Wednesday, February 12, 2014

L 'Ecrivain


François Esperet… Roman Pinösch… J’arrive le premier à la pointe de l’île Saint-Louis, ce soir, place Aragon, puis au café Saint-Régis, rue Jean Du Bellay, puis Alice puis Roman Pinösch, il est avocat — et mannequin ? je lui demande. Avocat de crime ou d’affaire ? Les 2. Il a fait Science-Po avec Aurélie. Il a une femme, un enfant de 6 mois qui s’appelle Albert, il est catholique pratiquant. François Esperet, il a travaillé dans la police pendant 6, 7 ans, avant il avait fait Normal-Sup, maintenant il travaille à la mairie de Paris pour Bertrand Delanoë, il a une femme et 6 enfants, il écrit des livres, il est catholique pratiquant, il est jeune comme s’il n’avait pas encore vécu (Roman Pinösch aussi est jeune). Il parle de la liberté. J’ai envie de lui demander : la liberté, c’est Dieu ? On enregistre l’émission d’Aurélie dans la voiture, l’émission est en faux-direct, elle passera lundi. Je suis là pour lire 2 extraits du texte de François Esperet qu’il a appelé Larrons (en référence aux larrons qui entourent le Christ) qui est un poème magnifique à partir de la langue des voyous, de la racaille, il faudrait faire les accents, il me dit en effet qu’il les entend, les accents, les voix, lui, mais qu’il ne veut pas lire, il n’aime pas lire ses propres textes. Je le fais donc, mais mal. Sentiment de mon inopérance. Alors quand Roman Pinösch dit : « Le hasard est la Providence des imbéciles », je ris très fort et je dis : « C’est moi ! » Il le dit parce que François Esperet dit que si son texte était une chanson, il serait une chanson  de Bob Dylan, par ex, Joey, tirée de l’album Desire et qu’Aurélie dit : « C’est incroyable parce que nous avions pensé à une chanson pour l’émission et c’est justement celle-ci ! » Alors elle la passe dans l’auto-radio. Ça me rend fou de joie, le hasard, alors Roman Pinösch dit : « Le hasard est la Providence des imbéciles ». Moi qui n’ai jamais cru en Dieu... Mais la phrase importante, celle que je note ds mon carnet au moment où elle est prononcée est celle-ci, de François Esperet : « Moi, je me suis toujours pas résolu à faire moins bien que les personnages des livres que j'aime. » Une expression qu'ils ont dite ensemble et qui me revient ce matin : « Il fait un froid de gueux ». Il y avait aussi qqch d'autre qui m'est revenu hier avant de m'endormir, mais que je n'ai pas eu la force de noter... il y avait 2 choses.

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R erun : Jouer Dieu


L'Afdass de Lyon n'a pas compris le texte de présentation publicitaire et le titre du stage que je vais donner au mois de juin. Il s'agissait donc de réécrire un texte — plus explicatif, mais pire, en un sens (plus dur à comprendre). Un autre titre aurait été possible : Le Stage secret



Jouer Dieu
Rêver les mondes pluriels

« Ce que nous sommes tous est totalement illimité et le choix est infini. Mais le rôle est limité et il n'a pas de choix. »

Il ne faut pas entendre par « Jouer Dieu » un caprice mégalomaniaque aux relents sectaires car il s'agit là d'une chose concrète (jouer) et ambitieuse (Dieu) qui ne peut avoir d'autre nom que d'absolu. Tout le travail de ce stage sera de sortir de l’idée d’apprentissage pour se situer dans une dimension métaphysique. Que les stagiaires goûtent directement l’essence de leur art. L'acteur n'est pas l'objet, mais la source même ; il n'y a rien à faire pour « être » : l'acteur doit être cette source.

