bien à toi, à très vite.
A.



T’es gentil.
Tu sais, ces lettres s’adressent plus aux acteurs qui sont souvent assez vagues dans leurs ambitions (en tout cas, ceux qui affluent), pas pour toi. Et, bien sûr, c’est toi qui y réponds le plus, qui lis les textes… 
Pour les costumes, pour toi, je ne m’inquiète pas non plus, tout nu ou en slip, c’est déjà superbe. Alors pourquoi pas une, des, choses très belles en plus, des chemises de soie colorées, des couleurs de Bali qui volent au vent, qui permettraient d’amener des oiseaux, des papillons, des fleurs (à la Isadora Duncan) dans la lumière mystique de Philippe Gladieux, mais qui fait ça ? Kenzo, à une époque...
Entre le 24 et le 27, oui, c’est possible comme tu veux. Florence (qui fait La Cerisaie) arrive le 25 au soir et sera là pour le 26, 27)…
C’est bien, tu me fais connaître des choses très belles, Fabrizio De André… Il faut que je retrouve les morceaux de Liszt si beaux que tu m’avais fait connaître… Si tu as d’autres choses, tu peux y aller…
Oui, j’ai envie de rencontrer des danseurs. Des danseurs aussi avec qui tu aurais envie de travailler. Ou d’autres pour les spectacles où tu n’es pas. Peu importe les dates, de toute façon, je ne fais que me conformer aux disponibilités. La « disponibilité », au sens le plus large, est ce que je recherche. Tout le monde est à la fois tout le temps disponible et jamais, en un sens. Il faut mettre ensemble ce « toujours » (le plus souvent ignoré et cet artificiel — usurpateur — « jamais ».  
L’administration, oui, c’est moi. Je suis obligé de tout prendre sur moi car tout ce que je fais est illégal (les répétitions ne sont pas payées). J’ai quand même un bureau comptable pour les fiches de paye. La Drac m’a proposé de me donner une aide à la compagnie pour la première fois cette année, mais c’était soumis à l’obligation d’engager quelqu’un à l’administration. Il y a donc quelqu’un, Clément, qui travaille au Point du jour, tu le rencontreras, qui est payé 4000 €, sur une subvention de 25 000, et dont le rôle — et pour ce prix-là — est uniquement de réunir les pièces du dossier demandé pour toucher cette subvention. J’ai accepté en exigeant que son salaire, symboliquement, me laisse un peu plus que l’aide au projet de l’année passée que j’avais pu toucher sans administrateur (près de 20 000). Clément a aussi déposé un dossier à l’Adami et en déposera un à la Spedidam  pour les musiciens, mais je n’y crois pas. C’est un monde dont je n’ai pas l’intelligence (et je ne suis pas sûr que Clément l’ait), qui était déjà indiqué par Hamlet (c’est-à-dire par Shakespeare) comme l’une de raisons de se suicider (« the law’s delay, / the insolence of office »)
Depuis toujours j’ai fait ce que j’ai pu de plus beau, de plus grandiose avec l’argent que l’on me donnait. Il n’y a jamais eu de production. Gérard Depardieu m’a dit l’autre soir que c’était facile d’être riche. C’est sans doute vrai. Sans doute je tiens trop à ne pas connaître cette facilité…
T’embrasse, hâte de te retrouver, 
Yves-Noël

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L es Mots bleus


J’ai 304 amis en commun avec Edouard Louis, incluant Adrien Dantou et Vincent Dieutre, ça tombe bien, je viens de lire son livre En finir avec Eddy Bellegueule et il est sublime. J’arrive un peu après la bataille, tout le monde l’a dit et le livre est traduit dans toutes les langues, il va être adapté au cinéma, etc. Moi, je n’aime pas trop le contemporain, ça me terrifie, le monde de l’édition… Le plaisir que j’ai de lire des classiques, je ne le trouve jamais dans celui de lire des contemporains, c’est trop entravé, la société piétine trop les plates-bandes dans un livre contemporain, elle y prend son dû, il faut que ça lui plaise ou que ça ne lui plaise pas. Sauf Michel Houellebecq qui arrive à passer à travers tout, la personne de l’auteur contemporain me porte à la pitié. Ce n’est pas un bon sentiment, la pitié pour l’auteur, pour le lire. Mais Edouard Louis, ça non ! il ne me fait pas pitié, je l’admire comme un roi. Et puis j’ai tout un tas de nouveaux amis, tout ce peuple du Nord, si proche du réel, on peut le dire comme ça, même si ça fait bizarre, si proche de la vérité. (Bien sûr, si ces gens votent, ils votent pour Marine Le Pen.) Un nouveau royaume, un nouveau roi, un nouveau « territoire de la littérature », comme dit Edouard Louis. Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve.