Thursday, April 15, 2010

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Long récit (en plusieurs titres)

(en cours)



L'entendement des plus cons



Je descends dans la rue velue de sang



Un ange, le visage sur la nuque



Le Cercle des acteurs discrets

Kean.

J'ai rien compris à ce qu'il se passait (j'étudierai demain), mais j'ai compris que cet acteur faisait ce que je fais sur Frankenstein, du grand-guignol. Passer d'une citation de théâtre à une autre pour le plaisir de fréquenter des choses puis d'autres et de détacher le sens de la représentation (le sens a plus besoin des spectateurs que des acteurs). Un rôle magnifique que ce Kean constamment en scène. Mes amis Anne de Queiroz et Nicolas Bouchaud me le disent à l'entracte : "On a pensé à toi tout le temps." Moi, je pensais à Felix, bien sûr, qui, pour moi, est du niveau de travailler avec Castorf (pourquoi ne le fait-il pas ?) et à Thomas parce qu'il pourrait, lui-aussi, en donner une version intéressante. L'acteur allemand est d'une virtuosité absolue. A l'entracte, je n'ose pas en à dire trop de bien. Je cherche un mot et je le trouve pour parler de celui à qui on me compare : " Oui, il est bien... calibré !" "Un bon poulet.", dit quelqu'un. "Oui, un bon poulet."

Après l'entracte, je propose à Benjamin Bodi de venir s'asseoir à côté de moi, dans l'intention de le tripoter, mais je n'en fais rien : je ne peux plus toucher les garçons, je pense tout de suite à Pierre. Et j'ai cette réflexion : il serait temps que je me remette aux femmes, les garçons, c'était Pierre.

Tant d'espace dans ma poitrine, tout l'Odéon. Je suis assis au centre, à l'orchestre et quelque chose dans la poitrine est vaste et contient un théâtre.
Sauf que je me demande comment cet acteur fait pour apprendre tant de texte. Je me retourne plusieurs fois pour vérifier s'il n'y a pas de prompteur - pourquoi n'y aurait-il pas un prompteur, après tout ? - à quoi bon apprendre ? - et, après tout, nous lisons bien aussi le sens sur les surtitrages...
Il s'est passé quand même plusieurs heures pour cette ouverture dans la poitrine - et encore n'est-ce pas parce que je t'écris ? A la première partie, j'étais embêté, j'avais oublié mon stylo à la librairie (la vendeuse s'en était servi pour rédiger la facture que je lui demandais), je l'ai retrouvé à l'entracte. J'ai acheté un livre d'Antoine Vitez parce que j'avais pensé à lui en venant à vélo. Il disait que ce qui lui faisait le plus plaisir dans son transfert de Chaillot à la Comédie Française et donc, à l'époque, à l'Odéon où il avait entraîné avec lui toute l'école, c'était la beauté du quartier. Je me souvenais de moi aussi, je me souvenais que cette phrase m'avait frappée, je me souvenais que, moi, j'étais sensible à la beauté du quartier, mais, moi, parce que je n'avais rien à faire, j'errais dans les rues toute la journée alors... mais ça m'avait paru un peu faux qu'un homme si occupé avoue une sensation si vivante. A l'Odéon, en feuilletant le livre, j'avais des souvenirs plus précis encore. J'étais ému de me rendre compte à quel point Antoine Vitez nous prenait au sérieux. Et il avait raison : au moins la moitié de cette promotion fait une carrière exceptionnelle, dirige maintenant les théâtres nationaux, etc. Mais, à l'époque, comme j'étais petit, troublé et misérable ! Seule Marguerite Duras m'avais pris sous son aile. Marguerite Duras que, justement, ça, il ne la comprenait pas, lui, Antoine Vitez. Il essayait, mais alors, ça, non, c'était pas ce qu'il faisait le mieux. Par ailleurs, quel génie dans son rapport aux hommes, au monde ! Oui, ce dont j'avais la sensation à l'instant était juste : c'était quelqu'un qui prenait considérablement au sérieux ses élèves. Il prenait au sérieux le théâtre, l'art, l'humanité et les gens. Il écrivait L'Ecole avec un grand E, L'Ecole d'Antoine Vitez. Il aurait préféré qu'on l'appelle "maître" - en cela, il aurait eu raison.