En décalage avec la méthode Stanislavski qui cherche à atteindre un réel, ici le réel est déjà là et estompe toute distinction entre « être » et « faire ». L'enjeu pour le stagiaire est donc de se rendre disponible à ce qui lui arrive, mais surtout à l’immédiat déjà là. L’inconnu. C’est l’intérêt de Dieu. Dieu veut jouer. Le travail consistera à autoriser la liberté à sortir de sa boîte. (Boîte spirituelle et dorée, mais boîte – crânienne – tout de même.) La liberté est le maître-mot. Je dis toujours aux acteurs que j’emploie que le spectacle sera perçu comme une leçon de liberté – ou non. Expérimenter que cette liberté n’est pas une notion abstraite, mais, au contraire, l’art même de l’acteur est l’un des objectifs de ce stage. Qu’elle est même peut-être la seule chose qui soit vraiment spectaculaire. Elle est ce sur quoi l’acteur peut (toujours) compter. Ce à partir de quoi on l’appréciera. Elle est cette puissance que l’acteur ne doit jamais trahir et la raison qu’il a de faire ce métier.

L’ambition de ce stage posée, on entend très bien qu’il ne saurait être question d’un enseignement professoral duquel l’élève tirerait une technique ré-utilisable. Ce que nous tenterons est bien plus fragile et frivole, mais aussi plus exigeant. C’est à la fois très sérieux et très léger. C’est à la fois facile comme tout et impossiblement difficile. De cette manière, ça ne se trouve que dans la joie. Pas dans l’effort. La disponibilité ne se convoque pas, ne se travaille pas, c'est un état d'être-monde (et non « d'être au monde »). Mais la disponibilité est déjà là et c’est en même temps la seule « technique » de l'acteur. En ce sens, l'ambition de ce stage — comme technique — est réutilisable à l'infini. J’aime les acteurs parce qu'ils sont les savants du monde. Tout le monde joue, mais les acteurs en font l’étude. Ils sont, par définition, en présence du plus grand acteur qu'on ait jamais connu : la vie. C’est ce genre de notion et de considération qui sera abordé dans ce stage. Non pas l’amour du monde, mais l’amour du jeu. Le jeu qui joue le monde. Qui joue au monde. La Source veut jouer. Et ces quelques lignes posées cavalièrement montrent aussi que ce stage ne peut s'adresser qu’à des personnes douées de pleine santé psychique et capables de s'accorder – par avance – ces plus grandes libertés. Acteurs expérimentés ou, tout au contraire, jeunesse au sortir de l’adolescence. Le fou et l’handicapé peuvent aussi être des stagiaires merveilleux. J’ai déjà travaillé avec un plaisir sublime avec des stagiaires handicapés mentaux et physiques (à l’invitation d’Emilie Borgo), mais ça ne sera pas, ici, le contexte. A l’Hostellerie de Pontempeyrat, le contexte sera professionnel. Ce qui n’exclut pas le plaisir, mais l’exige. Il s’agira pour tous d’un temps d’expérimentation éloigné des villes et rapproché de la nature. Comme une retraite (bonnes conditions de concentration). Le groupe sera constitué — d'après les demandes reçues — de manière à établir une cohérence, une cohésion. Par exemple, cela pourrait être un groupe homogène d’acteurs de beaucoup d’expérience, ou alors de débutants. Ou peut-être un mélange, un troisième choix. Le programme d'expérimentation sera adapté à ce choix de distribution. Pour me faire comprendre, je vous donnerai cet exemple : la non-distinction entre faire et être dont je parlais plus haut n’apparaît qu'à partir d'un certain niveau. Pour les débutants, cette distinction s’avérera au contraire parfaitement utile. 

Ce qui est demandé au stagiaire : principalement le goût de travailler avec les autres. Toute virtuosité est ardemment désirée, mais la virtuosité solitaire n’est rien. Même si j’aime travailler avec les comédiens seul à seul, de manière à établir une confiance, ce n'est jamais (ou très rarement), l'aboutissement. Comme disait Louis Jouvet : « Le théâtre commence à deux. » Il est souhaité également que les stagiaires soient, autant que faire se peut, déjà en familiarité avec les grands textes du répertoire, et viennent, si possible, avec des textes sus et travaillés en amont. Répertoire classique parce que nous partirons du postulat que les scènes les plus jouées le sont parce qu'elle sont les meilleures (loi du marché) et qu’elles touchent donc, en lien direct, à l'essentiel. Il est également demandé aux stagiaires d'apporter sur place tout costume, accessoire, maquillage, référence littéraire, cinématographique ou musicale (livre, dvd, cd) qui pourrait permettre la délivrance d’un résultat rapide — même si nous nous chargeons, de notre côté, de fournir aussi costumier, maquillages, matières, lumières, etc. Il s'agira, pour cet essai métaphysique de travailler très concrètement les manières d’être au monde et très concrètement aussi avec de la dramaturgie (toute dramaturgie) et toute l’intelligence disponible. Quand on s'occupe de l'essentiel, la forme (le style) importe peu, car le style ou la forme n'existe pas en tant que tel, mais comme apparence. « Le théâtre est une des ces ruches où l'on transforme le miel du visible pour en faire de l'invisible », disait aussi Louis Jouvet (pour rester en sa compagnie). L'amour des formes en tant que telles (conventions) sera donc proposé aux stagiaires comme étude. Pouvoir passer d'un style à l'autre est l'un des objectifs de plaisir de ce stage. L'unité étant l'essentiel (et le sérieux), la disparité des apparences se présentera comme un merveilleux terrain de jeu ou, en un sens, tout, absolument, est permis. Je terminerai, pour me faire comprendre, par une dernière citation de Louis Jouvet : « Le théâtre est le désordre incarné et pour faire l'éloge du théâtre il faut commencer par faire l'éloge du désordre. » Cet ordre-désordre, ce chaos plein de puissance et de nuance s'appuyera sur les auteurs qui en ont le plus parler (de l'essentiel) : Shakespeare, le premier, Calderon, puis tous les autres. Les langues étrangères sont les bienvenues, les accents, l'imitation, la danse et le chant ainsi que tout talent particulier à chacun, bien entendu (cirque, etc.) Ce travail expérimental d’improvisation sera aussi recueilli par la caméra. La confiance que les enregistrements image et son peuvent apporter nous seront très utiles. « Jouer, c’est improviser. » (Bob Wilson).

Il s’agira de ne pas s’occuper des problèmes (qui ne sont que l’apparence de problèmes) pour tout de suite aller à l’essentiel : jouer. Jouer Dieu. Pas sa marionnette. Jouer, laisser jouer, sa liberté et sa vie, pour toutes les formes. 

Yves-Noël Genod (Propos recueillis par Arnaud Bourgoin.)

Yves-Noël Genod vient de présenter une opérette à France Culture (ACR du dimanche 25 avril, à 23h, encore en écoute et en podcast sur Internet). Il est l’auteur, à ce jour, de trente-cinq spectacles et d’un nombre non répertorié de performances. Son travail est présenté dans les festivals de formes nouvelles (Les Inaccoutumés, Etrange Cargo, Let’s dance, Artdanthé, actOral, TJCC, Agitato, Marseille Objectif Danse, Montpellier Danse, festival d’Avignon, Compil’ d’avril à Bruxelles, Trans à Genève, Xing à Bologne…), mais aussi par le Théâtre National de Chaillot (2009). Il a reçu les éloges de la presse nationale, « Libération », « Le Monde », « Télérama », « Les Inrocks », « Mouvement », « Danser », « Têtu », « Pref Mag », « Elle »… ainsi que de nombreux sites et blogs sur Internet. Citons, parmi les critiques, celles de Rosita Boisseau, Fabienne Arvers, Jean-Pierre Thibaudat, Philippe Noisette, Florence Broizat, Marie-Christine Vernay, Maïa Bouteillet, Marie Plantin, Jean-Marc Adolphe, Laurent Goumarre, Gérard Mayen, Eve Beauvallet, Sophie Joubert, Arnaud Laporte, Gwénola David, Bruno Tackels, Eric Vautrin, Antoine Hummel… France Culture l’a souvent invité à s’exprimer. Il a travaillé avec des dizaines de comédiens et danseurs, certains parmi les plus reconnus : Audrey Bonnet, Jeanne Balibar, Jonathan Capdevielle, Thomas Scimeca, Marlène Saldana, Kate Moran, Felix M. Ott… Et, parmi les danseurs : Julie Guibert, Julien Gallée-Ferré… Parmi les chanteurs : Renate Jett. Il reçoit chaque semaine au moins une dizaine de demande de travail de la part de comédiens et danseurs. Il a déjà donné plusieurs stages dont l’un d’une durée d’un mois à Berlin dans l’école de danse Tanz Hütz. Parallèlement, il poursuit une carrière de comédien et de danseur avec d’autres compagnies. Il a travaillé pour Julie Brochen dans une pièce de Tolstoï où il avait comme partenaire Valérie Dréville. Il jouera au mois de mai prochain au Théâtre National de Belgique à Bruxelles (KunstenfestivaldesArts) sous la direction de Claude Schmitz (Mary, mother of Frankenstein). Et il se présentera cette année en solo au festival d’Avignon (à la Condition des Soies) pour Le Parc intérieur.

Yves-Noël Genod a été formé par quelques-uns des plus grands maîtres du théâtre français : Antoine Vitez, Claude Régy, François Tanguy. Il a fréquenté à cette période Marguerite Duras dont il a beaucoup appris. Il a étudié la technique Actors Studio avec Blanche Salant. Il est parvenu à la danse en l’étudiant avec les improvisateurs anglo-saxons (Julyen Hamilton, Mark Tompkins, Steve Paxton, Simone Forti, Lisa Nelson…) ainsi qu’avec Didier Silhol. Il a travaillé le chant avec l’américaine Linda Wise. Il se forme actuellement en danse classique avec l’américain Wayne Byars ainsi qu’à la technique Alexander avec l’italienne Luigia Riva. 

Arnaud Bourgoin l’assistera pour ce stage. Acteur de formation, il initie sa pratique théâtrale auprès de Danielle Tétart puis plus tard au Conservatoire d'Art Dramatique du Mans. A cette époque, il joue et met en scène Le Naufrage d'Eric Westphal, il interprète La Noce chez les Petits Bourgeois, de Brecht, mise en scène par Pierre Sarzack, Les Messagers, de Christian Caro et Gilles Auffray, mise en scène par Didier Lastère, et Les Travaux et les Jours, de Michel Vinaver, mise en scène par Eric Derouet. Il suit de nombreux stages auprès notamment de Didier Bardoux et de François Tanguy. Il obtient un baccalauréat littéraire option Théâtre et poursuit ses recherches scéniques en s'intéressant à la danse contemporaine et au travail de Brigitte Asselineau et Daniel Dobbels. Il prend part à leurs créations, Au-delà le temps manque et Florilège, en tant qu'interprète. Il obtient une licence en Arts du Spectacle Théâtre à Paris X-Nanterre puis un master en Esthétique de la Danse à Paris VIII-Saint-Denis. Il travaille alors avec Laura Fanouillet en tant que chorégraphe/interprète sur les créations Radiographie, Cinq corps dans un paysage urbain et Religion d’un corps saint au Théâtre de Nanterre et au festival Palimpseste de Jussieu. Il est comédien dans Tentation d’oiseau de Ghislaine Avan. Aujourd'hui, il s'associe avec Amandine Bigot, Laura Fanouillet et Estelle Gautier et créent ensemble le collectif: E[s]T. De là est né le projet Viandox qu'il met en scène et chorégraphie. Dernièrement, il a assisté Yves-Noël Genod pour Hamlet.

Il faut qu'il y ait un frigo avec des bières.
Et de la musique. 
Et des caméras.
Et un technicien en tout.
Des animaux et des costumes. 
Des machines à fumée.
Une bibliothèque.
Une discothèque. 
Que les acteurs puissent chanter et danser.
Et, donc, il faut des partitions.
Des costumes de papier, d'algue, de lichen.
...

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Hier, j’ai fait plein de sourires à Cali (réciproques), il est trop mimi !

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R erun : Le Récit des 2 faces de la matière (matière et antimatière, yin et yang)


En deux actes et à une semaine d'intervalle, Yves-Noël Genod propose son diptyque — je peux / — oui où s'expérimente sous la lumière déclinante des après-midis de décembre un subtil travail d'effacement des limites théâtrales.

