Thursday, August 15, 2024

L 'Abnégation des acteurs


Je suis de nouveau dans une maison bien connue — après tant de voyages — et je regarde un film de Federico Fellini. Il pleut. Les roses trémières sont sublimes. C’est le 15 août. J’ai appris qu’elles étaient entièrement comestibles. Mais pourquoi les manger, elles sont si belles. J’ai vu la famille. Les enfants sont les plus beaux — et les vieillards. Cette maison est fausse. Hélas, je commence déjà à déprimer. Rien de ce qu’on aurait pu n'y a été vécu. Rien. Elle est comme toute effacée par rien, par elle-même. Une mouche vole, elle est juste, elle. Envie de la tuer pourtant. Ma cousine — qui est médecin — me fait remarquer sa différence de taille d'avec sa mère ; elles étaient de la même hauteur, maintenant sa mère a une tête de moins. « Elle a cassé toutes ses vertèbres. » Je lui dis que j’ai l’impression de m’être tassée depuis mon accident, elle me demande : « Combien de vertèbres tu t’es cassées ? — 2. — Alors, tu as perdu 2 cm, c’est 1cm par vertèbre… » Ça me fait un choc (comme toujours la vérité). Marie-Thé (la mère) me dit que, petite, quand elle voyait toutes les vieilles minuscules, elle pensait qu’elles redevenaient bébé et se remettaient à grandir ensuite sans passer par la mort, dans un cycle éternel. Bobo m’a fait venir dans un camping d’Auvergne, parmi des amis, à La Chaise-Dieu, pour me présenter sa nouvelle copine, une Australienne métisse très belle (mère chinoise), mais, le soir de son arrivée, il était seul, elle venait d'apprendre qu’une de ses amies était morte à Sydney et avait voulu passer la nuit seule, il l’avait déposée dans un hôtel. Cette nuit-là (ça semble si loin déjà) était presque la nuit des étoiles (le 12 août) et nous avons eu le projet de sortir les matelas pour y dormir ensemble, à la belle étoile. « Cette nuit, tu m’as tout à toi », m’a-t-il dit et j’ai rapidement épuisé mes vœux en l’attendant sous une pluie de feu d’artifice (au plafond profond) — puis je me suis endormie. Les renards aiment à s'introduire dans les lits ensommeillés. Le matin, à 8h, il a voulu la rejoindre. Mais on l’a empêché de monter : « Ohpopop, c’est pas un hôtel de passe, ici… — Mais je veux juste l’aider à porter ses bagages… — On connaît la chanson ! » Hôtel près de l'abbatiale. Ça m'a émerveillée que des gens soient encore si purs, si tradi, si intransigeants. Dans le film de Fellini, il y a la joie de ces figures si vivantes, si remises, rendues à la vie et, parfois, la tristesse (la mélancolie) de voir que ce ne sont que des figures. Comment être meilleur ? Le diable et le bon Dieu doivent s’épauler. Ce matin, sur la route, avec ma mauvaise radio, j’ai entendu la fin d’une messe enregistrée : « Dieu qui nous aime tant ». Bien sûr, on comprenait — en tout cas, moi, je comprenais — que c’était faux, Dieu-qui-nous-aime-tant, mais je comprenais aussi que ce faux, cette croyance était aussi une manière de vivre dans la dignité, une nécessité (si on voulait bien le reconnaître). Marguerite Duras avait dit que c'était la plus belle invention de l'homme (Dieu). La nuit dernière, j’ai dormi près d’un ruisseau et d’un buisson de mûres choisis par Jean-Ba. Je voulais regarder un film avec Gena Rowlands qui est morte dans la nuit (du moins l’a-t-on appris ce matin). Je pense souvent beaucoup de mal des actrices de cinéma, je les déteste (en fait, presque autant que le cinéma), mais, bien sûr, il y a, pour moi, des exceptions — et peut-être est-ce pour tout le monde pareil, on n’aime pas les actrices en général (il y en a tant et elles sont prêtes à tout pour travailler : elles font pitié), mais on a son panthéon, on en aime certaines exclusivement. Anna Magnani, Gena Rowlands... Toute la vie : on ne s'en souvient pas ; à la fois une mauvaise et une bonne nouvelle. On ne se souvient pas de l'histoire de sa vie, pas plus que de l'histoire du monde. Possible qu'on ait vécu plusieurs vies, oui. Je suis près de la mer, je ne la vois pas ; il y a du crachin et il y a la maison. Intervista est l’un des derniers films de Fellini ; comme sa vie a passé vite ! Et comme il en a mis, de sa vie, dans ses films ! Et tous ces figurants qu'il a immortalisés. Je suis tellement « province », je suis dans une folie tellement province, délivrez-moi ! Les mouettes, le son des mouettes, comme au cinéma. Il n’y a pas le Bien et le Mal, il n’y a que le Bien. Quelle pitié d’écrire en français ! Le cinéma ne fixe pas seulement tous les gestes, mais aussi la lumière. C’est la lumière réelle qui rend les corps, les visages vivants. J’avais roulé, j’avais été heureuse sur la route. J’avais écouté une émission sur les quasars et une autre sur l’Homme de Néandertal — et aussi une longue émission, « Book Club », avec un personnage étonnant que je n’avais pas reconnu malgré ma concentration parce que le son est déformé avec cette radio de voiture. C’était comme un immense sketch — par ex, de Thomas Poitevin. Jamais on ne prononçait son nom. A la fin seulement, l'animatrice avait dit : « Pascal Rambert pour les présidentielles ». J’étais estomaquée ! Bien sûr j’avais pensé à lui, mais à ce point, non, pas à ce point. Il faudrait que je réécoute l’émission avec un meilleur son pour voir si l’effet comique perdure*. La vis comica. Je n’ai plus rien à faire. Je vais écrire un livre qui s’appellera : Admirer admirer...




*  Hélas, non