Thursday, October 11, 2012

La princesa está pálida en su silla de oro



Parfois on entend quoi ? Un poisson. Un bruit net comme s’il se cognait.
Mer et terre, en jachère, jaunâtres.
La couleur vin, la couleur neige, la couleur sang, la couleur prairie.
La barque est rouge et rose en été.
Oui, il y a des poissons qui se cognent au rivage, à la surface.
L’eau, oui, de la barque immobile, bouge comme un serpent, un dragon, un crocodile éventuellement (si nous étions en Afrique) et, parfois, un poisson minuscule saute et fait – je ne retrouve pas le mot… comme « confetti », « clapotis » – des… vous savez comme font les jeunes garçons avec leur papa, des… Oh, c’est terrible ! Aurais-je comme Babeth croit (se plaint d’avoir) le syndrome d’Alzheimer ?
Je vois aussi un poisson souple et fluide s’approcher de la surface. Des RICOCHETS ! (Ce n’est pas du tout le mot que je pensais.)
La surface du fleuve – et qui fait qu’on le voit bouger – est recouverte d’une poussière. De pollen, sans doute. Grâce au barrage, la surface est étale, mais le fleuve bouge dans tous les sens, disque lent.
« Depuis que le soleil, cette fameuse étoile… »
Il fait si chaud dans la barque que je sue.
Et Bébé pas là pour m’essuyer de sa langue.
Quel étrange pays, cet été extrême ! Sans Bébé. Je suis nu et sans Bébé.
Couleur de ma défaite.
L’oiseau, rien ne bouge, ce rythme lent, la semelle du fleuve, ce rythme fantastique, poussiéreux, le temps qui bouge comme un marécage.
Blackwater, l’eau noire, est le nom du fleuve…
Parfois les poissons qui cognent à la surface vont jusqu’au coup de feu.
A part la rumeur du barrage, il n’y a rien. Ou alors un oiseau mécanique fait entendre une trille angoissée, ouvragée.
La forêt reste obscure dans son opacité.
Forêt-opiacé.
Bébé, cher faucon.
« Il laissa son cher faucon voler de sa main à la forêt et il entra dans la bataille. »
Il y a une chose qui fait que je ne suis pas écrivain, c’est que je ne vois pas en quoi c’est difficile d’écrire. Pourtant tout le monde le dit. Ou presque.
Pour moi, il est difficile de lire, mais, écrire, non.
D’ailleurs, voyez, le cordon de la barque dans la poussière, ne dirait-on pas un serpent qui rampe de toute éternité ?
« Chante l’origine des choses créées. »
Plus nous allons vers le soir et plus je cuis – dans ma barque orange et immobile sur le rivage, plus la surface poussiéreuse de l’eau scintille, comme pleine de strass. C’est étonnamment beau ! Le soleil est de plus en plus face, aussi, et je suis de plus en plus bleu.
Toujours ces coups de feu des poissons qui se cognent. Espacés. 

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Leïla Brahimi. Photo Sara Rastegar.

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Imaginez un palais construit en bois. Un palais de la forêt.
C’est un Versailles du pauvre.
D’ailleurs « Versailles », c’est « vaisselle » – et « versatile »… Versailles n’est pas du tout adapté. C’est une ville, c’est un palais. Ici aussi, c’est un immeuble. Un immeuble à la campagne. Au-dessus du Tarn. Je ne connaîtrai jamais, sans doute, ses habitants. Il y a les corneilles, les chauves-souris. Les araignées. Mais il y a d’autres gens dans d’autres ailes du bâtiment – que je ne croiserai jamais. Probablement.
Le palais est si grand.
Irai-je même jusqu’à la bibliothèque dont on m’a promis l’accès ? Comment savoir et comment savoir son chemin sans se déplacer comme un voleur, dans ce palais aux multiples fenêtres ? Je ne saurais être vu. Rat d’hôtel. Ville parisienne. A la campagne. Paris à la campagne. Un immeuble déshabité. Vie et vide. Rien qu’à l’étage où je suis – aux multiples chambres –, « l’été, ça accueille jusqu’à cinquante personnes », Babeth m’a dit. « C’est tout pour vous ! » (Pour toi et moi.)
Le matin, Babeth hurle dans la cour, Babeth à la voix très forte. Et cela résonne dans la cour, forcément, la cour aux immenses falaises. Ainsi tous les habitants doivent être au courant – et doivent être agacé – que Babeth et moi, nous nous parlions, elle dans la cour et, moi, du haut de la cuisine, sous les toits, celle que j’utilise, la cuisine des petits-déjeuners.
Il me faut souvent pisser. Je ne sais pas, le café, l’été… L’insolation dans mon lit, le lit de l’été – pendant qu’au-dessous, le lit du fleuve réfléchit mon été…