Par Sophie Grappin-Schmitt



Tout débute par l'ambiance d'un après-midi gris de décembre, légèrement pluvieux, ou la lumière cotonneuse enrobe les corps plutôt qu'elle ne les expose. Installé en demi-cercle aux pourtours de la salle, le public se poste aussi bien sur scène que dans l'espace des gradins, justement absents de leur espace consacré, laissant derrière eux une béance, un beau volume qui rappelle ceux des ateliers de peintres.
Le spectacle commence en musique avec l'ouverture successive des volets de chaque porte-fenêtre, tandis que la lumière peu à peu pénètre depuis les hauteurs, à la manière des églises, dans une forme ritualisée.

Si la pièce d'Yves-Noël Genod, ce médaillon bi-face, ne contient aucune diégèse, elle n'en demeure pas moins riche de tout ce qui constitue ou devrait constituer le théâtre et, par extension, le spectacle vivant. Elle clame haut et fort son amour pour les interprètes dans — je peux, en accuse l'absence avec — oui.
La même continuité de scènes se joue dans les deux propositions, sauf que le metteur en scène a effacé ses acteurs dans la seconde, au profit de leurs traces sonores, visuelles, mnésiques, qui constituent avec toute la régie de la pièce une ambiance.

Le travail de Genod, dans — je peux / — oui se résume à créer autour des interprètes — mis en valeur par une série de scènes obligées, monceaux de bravoure du théâtre comme du cinéma et de la télévision — une perspective atmosphérique, un sfumato façon Léonard de Vinci, qui permet à l'auteur de s'émanciper des codes habituels et autres lignes de fuites qui conditionnent notre vision du spectacle.
Il abolit donc d'abord la disposition scène/salle pour faire éclater l'espace de jeu en différents lieux. Toutes les parois, tous les étages jouent, et le quatrième mur s'effondre quand un spectateur répond au comédien, qu'ils entament un début de dialogue. Demeure juste un premier rang de fauteuils, barrière symbolique que tous les interprètes enjamberont durant la représentation, comme pour s'affranchir de cette limite devenue inutile, autant que celle des coulisses et du hors scène.

Autre indice de ce travail d'effacement, l'usage abondant des fumigènes.
Traditionnellement au théâtre, l'emploi de fumées accompagnait les interventions divines et donc l'irruption du sacré dans le réel — par ce qu'elles en cachaient les rouages — ainsi le nuage devint peu à peu, pour l'histoire picturale et celles des figures, un motif masquant et révélant tout à la fois l'irreprésentable infini.
Dans – je peux, à plusieurs reprises les machines crachent leur fumée. Elle recouvre les acteurs, les noie dans une nappe atmosphérique qui révèle la beauté des lumières du jour et magnifie leurs incessantes apparitions.
Et lorsqu'ils sont absents de scène, pour — oui, le nuage devient sujet, matière à mouvement, accusant le moindre courant d'air, en vagues subtiles et spirituelles élévations, image mentale propice à raviver les souvenirs.
Ne lit-on pas l'avenir ou le passé dans certaines volutes ?

En divisant en deux parties, qu'il résume lui-même comme d'un côté — je peux — la pratique et la vie, et de l'autre, — oui — la théorie et la mort, Yves-Noël Genod exacerbe la spécificité de l'expérience théâtrale comme communion.

Au milieu de ce songe éveillé et étrangement familier que constitue — je peux, le spectateur perçoit par intermittence, fugace, certains moments de grâce, tandis qu'il ne peut échapper au constat funèbre de — oui. Atmosphère lourde d'enterrement, recueillement sans objet, qui livre le spectateur à sa solitude et son environnement, aux traces d'un spectacle qui n'est plus, dont seuls le texte critique, l'enregistrement filmique ou l'évocation rétrospective témoignent.

On partage donc le champagne au milieu de — je peux mais on le fait couler à la fin de — oui, parce qu'on ne salue pas les morts comme les vivants.

