Wednesday, February 24, 2010

...ont réussi leur coup à New York



I've heard you've made it in NY...

Marlène Saldana et Jonathan Drillet. (Photo : Michael Hart.)

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La "carte blanche" pour "Standart"

Le Dionysiaque littéral



Les UPSBD – abréviation pour les United Patriotic Squadrons of Blessed Diana – sont ce que j’ai vu de plus amazing cette année ! Par exemple, à Beaubourg, cet automne (accueillis par Sophie Perez et Xavier Boussiron), mais aussi à New York à la Park Avenue Armory, en septembre, un peu avant, dans une boîte improbable près des Champs-Elysées, etc. De partout, de nulle part, pouvant pousser comme des champignons sur n’importe quel support ou presque. Ça dépasse tout… Je vous le dis, moi, en général, personne ne me croit (quand je parle), mais je vous le dis quand même puisque j’ai « carte blanche » : ça dépasse tout ce que je connaissais jusque là – écoutez les mots – en folie, en précision, en imagination, en énergie, en éclaboussement, en inconséquence, en amusement (entertainment), en liberté – et ce mot, celui-ci, m’amène à finir soudainement cette liste qui était partie pour durer. Car, pour moi, la liberté – même si le concept est flou, je le reconnais – c’est ce dont je viens me rendre compte au théâtre, d’un côté ou de l’autre. J’indique toujours aux comédiens que j’emploie que le spectacle doit se présenter comme une leçon de liberté. Ça ne veut peut-être rien dire, mais les gens qui m’aiment comprennent. D’ailleurs cela m’amène aussi maintenant à vous dire que de l’époque sordide dans laquelle nous vivons, l’époque du « principe de précaution », le théâtre est bien sûr la première victime. Songez que vous n’avez pas le droit, entre autres, de faire un spectacle dans le noir (comme je l’ai fait il y a quelques années), que vous n’avez pas le droit, entre autres, d’offrir du champagne au public dans des verres en verre (ils doivent être en plastique ! – au Théâtre de Chaillot, l’année dernière, j’offrais donc le champagne dans le couloir, avant l’entrée dans la salle), que vous n’avez pas le droit d’allumer une bougie, pas deux, une bougie, si la salle n’est pas équipée d’un rideau de fer, ni un briquet d’ailleurs ni une cigarette d’ailleurs parce que, vous le savez, vous ne fumez plus de toute façon. Encore un exemple à propos de fumer : si vous utilisez de la fumée de théâtre, prévue pour, sachez que vous avez de grandes chances que la sirène anti-incendie interrompe votre spectacle, par exemple un soir de première, ça m’est, à ce jour, arrivé deux fois. Sachez que… Les interdictions augmentent chaque semaine. Pas d’enfants nus, pas d’adultes nus à côté d’enfants habillés, pas d’animaux si vous n’avez pas le maximum d’autorisations (c’est à dire le maximum d’emmerdements), pas de décor qui incluent les gradins (périmètre de sécurité d’un mètre cinquante), etc. Etc. Etc. Il faut que le spectacle puisse plaire aux épileptiques, aux culs-de-jatte, aux réacs en tout genre (car c’est la « démocratie »). Voilà que je tombe dans le travers de tous ceux qui jusque là ont servi cette rubrique : je me mets à parler de mes problèmes, à me plaindre au lieu de parler des UPSBD qui, eux, renouvellent, mais underground la perception du tout possible… Je crois que les services de sécurité pourtant toujours plus organisés ne les ont pas encore repérés.

Roland Barthes dit dans Brecht et le discours que pour attaquer un discours réac, il faut « le discontinuer : mettre en morceaux ». Les UPSBD, c’est ce qu’ils font, pile poil, à l’allemande, voyez, Roland Barthes les aurait vus en vrai qu’il aurait dit pareil ! En fait, pour eux, tout est déjà réac, y compris même la performance qu’ils sont en train de diriger devant vous. Alors ils attaquent : ils discontinuent. Par exemple, en disant : « Tu as dit que cette blague, tu ne la ferais pas… » Ah, c’est quand même merveilleux qu’il existe des penseurs (comme Roland Barthes) parce que, sinon, on ferait tous tout ça sans même nous en rendre compte comme Monsieur Jourdain lancé sans vergogne dans la prose !

Les UPSBD ne viennent pas de nulle part, bien sûr. En aînés, il y a bien sûr Marco Berrettini, c’est le maître, mais aussi bien, comme je disais, toute l’Allemagne, toute l’Angleterre (les Monty, par exemple), toute l’Amérique – pourquoi se priver – et Thierry Le Luron !