Nicolas Bouchaud m'a dit aussi, à l'entracte, que cette langue... - il y pensait toujours - Nuit et Brouillard - qu'il avait honte d'y penser toujours et qu'il se demandait si c'était lui. Non, moi aussi. L'arrière-fond des chambre à gaz dans le théâtre allemand, c'est peut-être ce qui fait sa force. D'autant que j'ai en ce moment la douceur et le raffinement de la langue anglaise dans les oreilles (avec Frankenstein). Moi, j'ai dit que je trouvais cet acteur - je cherchais le mot - bien "calibré", comme un poulet - oui, c'est ça, un bon poulet. Je m'étais dit pour me dédouaner de l'ambition, que, voilà, ce serait ça qui m'empêcherait de jouer comme ça : le calibrage, c'est à dire, assurer, assurer tout le temps, action, action, action et apprendre le texte, mon Dieu ! et la jeunesse qui me manquait, bon... Mais après tout, aussi, bien dirigé, pourquoi pas, bien dirigé, c'est à dire : laissé libre. il y a une phrase de Thomas que j'adore dans l'opérette, c'est : "Jonathan, je te laisse, je te laisse en roue libre, Jonathan, vas-y."
Enfin, donc, il a fallu du temps dans la poitrine - et ce nouveau carnet à couverture souple et ce stylo qui glisse sans bruit comme un patineur, pour que la langue allemande ne produise plus son effet "Nuit et Brouillard". Et ça a été les applaudissements. Et je me suis tourné vers le plafond de Masson, tandis que les acteurs prenaient en photo l'assistance chaleureuse et que l'acteur principal, Alexander Scheer, faisait le geste du cœur qui bat avec ses deux mains qui battaient sur sa poitrine nue et maculée de cendre et de sang pour jouer Othello et Le Christ (c'était leur dernière).



L'époque où on ne pouvait pas photographier les visages









Je trouve un stock de disques déversé sous le soleil, un carton éventré. le disque - est-ce Duras ? - titre : Aurélia sous le soleil.



Helena, souffle oppressé, disparaît dans un angle

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Guy Degeorges sur C'est pas pour les cochons !

(...)
Heureusement, deux heures auparavant, Kataline Patkai et Yves-Noël Genod ne nous avaient pas posé de lapin. Les cochons étaient de retour à Artdanthé, un anniversaire offert comme un beau cadeau d'au-revoir pour cette fin de festival. Je goûte ce moment qui revient, d'une délectable inconsistance, le temps évaporé en volutes. Plein de riens qui apaisent. Kataline, Yvonnick Muller béat et leur ménagerie semblent glisser sans toucher terre en cet éden et entraînent autour eux une irrésistible douceur, par nappes et rêveries. La neige fond doucement tout au fond flou des paysages d'hiver et Y.N.G. plane quelque part derrière nous au micro dans la salle, en retrait. On croirait par moment qu'il n'ose parler, muet comme une carpe, chuchote à tout prendre. Je repense à cette évidence que je formulais la veille en compagnie de deux écrivains de romans : le texte de théatre se nourrit de silences. La nouveauté de ce texte-ci est éventée, mais les redites s'offrent simples et modestes. Les notes de piano de Pierre Courcelle se perdent en cercle, le lapin, le chat et autres bestioles de la ferme se promènent, quant à eux, sans affolement sur la scène calme. La curiosité ne tue pas le chat. Kataline est nue, Kataline est belle. D'une dangereuse candeur. Sa voix douce, nouvellement assurée. La beauté, comme la nature, est cruelle : Kataline plume un pigeon, désosse un civet. Suscitant l'indignation de certaines, mais les chiens aboient et la caravane passe : elle le plume avec tendresse. Puis elle revient, contre son sein un petit homme qui était absent l'année d'avant, on ne peut résister au suprenant partage de cette intimité, ce bonheur osé.

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