Monday, May 03, 2021

e t tu reviendras avec ce que tu peux emporter entre tes mains, ces fleurs invisibles que tu as ramassées et bercées


Merci pour ta lettre magnifique. Tu es en grande forme, Olga. J’ai l’impression de comprendre très bien ce que tu dis — sans doute parce que tu l’exprimes bien — ou bien est-ce que tu as quelque chose à dire ? — ou est-ce le même mouvement ? Moi aussi, j’aime beaucoup l’Espagne. J’y ai été de temps en temps seul et je suis soulagé, là-bas, on me fiche la paix, personne ne mate, c’est délicat (dès que je repasse la frontière la dureté reprend — ah ! la France) C’est une grande chance que tu as de ne pas pouvoir te contenter des images, c’est ce qui te rend vivante et ce qui fera de toi une très grande actrice. Ce n’est peut-être pas toujours facile, on se sent différente, mais, que veux-tu, il vaut mieux être du côté de la vérité que du mensonge. Tu touches d’instinct cette vérité (le réel), c’est une grande chance. Ta vidéo est très belle, surtout la partie de la femme qui danse avec le masque végétal animal qui l’efface. J’ai regardé déjà plusieurs fois cette partie, tout à fait une image de David Lynch avec les petits sons électriques (c’est-à-dire sublime, je veux dire). Cette vision me fascine. Est-ce toi qui la joues ? Et j’imagine que c’est toi aussi qui dis le poème, je ne reconnais pas ta voix, tu as l’air de prononcer très bien l’espagnol. Tiens, tu me redonnes envie d’aller en Espagne. Avec la coiffeuse on part en vacances à la fin de la semaine, on pensait les Pyrénées, peut-être qu’on arrivera à passer. Je travaille peu, en ce moment, peu de projets, je veux dire. Je prépare un stand-up pour juillet à Lausanne. Tu sais, mon problème à moi, c’est que je suis incapable d’aller voir qui que ce soit ou même d’écrire un mail pour proposer quelque chose. J’attends que ça me tombe du ciel ! Bon, mais je lis, j’ai du temps pour lire — je lis des choses sublimes. Par exemple, Céline Minard. Ce n’est pas facile à lire parce qu’elle va partout, elle voudrait écrire même en plusieurs langues, elle est d’une gourmandise effrénée (alors ça veut dire, pour moi, chercher beaucoup de mots dans les dictionnaires et souvent encore ne pas les trouver…) Je lis très lentement, alors, c’est long (mais il faut que les livres restent inoubliables, non ?) Je veux tout lire, au moins les chefs-d’œuvre. Songe que je n’ai pas encore lu L’Idiot ni Don Quichotte ! C’est vraiment beau que tu parles de « pacte d’irrationnalité » avec l’Espagne. Ça, c’est artiste ! Tiens, une phrase du très étrange Alain Cuny que j’ai trouvée récemment : « Hélas, moi je ne peins pas, je ne sculpte pas, je ne fais rien, car pour moi le théâtre n’est rien ». C’était un homme tout à fait monstrueux, je l’ai croisé à la fin de sa vie, plein d’une immense bonté et d’un péché comme épouvantable, je crois. Il arrivait à faire croire que ses rôles le définissaient. J’allais tous les soirs (j’étais extrêmement petit) le voir dans des lectures qu’il faisait, je crois, à Bobigny. Je me souviens d’Artaud, Van Gogh, le suicidé de la société (je vois qu’on le trouve sur YouTube). Il devait y avoir Phèdre aussi ou bien… Sur YouTube j’aime aussi ce qu’il fait avec Gérard de Nerval, mais pas avec Charles Baudelaire (je fais mieux !) Gérard Philipe, c’était LE disque qu’on avait à la maison (Le Petit Prince). Je n’aime pas beaucoup Maria Casarès, hélas — sauf dans Les Dames du bois de Boulogne).

T’embrasse, 

Yves-Noël

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L a Délicatesse de Joël


Hello Yvno,

Joël Pommerat veut bien t’offrir une place, mais il dit que tu risques de ne pas aimer. Voici son message :

« bonjour Gildas  on a pas d’invite comme c'est un théâtre privé c'est le deal, zéro invite,  mais je veux bien offrir une place à Yves-Noël

seulement dis-lui qu'il risque de ne pas aimer, c'est très loin de la délicatesse de son théâtre

en tous cas s'il vient il sera pas obligé d’aimer... (donne moi une date)

amitié »

Voilà, dis-moi ce qui t’arrange comme date.

Bises

Gildas

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« Nous ne possédons rien si ce n’est la puissance et, peut-être, le talent de recréer, allongé sous un saule dans un fauteuil articulé, ce que nous avons soi disant déjà vécu. »

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B oucle lente


« Et j’ai regardé en boucle lente Les sept Samouraïs de Kurosawa qui est pour moi un des plus beaux films du monde. »

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« Comme le pointe Wittgenstein, « l’acte de comprendre une proposition du langage est beaucoup plus apparenté que l’on ne croit à l’acte de comprendre un thème en musique ». »

