Sunday, May 19, 2019

L e Camp progressiste


J’étais dans un dîner, je me souviens j’étais dans un dîner, je ne sais plus à quelle époque, j’avais vu un spectacle mirifique, d’abord, magique, je crois qu’il se joue encore, ce spectacle de Joris Lacoste, Jukebox Gennevilliers, interprété par une actrice de génie, Ghita Serraj, un spectacle hilarant, vraiment, cette fille était hilarante, humble, extraordinairement « à son affaire », d’une générosité pure et chimiquement rationnelle (ah, parler, c’est souvent dire n’importe quoi…) Curieusement, ce spectacle, je pensais : ce n’est pas politiquement correct, mais c’était sûrement simplement le fait du talent fou de ce spectacle qui soulevait le couvercle atroce, baudelairien, de cette épouvantable époque — sans doute comme toutes les époques, épouvantable — de censure et de dénonciation, oui, d’horreur idéologique, peut-être comme toutes les époques, en fait, oui, le fait est, en tout cas, que ce spectacle miraculeux échappait entièrement à ça, entièrement, et je m’étais ensuite échappé moi-même assez vite, d’un baiser d’une main à Marie Collin et à Joris, ce demi-dieu, pour moi, ce héros et, dans le métro, j’envoyais, pour la remercier, un mot par Messenger à Ghita Serraj que j’avais rencontrée pour la première fois, je lui disais, oui, que je pensais ne jamais l’oublier, jamais l’oublier, jamais l’oublier — et j’arrivais dans le centre de Paris pour ce dîner dont j’avais l’habitude, chez Sylvie et Stéphane, et, ce soir-là, il y avait du monde, plus de monde que d’habitude, ce qui fait que la tablée avait l’air d’une tablée de vacances, c’était très agréable, c’est agréable, le monde, et on a changé de place et, à un moment, j’ai été assis à côté d’une journaliste du « Monde », j’étais pas peu fier, elle était très aimable, et, alors, comme je fais avec toutes les filles qui me plaisent : je leur sors mon laïus anti-féministe pour voir si j’ai quand même mes chances tout en apparaissant comme un vieux réac, je lui ai dit que j’aimais beaucoup « Le Monde » sauf une chose, le traitement du féminisme si imposant, si militant depuis le 5 octobre 2017, date du déclenchement de l’affaire Weinstein, qu’heureusement ça s’était un peu calmé maintenant, mais que, pendant des mois, à partir du 5 octobre, comme je n’étais pas d’accord et que je ne comprenais pas, pour essayer de comprendre, j’avais lu tous les jours des horreurs de propagande et de bêtise dans « Le Monde » comme dans « Libé » et aussi dans « The Guardian » quand j’avais été à Londres, où, je devais le reconnaître, c’était encore pire que dans « Le Monde » ou dans « Libé », pire, mais, pour moi, plus amusant à lire parce que plus exotique, j’osais même dire qu’à cette période, j’avais été bien content que « Le Figaro » existât pour, sur ce sujet, pouvoir respirer un peu et cette femme délicieuse m’expliqua que le lendemain du 5 octobre (ou presque le lendemain), un chef (le chef ?) avait envoyé un mail à tout le monde au « Monde » (ils sont 450) qui disait : « Il est en train de se passer quelque chose d’énorme, il ne faut pas que « Le Monde » passe à côté, réunion demain à 13h avec toutes vos idées », exactement comme dans une situation révolutionnaire, me dit cette femme qui m’avoue sa surprise à ce moment-là, et voilà comment la machine s’était mise en marche et on en a eu pour des mois. Cette femme étant très intelligente et très « de gauche », j’osais même — et elle le supporta — lui citer deux citations d’Eric Zemmour qui m’avait bien surpris alors que depuis toujours, moi aussi, je considérais Eric Zemmour comme absolument inécoutable, mais, je ne sais pas comment j’avais entendu ça, sûrement la nuit quand je dérivais dans des émissions de télé fournies en loop par les algorithmes et, dans ces nuits, j’avais entendu deux choses que je n’avais pas trouvé bêtes : Eric Zemmour avait dit face à une féministe : « Mais pensez-vous vraiment que vos mères et vos grand-mères étaient plus idiotes que vous ? » ; cette femme, m’avait répondu qu’en effet, dans son cas, sa mère et sa grand-mère qui l’avaient élevée étaient toutes deux des femmes extrêmement libérées, sa grand-mère née en 1903 et qu’elle n’avait pas souffert, elle, personnellement, jamais, d’une quelconque domination masculine ; j’avançais alors la deuxième citation d’Eric Zemmour pour emporter le morceau, qui avait dit (une autre fois) que le déclin du patriarcat auquel on assistait ne venait pas d'un quelconque mouvement féministe, mais avait été amorcé par la guerre de 14 qui avait été une telle horreur, un tel charnier que les hommes, ces guerriers, étaient revenus, ceux qui étaient revenus, en disant (ou se disant) : « On ne veut plus être des hommes, si c’est ça, être des hommes, on ne veut plus en être », cette guerre de 14 qui avait aussi montrer les femmes au travail à la place des hommes engagés sur le front, et, là aussi, cette femme du « Monde » avait reconnu que c’était sans doute quelque chose de juste, ou d'intéressant, cette perspective. Il y avait encore tous mes autres arguments habituels contre le militantisme, la mythologie révolutionnaire, etc., mais je sens que votre patience a déjà atteint sa limite. En tout cas, c’était beau de pouvoir critiquer « Le Monde » au côté d'une journaliste du « Monde » qui pensait que, malgré tous les excès, il y a un avant et un après le mouvement Meetoo (je ne rappellerai pas comment ce mouvement s’est appelé en France) et que ce mouvement, cette insistance n’avait pas servi à rien. Peut-être. En tout cas, nous étions d’accord sur ce qu’il fallait voter le 26, Ecolo, oui, malgré leur médiocrité et la nullité de leur slogan : « Sauver l'Europe pour sauver le climat », donc ne pas lire leur prospectus déprimant, mais, quand même, voter pour eux car beaucoup se passe au niveau européen quant au charnier de l'écologie...

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