Wednesday, May 23, 2018

L e vent l'emportera



Labels:

Non, ne cherche pas de manières différentes par rapport aux différentes natures de tes textes. Laisse les textes (mais c’est vrai, ça demande une grande énergie) agir d’eux-mêmes. C’est-à-dire qu’ils ont leur propre vie, leur propre monde sur lesquels tu ne peux pas vraiment agir. Ça t’oblige à un dédoublement, à un double dédoublement même. C’est comme si c’était une autre (« Je est un autre ») qui les avaient écrits et, deuxièmement : tu n’en as rien à foutre. Parce que ce qui compte pour toi au moment où tu les dis, c’est de vivre, toi, ta propre expérience vivante du présent, donc — apparemment — rien à foutre des textes, apparemment détachée, c’est le meilleur moyen de les servir. Donc une énergie qui soit à la fois une énergie de construction et de destruction. Enfin, il y a un mot pour ça : « déconstruction ». (Le correcteur d’orthographe écrit « décontraction », je suis d’accord aussi.) Il faut être rusé, tu le sais bien, en art, à toutes les étapes, et même sur scène. Virginia Woolf parle très bien de ça dans la conférence dont je vous ai parlé (sur YouTube), je cite de mémoire : « Les mots aiment qu’on pense, mais surtout pas à eux »… Exerce-toi à penser à tout autre chose qu’à ce qu’ils disent. Laisse-les dire ce qu’ils veulent et, toi, pense à autre chose. Je te conseille de ne pas choisir tes textes, travaille tout et — idéalement — tu sors du chapeau, si tu as droit à seulement vingt minutes, ce qui te vient sur le moment. Sinon, en travaillant, d’instinct (mais pas mental, pas réflexif), tu sentiras ce qui s’imposera de soi-même quant à la circonstance. Enfin, moi, c’est comme ça que je ferais, l’instinct — car l’intelligence, Proust le dit et le redit, n’est rien : « à tout moment l’artiste doit écouter son instinct, ce qui fait que l’art est ce qu’il y a de plus réel, la plus austère école de la vie et le vrai Jugement dernier »  (le texte entier de ce passage du Temps retrouvé, je pense, si tu tapes « Proust livre intérieur »).
Moi aussi, je me réjouis de te revoir et même de te pousser dans tes retranchements. Mais tu peux trouver l’énergie et te préparer. C’est une confiance en toi à acquérir qui ferait que tu n’en aurais, au fond, rien à foutre… Je suis sûr que tu vois ce que je veux dire. C’était déjà très bien ce que tu faisais, mais, peut-être, comme on dit « un peu sage ». On voit que tes textes, sur le papier, sont plus ouverts (comme tous les textes, d’ailleurs ?), plus libres et que le sujet est peut-être (toujours ?) cette liberté (qu’on appelle parfois folie), l’esprit.
Bien à toi, 
Yves-Noël

Labels: