Sunday, December 04, 2022

D ans l'éclatement de l'univers que nous éprouvons, prodige ! les morceaux qui s'abattent sont vivants


Bonjour Loïc, j’ai vu Jennifer très en forme après le spectacle sublime de Trajal Harrell. Elle vit à Stockholm maintenant, elle est prof. On a beaucoup parlé de Morceau (à Alexandre Roccoli qui ne l’avait pas vu). Elle se souvient de beaucoup de choses. Tout revenait comme avant. Je lui ai dit que j’allais te proposer d’essayer de le reprendre, qu’il fallait en parler. Refaire Morceau. Elle a dit (j’ai recopié) : « Sans répéter. Trouver les vieux consignes et se rencontrer sur scène. Répéter, c’est niet ! » 

Elle parle toujours aussi mal français que quand on se moquait d’elle. Bref, elle est intacte. Et, de ces consignes, justement, elle se souvient de beaucoup. Elle se souvient par exemple de : « Comment c’est possible de ne pas construire quelque chose ». « Comme un cadavre exquis ? » a demandé Roccoli — et c’est vrai que ça fonctionnait pas mal comme un cadavre exquis. Etc. 
Bon, et puis si on ne reprend pas Morceau, je t’annonce de toute façon solennellement que je cherche du travail. Si tu as une idée… Comme tu sais sans doute, je viens de faire mes adieux (trois compte-rendus ci-dessous, Thibaudat, Beauvallet, Lasserre). Je me sens libre pour du nouveau, enfin du nouveau, déchargé d’un cycle, relancé finalement, prêt à tout.
T'embrasse, 
Yves-Noël 


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Merci, Gérard ! Le spectacle de Trajal est tout simplement l'un des plus beaux spectacles que j’ai vu de ma vie. (J’apprends avec grand plaisir que vous reprogrammerez Trajal l’an prochain.) Comme tombé du ciel. Dieu sait si j’en ai vu, des belles choses, des Pina Bausch, des William Forsythe, mais, là, c’est encore (pour moi) un nouveau territoire de la beauté, une nouvelle marque. Evidemment ce qu'il se passe quand on voit qqch qui dépasse tout le reste, c’est que j’aurais voulu ne plus voir que ça, y retourner tous les soirs. Mais j’avais des places pour d’autres spectacles (tous du festival d’Automne d’ailleurs) et encore demain.

Je constate que je ne pourrais pas être critique de théâtre : je n’ai pas l’enthousiasme de ceux qui aiment tous les jours quelque chose… Je ne veux aimer qu’une chose. Et cette chose, c’est Trajal.

Amitiés, 

Yves-Noël

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L ittérature de l’instabilité


« Voilà avec quoi je me bats, cette grande masse informe qui change sans cesse, et qui n’est pas capable de s’accorder elle-même sur sa véritable nature, voilà à quoi j’essaye de donner forme et, en ce qui me concerne, parlant à présent moins comme écrivain que comme lecteur, je préfère accorder ma confiance aux auteurs qui reconnaissent l’existence de cette bataille, qui vous font comprendre que toute forme qu’ils imposent à cette masse confuse n’est que provisoire, que leur vision personnelle du monde vient s’interposer, qu’il est très difficile de sortir du cadre. »




Par ces jours de grands froids, j’écrivais dans mon carnet, sans doute devant un spectacle à la beauté incomparable (puisque j’en parlais ensuite dans le même mouvement) : C’est bizarre, cette histoire de « consentement »... « Quand c’est non, c’est non »... Je ne comprends pas bien, parce que, moi, je crois que c’est toujours oui. Il y avait même le titre d’un double spectacle (un diptyque) joué à la Cité internationale [Où je me trouvais et sans doute la raison pour que ça me revienne.] qui s’appelait, titre volé (donc sans son consentement) à Stéphane Bouquet (l’un des plus grands poètes que je connaisse) : — je peux / — oui. On me demande si je veux, si je peux : je réponds toujours oui. Il m’est arrivé de dire non, mais c’est de l’ordre du remords, quelque chose qui me poursuivra jusqu’à la fin de mes jours. Salaud d’avoir dit non. Horreur de se souvenir d’avoir dit non alors qu'on me proposait d’être seulement un morceau de chair, merveilleusement un morceau de chair, toujours merveilleusement. Amitié pour tous les gens que j’ai blessés en disant non, regrets, tendresse, pardon supplié. [Ensuite je parlais du spectacle à la beauté à nulle autre comparable, sans doute le spectacle qui — lui aussi — disait toujours oui...]




stephane.bqt : Je lis cela avec retard mais merci merci et je suis bien d'accord avec le oui et je pense à la fin du monologue de Molly Bloom : oui je veux bien oui. Et oui ouvre toujours plus de mondes même parfois déplaisants que non.

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