D es journées entières dans les arbres

     
Un théâtre pouilleux, à Montparnasse (mais à l’acoustique superbe, j’étais au dernier rang). Ds cette pièce, disons mineure, de Marguerite Duras, on l’entend vraiment, elle, Marguerite Duras, telle que je l’ai connue (quand j’étais petit) particulièrement ds ces circonstances : la vie. Si vous voulez, elle décrit là « la vie », exactement comme elle la décrivait ds la vie de tous les jours avec cette passion qu’elle avait d’être et de ne pas être Marguerite Duras, d’être et de ne pas être géniale, de prendre toute la place et aucune. Les expressions sont les mêmes, je l’entends, elle, ds la vie. La très grande intelligence et la très grande sensibilité de Fanny Ardant la rencontre et la « virtuose », la met en volutes. C’est très beau, très durassien et avec rien (pas d’encens, de fleurs, de glaces et de lustre éteint comme dans India Song), juste une pièce rapide et précaire pour jouer ds un théâtre pouilleux (mais à la très bonne acoustique) de Montparnasse. Est-ce Fanny Ardant qui a réuni son crew ? distribution totalement juste et belle : Agathe Bonitzer, Nicolas Duvauchelle, Jean-Baptiste Lafarge ; en tout cas — permettez-moi la cruauté envers celle qui salope une fois de plus le Théâtre de l’Odéon —, Fanny Ardant joue avec ses partenaires. Ils jouent ensemble ! seule condition, à mes yeux, pour qu’il y ait du théâtre : comme dit le proverbe : « Chacun pour soi, pas de théâtre possible » : ici, ce n’est pas le cas et je suis hier-aujourd’hui le plus heureux des hommes de vivre à Paris — patrie des théâtres pouilleux (mais aux très bonnes acoustiques) — contemporain de cette immense actrice transparente et rapide comme la vie — vous imaginez, si nous n’avions pas, nous, en France, Fanny Ardant ? nous aurions « l’autre » ! de quoi se tirer une balle… Etc. Etc.

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Zurbarán


« Zurbarán, peintre caravagesque, baroque et franciscain, contemporain de Vélasquez, Murillo et Ribera, phare de l’art espagnol du 17e siècle, et dont l’équivalent français serait Georges de La Tour. Quand on a dit ça, on n’a pas dit grand chose et, comme toujours, c’est par les détails qu’on distinguera Zurbarán de Caravage, de Vélasquez, de Ribera et de Georges de La Tour. Alors, que peuvent bien avoir en commun cette capuche de moine, cette moitié de pomme et ce manteau de vierge — et qui n’appartiendrait qu’à Zurbarán ? Le manteau semble moletonné... bien que son extrémité laisse voir la fine épaisseur du drap bleu. La pomme boursoufflée est noyée dans l’ombre... de sorte qu’elle ne soit plus qu’une fine lamelle qui, plus bas, flotte dans le noir. Quant à la capuche qui recouvre la tête de Saint François, voyez comment la lumière met en valeur l’arête du tissu sur le côté droit du couvre-chef lisse et montagneux. Tout l’art de Zurbarán ramène ainsi les reliefs rembourrés d’un manteau, boursoufflés d’une pomme et montagneux d’une capuche à une pellicule de matière illusoire, à une coquille vide et fascinante — à l’image de ces crânes dont il ne reste que les os et les trous, et qu’on appelle justement des « vanités ». Chez Zurbarán, peintre mystique du dénuement, les objets les plus sobres et spectaculaires se résorbent dans l’illusion révélée de l’art de peindre. L’illusion de la matière vivante qui, si l’on soulève la couche picturale, se retrouve gonflée par le vent, mangée par le vide et rongée par la mort. »

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A lors, vous avez des secrets ?


« Quand on vous regarde sur scène, la première question que l’on se pose c’est « comment font-ils pour dépenser autant d’énergie ? » Alors, vous avez des secrets ?
Pierre : La méthode est la suivante : il faut s’imaginer danser sur des crânes imaginaires, se figurer au sol des ossements épars sur lesquels rebondir. L’idée de la mort, c’est un peu l’ingrédient mystère qui permet à la mayonnaise d’atteindre le plus haut sommet. »

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