Wednesday, April 23, 2025

P ensées profondes pour le profane

 
Réinventer un printemps où je serais seule

François m’avait donné quelques branches coupées à son camélia
C’était merveilleux de voir DI et Sarah papoter comme des gamines (parfois on peut voir qu’on reste gamine toute sa vie). C’était l’un de ces dîners d’été où on n’allume pas la lumière, où on la laisse sombrer à l’infini, c’est si lent, comme une descente vers la mer. Il y avait dans la cour — DI laissait toujours les bouquets dehors, pour donner l’impression — réussie — d’un jardin — les multiples bouquets de son anniversaire d’une semaine auparavant. La pâques juive et la pâques chrétienne se rencontraient cette année-là, un hasard des deux calendriers. Les bouquets éclatants se défaisaient, chaque vase contenait les tiges de fleurs d'une même espèce. Les bouquets mélangés qu'on lui offrait, DI les défaisait ; les roses avec les roses, les pivoines avec les pivoines. C’était comme ça que les gamines les préféraient, l’œuvre de chacune étant empreinte d’une certaine mélancolie. Et parfois d’une mélancolie éclatante comme ces bouquets usés. DI laissait au sol les tapis des pétales de couleur.

Et quand je traversais Paris, je voyais le printemps partout, partout. C’était un printemps réussi, assez d’eau et de lumière pour la régénérescence. Peut-être les plantes allaient-elles pouvoir nous sauver… Elles étaient si aimables, si prévenantes, si démocratiques, si naïves. Elles semblaient heureuses dans les espaces que la ville, la pierre leur laissait. Anne Hidalgo avait récemment organisé une consultation pour de nouveaux espaces arborés. Je n’avais pas voté, mais François avait voté contre. Oui, bien sûr, lui, il possédait le plus beau jardin de Paris, on l’aurait dit peint et sculpté par David Hockney. Legrand non plus n’était pas très pour (c’est pour ça que je m’étais abstenue). Mais, en bas de chez moi, il y avait deux parterres récents qui me ravissaient, c’était mon jardin à moi, j’y regardais la puissance commune du printemps. Et ce n’était pas seulement à moi, les jardins n’étaient pas saccagés. Tout le monde trouvait, même les plus sauvages de tout le monde — Dieu sait que dans mon quartier… — que les plantes étaient innocentes ; en tout cas, qu’elles nous étaient bonnes, qu’elles nous survivaient, nous les pauvres…
Et il y avait des narcisses
Mon père aimait les narcisses de son pays natal
Mon père m’avait peu parlé dans sa vie (mais chaque parole avait été retenue). Il m’avait dit une fois qu’il avait dans son enfance été transplanté du plateau d’Hauteville, sa liberté d’enfance, au « petit séminaire » un établissement genre Bétharram (j’imagine), à Lyon, ou peut-être Meximieu, où les fenêtres étaient placées si haut qu’un enfant ne pouvait les traverser
« C’était pas l’hiver, le plus dur, c’était au printemps, quand je savais que revenaient les narcisses… »

 

Ils avaient détruit la gare Saint-Lazare, mais j’aimais néanmoins m’en rapprocher. J’étais reliée à cette gare par le souvenir, la perspective, la découverte, un jour, de ces lignes de la mer, Dieppe, Trouville…
Mais la si belle salle des pas perdus, celle des Impressionnistes, avait été détruite pour construire à sa place plusieurs étages d’un centre commercial avec escalators, ce qui faisait ressembler la gare à n'importe quel aéroport de par le monde (ils voulaient faire la même chose avec la gare du Nord, il fallait vite en profiter)
DI était passé chez Bread & Roses, rue de Fleurus, et en avaient ramené un dîner…

Pourquoi Legrand a-t-il tant d’importance dans ma vie ? Parce que ma vie est si incroyablement vide, si tragiquement vide que la branche qu’il me tend (au-dessus du fleuve du vide), je la saisis. Ce qui fait que je vais bien, c’est que cette branche est amicale. Je connais un avocat d’affaire (au fait, son prénom est Luc) à qui il arrive des histoires pires que les miennes, parce que, lui, la branche à laquelle il s’accroche n’est pas amicale, elle est toute pourrie, il est emporté tous les jours : comment fait-il pour tenir la santé ? Peut-être, est-ce le contraire : il est en forme, mais il garde par-devers  lui un territoire sauvage qui ne déborde pas sur le reste — où il peut souffrir tout son saoul…

Les trains, les plages, tout se ressemble. Que faire ? Que faire de soi ? J’avais envie d’un dur métier dans le privé qui fasse contraste avec les dîners, les week-ends, les vacances. Mais j’étais toujours en voyage, toujours en vacances, nul château, nul enfant, nul amour

On était triste partout par le monde, triste et malheureux comme dans conte de fée sec

Je n’écrivais pas les derniers poèmes, invisibles à moi-même, dont j’avais l’ambition —

Mais comment savoir ?

On est près de la mer, on peut descendre. On n’y est pas, mais on peut rêver qu’on y est. Le roman que l’on lit est déjà écrit. Comme c’est rassurant qu’il soit déjà écrit ! Comme c’était rassurant de voir ces deux femmes (DI et Sarah) trouver sous leur pas l’enthousiasme pour de nouvelles photos, de nouveaux montages. Sarah fabriquait des volumes à l’unité qu’elle intitulait : Tant qu’il y aura des dimanches… Elle affirmait adorer les dimanches car c’était le seul jour où elle pouvait travailler rien que pour elle. Je me demandais, et n’osais pas le lui demander, ce qui empêchait cette liberté, la semaine...



Le féminisme a mis dans la tête des femmes qu’elles devaient être odieuses. Elles s’y exercent, mais quel violent métier !

Il faut n’avoir rien, c’est le secret, savoir qu’on n’aura rien bientôt, qu’avant cela on a tout

Les journaux remplis de scandales sexuels

« une ville rapiécée d’étrangers ; chacun y est comme chez soi », Montaigne à propos de Rome

« On confond amour et bonheur » (Beigbeder)

« Et son visage importe moins que son message » (Vianney)

Je vais lire pendant des semaines. Et puis, un moment, il faudra que je retourne au théâtre.

Les animaux. Le montage des animaux
Vont devenir imaginaires, vivre dans le vague

Faut-il choisir l’indifférence pour se protéger du monde actuel ?

« Un soir de mai de courant d’air » (Sardou)

« pour Jojo aucune fête n’était assez longue » (Jean-Marie Périer)

Les femmes : le besoin extravagant de triompher



Je gardais l’amour de cette femme intact. Je ne l’appelais pas. J’avais figé tout dans le souvenir, comme une chambre qu’on ferme définitivement après un malheur, comme un mausolée.

Hervé avait eu de la chance. Il était tombé sur une femme qui avait réussi à le sauver de l’alcoolisme. Il buvait toujours, mais plus à rouler par terre. Pendant quelques années, elle avait constaté qu’il tenait bien l’alcool, mais jusqu’à un certain point de bascule. Elle m’avait demandé mon avis. Comment repérer ce point. Elle voulait intervenir juste avant. Et, peu à peu, elle avait réussi à affiner sa perception qui allait faire qu’on ne verrait plus jamais Hervé à quatre pattes par terre ou bien sauter tout habillé dans une piscine. Comme je logeais avec eux, elle se précipitait soudain vers moi en soufflant un « On part » et on exfiltrait — c’est le mot — Hervé, sans dire au-revoir à quiconque

Je me chauffais à ma propre fièvre
J’avais sur moi la douceur de ma main

Ces femmes trahissent leur vie

Tout ce temps qui se défile, rapide

« l’appétit des premiers temps, une sorte de jeunesse éternelle »

« le détail, c’est l’effet à produire »

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