e t tu reviendras avec ce que tu peux emporter entre tes mains, ces fleurs invisibles que tu as ramassées et bercées
Merci pour ta lettre magnifique. Tu es en grande forme, Olga. J’ai l’impression de comprendre très bien ce que tu dis — sans doute parce que tu l’exprimes bien — ou bien est-ce que tu as quelque chose à dire ? — ou est-ce le même mouvement ? Moi aussi, j’aime beaucoup l’Espagne. J’y ai été de temps en temps seul et je suis soulagé, là-bas, on me fiche la paix, personne ne mate, c’est délicat (dès que je repasse la frontière la dureté reprend — ah ! la France) C’est une grande chance que tu as de ne pas pouvoir te contenter des images, c’est ce qui te rend vivante et ce qui fera de toi une très grande actrice. Ce n’est peut-être pas toujours facile, on se sent différente, mais, que veux-tu, il vaut mieux être du côté de la vérité que du mensonge. Tu touches d’instinct cette vérité (le réel), c’est une grande chance. Ta vidéo est très belle, surtout la partie de la femme qui danse avec le masque végétal animal qui l’efface. J’ai regardé déjà plusieurs fois cette partie, tout à fait une image de David Lynch avec les petits sons électriques (c’est-à-dire sublime, je veux dire). Cette vision me fascine. Est-ce toi qui la joues ? Et j’imagine que c’est toi aussi qui dis le poème, je ne reconnais pas ta voix, tu as l’air de prononcer très bien l’espagnol. Tiens, tu me redonnes envie d’aller en Espagne. Avec la coiffeuse on part en vacances à la fin de la semaine, on pensait les Pyrénées, peut-être qu’on arrivera à passer. Je travaille peu, en ce moment, peu de projets, je veux dire. Je prépare un stand-up pour juillet à Lausanne. Tu sais, mon problème à moi, c’est que je suis incapable d’aller voir qui que ce soit ou même d’écrire un mail pour proposer quelque chose. J’attends que ça me tombe du ciel ! Bon, mais je lis, j’ai du temps pour lire — je lis des choses sublimes. Par exemple, Céline Minard. Ce n’est pas facile à lire parce qu’elle va partout, elle voudrait écrire même en plusieurs langues, elle est d’une gourmandise effrénée (alors ça veut dire, pour moi, chercher beaucoup de mots dans les dictionnaires et souvent encore ne pas les trouver…) Je lis très lentement, alors, c’est long (mais il faut que les livres restent inoubliables, non ?) Je veux tout lire, au moins les chefs-d’œuvre. Songe que je n’ai pas encore lu L’Idiot ni Don Quichotte ! C’est vraiment beau que tu parles de « pacte d’irrationnalité » avec l’Espagne. Ça, c’est artiste ! Tiens, une phrase du très étrange Alain Cuny que j’ai trouvée récemment : « Hélas, moi je ne peins pas, je ne sculpte pas, je ne fais rien, car pour moi le théâtre n’est rien ». C’était un homme tout à fait monstrueux, je l’ai croisé à la fin de sa vie, plein d’une immense bonté et d’un péché comme épouvantable, je crois. Il arrivait à faire croire que ses rôles le définissaient. J’allais tous les soirs (j’étais extrêmement petit) le voir dans des lectures qu’il faisait, je crois, à Bobigny. Je me souviens d’Artaud, Van Gogh, le suicidé de la société (je vois qu’on le trouve sur YouTube). Il devait y avoir Phèdre aussi ou bien… Sur YouTube j’aime aussi ce qu’il fait avec Gérard de Nerval, mais pas avec Charles Baudelaire (je fais mieux !) Gérard Philipe, c’était LE disque qu’on avait à la maison (Le Petit Prince). Je n’aime pas beaucoup Maria Casarès, hélas — sauf dans Les Dames du bois de Boulogne).
T’embrasse,
Yves-Noël
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