Wednesday, March 12, 2025

T remblement


C’est terrible, je considère comme un devoir — un devoir dans la journée, un devoir dans la nuit — de parler à Legrand, de m’adresser à lui, mais de m’adresser à lui ici. Je sais qu’ici il ne me lira pas. C’est par pudeur, paradoxalement, que je m’épanche ici. Y a-t-il quelque chose dans notre histoire ? Rien n’est moins sûr. Je suis consciente de tirer la couverture à moi. Hier en m’endormant transie de froid, les nerfs à vif, de douleur, d’irrespiration, j’avais peur et — comme une prière — je me suis adressée à Legrand : protège-moi… 


J’avais éteint ; j’étais, je crois, dans la nuit noire dans l’appartement blanc donnant sur le lac bleu et je me suis redressée, j’ai cherché mon carnet, j’ai tâtonné, il fallait que j’écrive (toujours cette forme de la prière) : « Soudain je sais pourquoi j’aime Legrand, pourquoi j’ai besoin de sa protection, parce que j’ai besoin de sa protection. Le monde au mieux fasciste au pire nazi qui se matérialise, pas seulement des quelques semaines actuelles, mais des années à venir, j’ai besoin d’une protection, de n’importe qui comme Legrand capable de me protéger ; je sais que je peux compter sur Legrand ; c’est cela mon amour pour Legrand : plus clairement encore que le besoin d’affection — et le besoin d'indifférence —, le besoin de protection » 


Et j’écrivis encore : « dans la nuit noire de l’appartement blanc donnant sur le lac bleu ». 


Je me réveillai plusieurs fois dans la nuit, j’avais froid, j’avais chaud, je ne savais pas ce que j'avais : une fois, c’était l’aube, ce commencement vous savez, juste le commencement, bien avant l’éblouissement de l’aurore, l’aube indécise, juste le contentement d’avoir traverser la nuit, de voir ça, cette réalité, les oiseaux beaucoup. Et je vis que ce que j’avais pris pour un lac était en fait un bras de mer, un fjord sans doute, une rade, quelque chose d’infiniment mélancolique. Ça en avait les couleurs — inphotographiables —, c’était l’humanité du Nord, des quakers, ces gens du Nord, du bleu du Nord, de la Finlande, de la guerre, de la pauvre humanité sous la mitraille, la lumière intérieure décevante, protectrice, mais la lumière intérieure... 

Labels: