Thursday, May 11, 2017

D ans un sens donc


« Dans un sens donc, les connaissances des plantes ne nous manquent pas : nous disposons d’une quantité inouïe d’informations sur leur vie, leurs formes, leurs propriétés. Mais ces connaissances sont tout d’abord éparpillées entre mille disciplines et savoirs et surtout elles ne sont jamais prises à la lettre. Elles ne sont pas l’objet d’un déni mais d’un refoulement épistémologique. La science biologique, de ce point de vue est responsable dans la même mesure que les sciences humaines. Ou peut-être, la raison principale de ce refoulement est le grand mysterium disiunctionis de leur séparation, l’obsession folle qui nous pousse à séparer — des deux côtés — les sciences naturelles et les sciences humaines et sociales. Car, reconnaître que l’homme n’est qu’une des infinies espèces animales qui peuplent l’univers (comme Darwin nous a appris à faire) ne signifie pas seulement reconnaître que tout ce qui humain est naturel : il signifie aussi et surtout que tout ce qui existe naturellement est un fait spirituel, participe du logos, de la raison, et de tout ce que l’homme exprime, incarne et articule selon les formes propres à son espèce. L’esprit est partout, car il n’est pas un attribut de tel ou tel espèce, mais l’être du monde. Il ne s’agit pas de combattre le darwinisme, mais au contraire de le prendre à la lettre, de montrer que nous n’avons jamais été suffisamment darwiniens, et qu’il y a beaucoup de conséquences de l’intuition darwinienne qui effraient encore les humanistes mais aussi et surtout les scientifiques. Dans son refus de reconnaître la spiritualité de toute la nature la science contemporaine reste une forme archaïsante d’humanisme. »

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Image de Rémi Artiges

U ne espèce de Jurassic Park


Mon amie Laure Mayoud m’a demandé d’écrire quelques lignes sur mon rapport à la beauté. Eh bien, je ne crois pas que la beauté puisse soigner le monde. Ou alors il y a des contre-exemples. Francis Heaulme n’a-t-il pas vécu dans une Cité Radieuse ? Je ne crois pas non plus que l’artiste doive être placé au cœur de la société comme Laure le pense. Je ne le souhaite à personne d’être placé au cœur de la société. Les hommes politiques ou les chefs d’entreprise me terrifient. Au contraire, je conseille les marges, les fuites (Eloge de la fuite, de Henri Laborit), les pauvretés, les écarts — « Nul ne meurt si pauvre qu’il ne laisse quelque chose », écrit Blaise Pascal — et, c’est vrai, le métissage. C’est là que je rejoins Laure, ma merveilleuse amie. Le métissage, ça ! c’est autre chose. C’est un partage. Et le théâtre, c’est ça, c’est un partage. C’est l’impur. Ou : la pureté qui flirte avec l’impur. C’est des mariages vivants entre un peu n’importe quoi et n’importe quoi d’autre. Et alors, bien sûr que c’est ce qu’on peut appeler la beauté, en allant vite, parce qu’on a bien peu de mots et très usés pour les plus importants. La beauté, le bonheur, la raison. Arthur Rimbaud, le poète fuyant (adolescent) a réussi à réhabiliter des mots de ce genre. Ce que fait Laure dans l’intimité de son cabinet et dans le dehors de la ville, c’est ce que je fais dans les théâtres, c’est vrai, c’est : « Un cœur n’est juste que s’il bat au rythme des autres cœurs ». C’est elle qui m’a appris cette citation de Paul Eluard. C’est la définition du théâtre. Je ne parle du théâtre que parce que c’est mon petit boulot, mais je suis conscient que c’est plus large. Plus vaste. Ici, je suis à l’île d’Ouessant. Ici aussi, un cœur n’est juste que s’il bat au rythme des autres cœurs. Il y a les plantes, les petites bêtes, les poissons. Les pierres. Ici, on voit l’archaïsme. C’est-à-dire qu’on voit que si l’homme n’existait pas, ce serait absolument pareil. Le paysage. Presque exactement pareil. Et l’on ressent, je ressens, que c’est juste. Juste, pas faux, parce que : un cœur n’est juste que s’il bat au rythme des autres cœurs. La pierre, la vague, milliards de petites perceptions qui se métissent. Je ne sais pas ce que j’écris, mais je demeure au fond de mon lit parce qu’aujourd’hui, c’est la pluie. Nous sommes sortis sous la pluie, c’est si beau, mais nous sommes trempés. Il faudrait des vêtements cirés, bien cirés, comme les Anglais ont. De marque Barbour. J’aime la barbarie, la violence de cette île. Je t’embrasse, Laure,  très affectueusement, Yvno

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