Avez-vous besoin de tout l’espace ? Non. Vous habitez dans le palais. Contentez-vous. L’apparat du palais. Le palais et ses espaces aux mutiples recoins, aux constructions sans fin. Aux effondrements silencieux.

Mon écriture se précise ainsi : je n’ai rien lu et j’écris quand même. C’est une écriture sèche, ingrate, sans émotion, sans partage. Et c’est cette écriture que Liliane Giraudon veut publier ! Ça me déprime. Il est feu, le feu. Brûler vos papiers que l’on découvrira plus tard. Cela vous donnera du rouge aux joues. Et cette odeur de brûlé qui se mélange aux châteaux, qui se mélange à l’été…






Le soleil, il joue sur le plafond de la chambre. Il joue, renvoyé pas les vitres.

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Gardien de l’été



Je bois du café, des bols entiers, lents à préparer, aussi noir que le Tarn est vert, les mêmes reflets, les mêmes ciels.
Dans la forêt, en face, il y a un oiseau – spécial – qui commence à communiquer avec moi. Il me dit : « Salut ! Quel est ton pays ? Mon pays est la forêt… » La beauté de cette forêt qui se reflète dans le Tarn est indéniable. Absolument impossible à transcrire. Elle est imaginaire. Si je vous racontais les histoires de Bébé, vous pourriez me croire, mais, l’histoire de cette forêt, non, vous ne le feriez pas. Je recopie des fragments de livres – et je bois du café. Je pense à Pierre, la vie que nous aurions menée… Je pense aussi, bien sûr, aux femmes. Aux femmes qui seraient heureuses  malgré moi dans ce pays sans fond, Eternel retour et Grand Meaulne… Sur la table, les vêtements s’accumulent. La table de travail est couverte d’or et d’encens, les vêtements, la sueur accumulée. Mais je regarde toujours par la fenêtre d’été la forêt immense où l’oiseau fait son nid.






Quand la musique est belle, je me mets à danser. Babeth m’a installé une petite radio branchée sur France Musique. Babeth est drôle, elle parlait de la grève. Encore la grève à Radio France ? « Oui, et c’était merveilleux car il ne passait plus que Vivaldi, Bach ou Beethoven… – Ah, oui, sans les parlottes… – Oui, et sans ces horribles trucs modernes, surtout ! » Oui, que Paris se mette en grève, Paris ! Paris où il faut tant d’argent. Ici, dans ce palais déshabité, il ne faut rien. Qu’une vieille radio en grève. Lumière d’octobre. Sur le Tarn. On boit du Gaillac. Entre Albi et Toulouse. Ce soir, Marlène et Jonathan jouent à Toulouse. Il faut que j’envoie un mot. De toute façon, tout est merveilleux, pour Babeth. Elle adore – ça doit être une figure de style – renverser ce qui doit être triste en gaieté. Par exemple, quand je lui ai dit que j’avais perdu l’odorat : « Quelle chance ! Ainsi, vous ne sentez pas les gens qui puent de la gueule parce que, ça, c’est affreux, affreux ! Moi qui ai la malchance d’avoir un odorat développé, je vous envie (etc.) » Ça y est, ils se remettent à parler ! C’est fini, la grève à Radio France ! Et, là, ça m’empêche d’écrire. Malgré le café. Toutes ces voix de pédales… ou alors un sketch des Deschiens ! C’est pour ça que Marlène et Jonathan auront toujours du travail… Les gens sont tellement grotesques ! Reste le comique, la rigolade pour survivre. La musique a repris. La musique qui est « faite ». Oh, ils se disputent ! « Il n’empêche que les passions selon saint Mathieu et saint Jean sont le plus grand théâtre d’Occident… – Je me suis mal exprimé… – Si on a inventé l’opéra…» J’adore la radio ! Maïté et les anguilles. (La télé aussi.) Les sketches comiques. Les duettistes. Le cabaret. Marre de boire l’eau noire du café, je m’en vais boire l’eau verte de l’eau du Tarn. J’aimerais lire aussi des poèmes. « La terre est bleue comme une orange. »






