Thursday, March 30, 2017

T rop sensible pour le théâtre


Il y a tellement de choses à voir, je devais voir le spectacle de Yaïr à Vanves et enchaîner avec celui de Nicolas à Nanterre, Philippe devait me faire entrer à l’entracte, mais dans le Uber, je me suis aperçu que j’allais arriver en retard, le spectacle de Yaïr s’était éternisé, ohlàlà, mais comment on fait ? Comment font les autres, on n’a que sept soirées dans la semaine et tout le monde fait des spectacles et on a envie de les voir, d’au moins voir ses amis, pas de rester toujours sur Facebook — et quand est-ce qu’on lit un livre ? Le chauffeur d’Uber a été gentil, la course était déjà payée mais il a réussi à me ramener chez moi (je ne sais pas par quelle magouille puisqu’on est surveillé tout le temps et qu’on n'a pas le droit de changer la course — en Pool). Alors je n’ai vu que le spectacle de Yaïr. Je pense que Yaïr est fou et on voit bien ça, il a réuni quatre interprètes qui rendent bien compte de cette folie (qui est la folie de Yaïr), j’avais l’impression de voir vraiment des fous — des fous de la rue, même si je reconnaissais — mais sans les reconnaître — les interprètes. Mais je n’ai peut-être pas tout compris, il faudra que je pose des questions à Yaïr.
L’autre soir, je suis sorti pas très loin, aux Bouffes, pour voir Mon cœur. C’est sur la tuerie du Médiator (procès toujours pas…) Plus de deux milles homicides, surtout des femmes qui prenaient ce coupe-faim, des gens qui survivent dans d’horribles souffrances avec des valves en plastique qui font tic-tac comme une horloge. Eh bien, je ne vous en parle pas, de ce spectacle, parce que je n’ai pas supporté. J’ai chialé toute la représentation et je n’ai pas dormi de la nuit. Comment conseiller un spectacle pareil ? Je vois entrer une femme sur le plateau, une actrice certainement, je me dis : « Mon Dieu, comme elle a l’air réel… » Puis elle se met à parler, je pense : « Ah, c’est une actrice… » Elle s’ajuste. Parce que, pour que ça marche, le théâtre, il faut que la salle se mette à jouer. Elle s’ajuste, l’actrice, elle enfile son vêtement, le vêtement de tous ces spectateurs qui doivent ce soir jouer la pièce. Et ça va marcher. Encore ce soir. Sauf qu’avec moi, ça marche trop. Au bout de quelques dizaines de secondes je ne vois plus du tout qu’il y a une actrice. Je suis au bord de crier d’horreur. Et ça dure. Un cauchemar. Et ça se reproduit à chaque personnage, l’entrée, l’ajustement, et la disparition de l’acteur au profit de cette histoire affreuse, de ces vies détruites, de cette existence irréelle (l’irréalité, c’est l’enfer) avec des bourreaux (inconscients ou non) et des victimes (inconscientes ou non), des pièges, des existences mortes, enterrées, des destinées, l’absence de Dieu (mais la présence du diable), l’horreur administrative de la Justice, soi-disant, de l’absence de justice, en fait, de la bureaucratie, du dédain, de l’écrasement des fleurs sauvages. Il n’y a pas d’humour dans ce spectacle, pas une once, la pure tragédie. Je ne supporte pas. Pas de poésie non plus. La pure tragédie. Je recopie quand même un fragment ou deux de cette poésie qui m’a permis de respirer — deux fois seulement — au cours de cette soirée intenable. Je n’aime pas le théâtre. Je n’aime pas le faux. Le faux se présente comme le vrai. A la place du vrai. Je n’aime pas le tragique, je ne l’aime pas non plus au cinéma (je m’évanouis), je ne l’aime pas non plus dans les livres, j’en ai horreur. Vive la distanciation brechtienne ! (ou alors je n’ai rien compris), vive l’humour et le poème ! Comment survivre ? Dans la salle, quand les lumières se sont rallumées, bien sûr, tout le monde était aussi les mêmes que sur scène : des héros ou des salauds, des victimes et des victimes de victimes — et bien peu de héros… et ma voisine m’a dit que je l’avais dérangée en écrivant, que, quand j’écrivais, cela faisait bouger le dossier de la banquette ; je l’ai regardée effaré et je lui ai dit : « Un bien petit malheur, tout de même, comparé à celui de cette femme saccagée comme une mouette. » Mais la vie de ma voisine avait été aussi détruite par le mouvement du dossier de la banquette. L’horreur, je vous dis, l’irréalité, le mal.

« Hémorragie 
De nouveau à l’hôpital 
Un roman de souffrance »

« Le bruit que font les valves le soir au fond du lit »

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