Pina, c'est moi. Je ne crois pas que je pourrais vous faire passer ce que je ressens à l'intérieur de moi des souvenirs des spectacles de Pina Bausch – parce que c'est inconscient.
Pendant des années dans ma vie, j'étais très seul – osons le dire : d'une solitude infinie, métaphysique, irrémissible (j'emploie ce mot à défaut d'un autre).
Et, donc, voyez, je survivais, et j'avais – puisque je ne vivais pas – un temps infini, quasi infini... J'étais jeune, mais ce mot ne veut rien dire et ne vous dira rien.
Je regardais sans fin les films de Marguerite Duras qui passaient à Lyon ces années-là, plus tard les films de Robert Bresson qui passaient à Paris ces années-là, je fréquentais Claude Régy, dont le théâtre avait effacé tout le reste et je voyais tous les spectacles de Pina Bausch, à toutes les représentations, à Villeurbanne, Paris, Avignon, Wuppertal... J'étais fan aussi de la chanteuse Barbara. Vous voyez, rien d'avouable.
Heureusement la jeunesse a changé.
Les époques changent au galop, c'est ce qui fait que les choses que nous avons vécues restent vivantes, inconscientes.
En ce temps-là, d'abord Pina Bausch montrait, à Villeurbanne,
Bandonéon, la pièce uniquement sur les musiques de tango. La troupe était jeune et aiguë, acerbe, douce. C'était le début des années 80. L'année du bac.
Quand Pina Bausch a repris le spectacle, vingt-cinq ans plus tard, avec les mêmes danseurs, inutile de vous dire que je n'ai strictement rien reconnu de celui dont chaque détail est pourtant en moi si vivace, si précis, vivant. Les danseurs avaient vieilli, je voyais devant moi une reconstitution poussiéreuse, c'était très intéressant, la
couleur du spectacle était grise, ambre, fantomale... Le théâtre n'était pas le même, l'époque avait changé, moi, je n'étais pas le même, j'avais changé complètement, et pourtant j'avais en moi et j'ai en moi – comme je vous dis – le souvenir parfait de ce spectacle peut-être le plus important de ma vie. Ce spectacle dont je pourrais vous décrire chaque moment.