Roland Barthes dit aussi qu’il est plus intéressant de s'approcher amoureusement du discours réactionnaire, c’est à dire avec plaisir, plutôt que de « s'en distancier en raison d’une analyse froidement intellectuelle ». Mon Dieu comme c’est bien quand des gens pensent à votre place ! C’est exactement ce que, moi, j’aurais dit si j’avais voulu parler des UPSBD : ils sont amoureux de leur sujet, c’est leur secret, je crois, ils sont – que voulez-vous – pas dégoûtés ! Ils ont une certaine « passion du matériel ». Leur matériel, c’est le monde, et aimer le monde, c’est ce qui fait qu’ils sont grands. C’est ce qui fait leurs performances si animales, si sensuelles, si excessives aussi, hors normes, mais, je dirais, dans les étroites limites du plaisir, toujours, c’est à dire du bon goût ! Pas d’hypocrisie. Mais de la morale. Grisélidis Réal. Vous imaginez : à Beaubourg, pour pratiquer leur potlatch, ils n’avaient rien trouvé de mieux à faire que de se déshabiller, bien sûr, mais de se faire peindre intégralement par des body painters, l’un en tigre, l’autre en zèbre (ils voulaient évoquer l’Afrique) dans un style un peu Douanier Rousseau. C’était somptueux. Oui, une femme nue, blanche, opulente et peinte en tigre avec idéalement un portrait de dictateur sur chaque sein ! Et un jeune zèbre improbable et zébulon, probablement homosexuel. Jusqu’à ce qu’ils se battent et que le tigre et le zèbre déteignent l’un sur l’autre. D’ailleurs toute la performance était de cet acabit : d’une finesse de dentelle de Burano et d’une grossièreté tout autant, tellement gros que ça en devient fin et vice-versa. C’est aussi que leurs spectacles-performances sont certes des fictions très élaborées, une énorme dramaturgie enchantée, mais qu’ils les vivent à plein, comme la réalité. Disons qu’ils profitent de jouer pour faire la fête. C’est « dionysiaque », si on veut… et si les jeunes d’aujourd’hui savent à peu près à quoi ce mot un peu périphérique peut bien se référer… J’en doute. Mais enfin les UPSBD ne sont pas tellement vieux non plus, je dois dire, mais leur maturité sidère. Ils n’existent pas, on dirait, sauf partout. L’époque actuelle, ils en rient puisqu’ils sont de toutes les époques et, grâce à ce don, vous allez voir, ils vont probablement tout casser dans les prochains mois ! Ils sont surréalistes. Roland Barthes disait aussi, une fois : « Que c’est beau, que c’est intelligent, que c’est démodé… » C’était, je crois, à propos de La Chevauchée sur le lac de Constance de Peter Handke qu’avait montée Claude Régy en 1974.

D’ailleurs il n’y a que deux types de spectacles que je ne louperai pour rien au monde et qui me donnent envie de traverser l’Atlantique aller-retour: les spectacles d’Antonija Livingston et les UPSBD. Ça n’a d’ailleurs rien à voir.

Citons parmi tous ceux qui travaillent avec eux, frêle et fastueuse équipe – et à part les body painters déjà évoqués : Bambou Roch et Pascale Kouba – citons my favorite actor of du moment : Robin Causse, l’extrêmement prometteur Robin Causse. (Prometteur, je dis, puisqu’il a vingt ans, mais il est parfait.) Je l’ai moi aussi engagé. Les deux responsables des UPSBD, est-ce qu’on cite leur nom ? Il s’agit de Marlène Saldana et de Jonathan Drillet. Et voici quelques-uns des épisodes auxquels je me réfère, réunis sous le titre générique : Le Prix Kadhafi. Episode 1: A Chinese Man In the Trenches of Verdun Winning the Kadhafi Prize (Park Avenue Armory, New York, 2009). Episode 2 : L'Art moderne doit presque tout à l'Afrique (Centre Pompidou, Nouveau Festival, 2009). Episode 3 : Boum la Suisse : au bout de la passion, l'équilibre (Théâtre de Vanves, Festival Ardanthé, 2010). Ensuite, et quand vous lirez ces lignes, chers amis de « Standart », nos UPSBD amis seront, eux, je crois, en résidence (surveillée) à Fribourg, en Suisse, en vue du Festival Belluard Bollwerk 2010 ou bien pour libérer Polanski.



Yves-Noël Genod

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