Monday, December 01, 2025

 
Beaucoup de choses dans ta lettre. D’abord une gentillesse débordante. 
1) Ce n’est pas étonnant qu’on ne me propose plus rien, ça s’appelle : « La roue tourne » ou « J’ai fait mon temps ». Il y a 22 ans maintenant quand j’ai commencé, j’ai répondu à une commande, celle du chorégraphe avec lequel je travaillais à qui on avait proposé une programmation carte blanche dans un festival ; à son tour, il m’a proposé de fabriquer (en le produisant) mon premier spectacle (EN ATTENDANT GENOD). J’ai raconté tellement de fois cette histoire que tu dois la connaître. Ça a marché, ça m’a ouvert une liberté incroyable, une reconnaissance, mais j’ai tout de suite pensé : « S’il ne me l’avait pas proposé, je n’aurais sans doute jamais rien fait ». Je serais restée interprète, ce que j’étais et ce que je suis de nouveau. C’est arrivé comme ça, ça s’est enchainé à partir de ce premier geste et c’est reparti de la même manière (avec un peu plus de temps, de prolongations…) ; j’ai eu peu à peu moins de propositions, moins d’argent et surtout moins de public (j’ai travaillé des années en Suisse, une sorte de cauchemar au niveau du public !) Donc, à un moment où j’ai eu encore une proposition (la péniche Pop, à Paris), j’ai annoncé que c’était mes adieux. Alors, bien sûr, si on me reproposait de faire qqch, pourquoi pas ? La difficulté (que j’assume), c’est que je n’ai jamais fait aucune démarche dans ce sens, je n’ai jamais cherché du boulot, les spectacles se sont enchaînés tant que ça marchait, tant que j’étais à la mode. C’était toujours des commandes (on me donnait un lieu, des dates et un budget que je ne discutais jamais) et, en même temps, des cartes blanches (avec parfois des désirs particuliers exprimés : que tu travailles avec telle comédienne, etc.), j’aimais beaucoup l’effet de commande. Quelqu’un veut, alors j’y vais. S’il n’y avait pas eu ça, je n’aurais jamais rien fait.
2) Pas du tout contre ton enthousiasme et ta proposition. En mai, je suis libre.
3) Envie depuis un moment de revivre un peu à Bruxelles. Pourquoi pas pendant les fêtes, si tu me prêtes ton appartement. Si tu rentres à Paris le 18, j’y suis encore, peut-être donc qu’on pourrait se croiser à Paris, le 18 ou le 19… 
4) La dernière personne avec laquelle j’ai été en contact à Bruxelles, c’est Antoine Pickels. Il a failli prendre ce spectacle d’adieu qui s’appelle TITANIC, HÉLAS, on avait trouvé un lieu… et puis il n’a pas eu l’argent qu’il espérait, il a dû réduire sa voilure cette année-là. Il est adorable. Son festival (s’il le donne toujours, je ne sais pas) s’appelle TROUBLE.
Bises,
Marie-Noëlle

Labels:

L e Coup de blues

 
Tout est de courte durée, Legrand a rencontré une fille. Au café. En terrasse. Il faisait beau, le soleil brillait, l’eau brillait, près du canal. Appelons-la Nadja. C’est une fille qui embrasse les garçons dans la rue. Elle demande la permission. Elle demande toujours la permission maintenant, même quand c’est évident dans l’échange des yeux. Tu penses bien qu’ils doivent être contents, les mecs ! Dans l’autre sens, ça ne marche pas. Un homme ne peut pas le faire. Agression. Pilori. Théâtre du Soleil...
 
Mais, bon, ne ternissons pas la rêverie. Tout est ensoleillé, je disais, théâtre du soleil, il fait froid, c’est l’hiver, c’est dimanche, mais il fait beau, tout brille, les boucles d’oreilles… Il y a des cormorans

Et, moi, je suis triste, désespérée, abattue sur une chaise. Bobo n’est pas là. Il est venu et n’a pas attendu. C’est un week-end très plein pour Bobo ; il est rarement là, à Paris, alors, quand il est là, il enchaîne les rendez-vous. « Elles me veulent toutes. » Il arrive très en retard à celui du matin (il vient chercher des livres). Raison : « Elle ne voulait pas que je parte… — Eh bien, tu ne lui as pas dit que tu la retrouvais tout à l’heure ? — Non, parce que tout à l’heure, j’en vois une autre... » Et une autre, et une autre, on enchaîne… Bobo est en pleine forme. Il plaît. Mais Bobo n’est pas là pour moi. Alors (dans un sursaut), je me souviens que j’ai encore un atout. Legrand ! Quand y a pas Bobo, y a Legrand, et réciproquement lycée de Versailles
 
Je lui envoie : « Qu’est-ce que tu fais ? J’ai un coup de blues. » Il me répond instantanément : « Oh ! Je suis chez moi (avec une fille). » Oh, c’est gentil, il est avec une fille, la vie continue, je lui dis que ça me remonte le moral. Un peu plus tard (je suis dans le train), il me propose : « Tu veux passer ? » 
 
On est presque voisin, oui, ça me ferait du bien de faire un détour, malgré la fatigue sans fond, mais, quand j’ouvre sa porte après avoir frappé une seconde (Legrand ne ferme jamais, on peut rentrer chez lui comme dans Nicolas Moulin), je ne les trouve pas dans la première pièce, mais dans la deuxième et au lit, nus comme des vers parmi les draps. Bon. Comment analyser la situation ? Legrand m’a dit de passer, il m’a dit qu’il était avec une fille, il veut que je participe ou quoi ? Ils sont au lit au début ou à la fin du process ? À la fin, il s’avère. Il viennent d’y passer deux heures, le plus gros est fait. Ils ont envie de se lever, laver, de venir discuter avec moi, de boire, de fumer, d’écouter de la musique. Nadja dit : « Ça pue pas trop la bite ? »

Labels: ,