L es Feux de la tendresse
Pour ma part, j’ai été heureux, très heureux, extrêmement heureux pendant ces cinq dernières années. Suis-je pour autant un ultra-libéral ? Je vis dans une chambre de bonne dans le quartier multiculturel de La Chapelle que j’adore (entre Barbès et Stalingrad), mais j’ai conscience d’être un privilégié. Je suis un privilégié de la démocratie. J’utilise la BPI du Centre Pompidou dont je visite aussi les expos gratuitement grâce à ma carte d’intermittent du spectacle, je fais du vélo dans Paris (ville que j’adore) grâce à un abonnement à bas prix. Je ne veux pas brader cette liberté (oui : ce confort, ce luxe) au bénéfice du totalitarisme. On me dit que c’est par égoïsme, ok, par égoïsme ! Je ne veux pas, de toute ma voix, être responsable de l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite. Au moment où nous avons élu Chirac à 82%, c’est vrai que je me suis dit après que ce n'était pas la peine, que je n’aurais pas dû y aller, mais, maintenant, je pense qu’on a eu raison d’élire Chirac à 82%, que c’est ce qu'il faudrait faire, élire Macron à 80%, ne pas jouer à la roulette russe, au ballotage. On dit qu’il y a deux gauches irréconciliables, mais l’incompréhension prédomine chez moi. Je ne comprends pas Annie Ernaux pour qui Macron, c’est le diable, je ne comprends pas Edouard Louis qui met en équivalence Hollande et Pol Pot, je ne comprends pas Pasolini qui dit que le capitalisme (ou le consumérisme, je n’ai plus la citation sous les yeux) a fait plus de dégâts que le nazisme, je ne comprends pas ce qu’ils veulent dire. Je ne comprends pas quand on dit que Macron, c’est le choléra et je comprends quand on dit que Le Pen, c’est la peste. Je comprends Annie Ernaux, Edouard Louis, Pier-Paolo Pasolini, trois immenses artistes, quand je les lis leurs récits, j'écris leurs poèmes et que je vois leurs films, mais je ne comprends pas leur parole politique. Je comprends Louis-Ferdinand Céline, mais pas dans son action politique. Cette incompréhension de leurs langues politiques, c’est ma langue à moi. Tout ce que j’ai fait depuis vingt ans, ces dizaines de spectacles miraculeux, tombés du ciel, je n'aurais pas pu sous le totalitarisme, tout aurait été écrasé. Ne pas parler de poésie, ne pas parler de poésie en écrasant les fleurs sauvages… Allez, un peu plus de cette chanson que j’écoutais adolescent et à l’horizon de laquelle je suis resté fidèle : « Rien avoir, mais passionnément, ne rien se dire éperdument, ne rien savoir avec ivresse / Riche de la dépossession, n'avoir que sa vérité, posséder toutes les richesses / Ne pas parler de poésie, ne pas parler de poésie, en écrasant les fleurs sauvages / Et voir jouer la transparence au fond d'une cour au murs gris où l'aube n'a jamais sa chance ». L'AUBE AURAIT ENFIN SA CHANCE Je vote pour une gauche poétique, utopique, débarrassée des idéologies et je vote contre Le Pen.