Il y a un meurtre, dans le roman de Sagan, c’est très émouvant. Quelqu’un est tué. Et ce roman qui semblait n’aller nulle part – elle nous le faisait croire – avait donc un plan. C’est aussi son défaut *. Car il y a une résonance morale. A la Jean-Paul Sartre. Quelqu’un est tué par ses amis. On le voit mourir, c’est bouleversant.

« On a été, François-Frédéric, je crois qu’on peut le dire, scotché. »

Dans le petit livre sur le champagne que m’a offert Bébé, il y a un extrait de ce livre que je relis donc maintenant. On a nommé l’extrait : « Splendeur et décadence ». C’est Robert qui meurt, qui va mourir, c’est très triste…






« Dans tous les cas, la poésie est antérieure à la prose. On dirait que l’homme chante avant de parler. Mais il y a d’autres raisons très importantes. Un vers, une fois qu’il est composé, sert de modèle. A force de le répéter, on aboutit au poème. La prose, en revanche, est beaucoup plus compliquée, elle requiert un plus grand effort. Il ne faut pas oublier la vertu mnémotechnique du vers. »






J’ai toujours envie de lire Sagan. Mais je n’ai qu’un livre d’elle. Je ferai comme si tous les livres étaient contenus dans celui-ci – que je relirai sans fin…
Oui, ce château n’a qu’une chambre. Et le bruit de l’avion par la fenêtre est le même que celui que vous entendez à présent. Il n’y a pas d’horaires, pas d’été. Autres que ce château aux multiples fenêtres (trois cent soixante-cinq, je le répète). L’oiseau, la vitre, le soleil, le bleu. Métaphores de tous les oiseaux.






Quand la musique s’est tue, de la radio percluse, nous entendons ici, toi et moi, l’immensité de la rumeur du barrage, qui est une fréquence, et que la mouche nous fait entendre, la mouche qui passe, la mouche de midi. La mouche qui se déplace peu importe les hauteurs – tragiques – du ciel ou du soleil. La mouche de partout. Elle cogne de rien dans l’immensité. L’immensité imaginaire de midi. Jusqu’à Toulouse. Une métaphore pour l’ours, c’est le « loup des abeilles ». (Jonathan vient de m’écrire : « Nous on a un ours des Pyrénées sur le plateau. ») Une métaphore anglo-saxonne, répertoriée dans le livre de Jorge Luis Borges, Cours de littérature anglaise.






* Donc sa force.

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Michel Jurowicz. Photo Sara Rastegar.

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« Dans l’après-midi, tandis que le roi chassait, j’avais lu pour la Reine et Gabrielle de Polignac des poèmes de Louise Labé. A travers les noirs drapés de sa chambre à coucher, la soie des tapisserie d’été refleurissait. Envol de pétales et de plumes. Ils tournoyaient dans la lumière orangée de leur théâtre privé. Et je croyais entendre, dans les brefs temps de silence entre les mots, pétales et plumes se déposer en couches imperceptibles sur le ciel de lit. »

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La « vraie » femme




Natacha Mendes. Photos Sara Rastegar.

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