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J’ai vu quelqu’un de si beau aujourd’hui ! Comme toujours dans ces cas-là : ne pas oser le regarder. On voudrait le boire, le manger du regard et on a peur que ça se voit. Comment regarder sans que ça se voit ? Il faut imaginer — c’est ce que j’imagine — que tout le monde a envie de le regarder et qu’il n’est protégé par rien. Si, sa femme, très sympathique, qui m’a demandé si j'avais 1 € pour le casier et finalement son mec — probablement son mari, des jeunes mariés — avait trouvé la pièce « C’est toujours comme ça, il arnaque, faut faire gaffe » ; alors je lui ai dit : « Vous avez l’habitude », « Oui, je commence un peu à le connaître », a-t-elle consenti comme j’insistais. Moi, j’ai nagé et eux ont passé tout ce temps, ce même temps de ma solitude à se laisser bronzer au soleil sur les bords de la piscine. Comme il n’y avait personne qu’eux, on les a laissé, ou peut-être parce qu’ils étaient très beau et très amoureux. Quand je suis repassé pour ressortir, ils se touchaient par la tête, partis, en voyage, bercés par le mouvement subtil du quai flottant, mais, lui, que devait-il faire dans la vie ? certainement pas devant un ordinateur avec le corps si somptueusement athlétique, grand, de très, très petites fesses (on s’interdit de regarder) et une très petite tête (le nec plus ultra de l’érotisme, pour moi), mannequin certainement, mais sportif sûrement…  

« Nous vivons dans un monde plutôt désagréable, où non seulement les gens, mais les pouvoirs établis ont intérêt à nous communiquer des affects tristes. La tristesse, les affects tristes sont tous ceux qui diminuent notre puissance d'agir. Les pouvoirs établis ont besoin de nos tristesses pour faire de nous des esclaves. Le tyran, le prêtre, le preneur d'âmes ont besoin de nous persuader que la vie est dure et lourde. Les pouvoirs ont moins besoin de nous réprimer que de nous angoisser ou, comme dit Virilio, d'administrer et d'organiser nos petites terreurs intimes. La longue plainte universelle sur la vie : le manque à être qu'est la vie… On a beau dire "dansons", on n'est pas bien gai. On a beau dire "quel malheur la mort", il aurait fallu vivre pour avoir quelque chose à perdre. Les malades, de l'âme autant que du corps, ne nous lâcheront pas, vampires, tant qu'il ne nous auront pas communiquer leur névrose et leur angoisse, leur castration bien-aimée, leur ressentiment contre la vie, l'immonde contagion. Ce n'est pas facile d'être libre : fuir la peste, organiser les rencontres, augmenter la puissance d'agir, s'affecter de joie, multiplier les affects qui expriment ou enveloppent un maximum d'affirmations. »

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V ieille ville et nouveaux faubourgs et banlieues des banlieues


« On peut considérer notre langage comme une vieille ville : un dédale de ruelles et de places, de maisons neuves et anciennes, et de maisons pourvues d'ajouts datant de différentes époques ; et tout cela entouré d'un ensemble de nouveaux faubourgs avec leurs rues rectilignes et leurs maisons uniformes. »

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T orrent de boue


Mon cher petit ami, 


Des nouvelles du Front me sont parvenues, que je te transmets, d’abord de la radio, quelqu’un parlait de Guillaume Dustan et disait : « Y a une oralité chez lui, un mélange des genres. Il est capable finalement de passer d’une description très personnelle, sexuelle ou sentimentale à une réflexion politique. On peut y trouver des choses épouvantables comme des choses sublimes. Dustan, c’est de la matière en fusion. Cette forme explosive est liée pour lui profondément à l’autobiographie, c’est-à-dire à l’écriture de soi ». Ça m’a rappelé nos affaires. Sans doute effrayé de mettre un peu reconnu dans « matière en fusion », j’ai réfléchi à nos différences, Dustan et moi (oui, oui, il y en a). J’ai pensé, pour résumer, que j’étais plus eau (torrent) et lui plus feu (volcan). Mais voici qu’aujourd’hui, par un autre biais, je tombe sur l’étymologie du mot « torrent » (Dictionnaire merveilleusement historique d’Alain Rey) ; eh bien, ça vient de la même racine latine que « torréfier » et « torride », tu vois ça ? Torrens, c’est le participe présent de torrere « faire sécher, dessécher » plus souvent employé avec le sens de « faire sécher au feu, consumer » (au physique et au moral). Ça remonte à plus ancien encore, à la racine indo-européenne °ters qui signifie « sécher » et qui, exprimant la notion de soif (je saute une étape), a donné par exemple l’anglais thirst. Torrens a été d'abord adjectivé en latin au sens de « brûlant » et de « désséché » (d’où le latinisme torrent : « torride ») puis substantivé pour  désigner, au début donc de l'histoire du torrent, un cours d’eau faible, irrégulier, enclin à se dessécher (sens voisin du mot arabe « oued »). Se répandant hors du domaine méditerranéen, notamment en Gaulle, le mot latin a sans doute continué à désigner un cours d’eau irrégulier, mais, au moins en montagne, rapide, violent et jamais asséché. Merveille, non ? J'avoue ne pas m'être replongé dans le multiple et merveilleux Guillaume Dustan (savais-tu qu’il était à l’ENA — sous un autre nom — dans la promo de Jean Castex ?) car j’ai encore trop à faire des 2500 pages (sur papier bible) des cochonneries infiniment merveilleuses elles-aussi d’Arthur Dreyfus que je lis à petites lampées parce que je suis long et lent comme tu le sais et que je mourrai avant…

Des bises en attendant, 


Ton Yvno


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