Monday, November 14, 2022

Le Salaud sartrien (fragment d'un échange avec Philippe Duke sur IG)


C’est un tel luxe de se sentir appartenir à une communauté — que je n’ai pour ma part jamais obtenu. Je n’ai jamais été accepté par aucune communauté. Sauf, par épisodes, quand je joue — et c’est si rare — et ça s’arrête… (communauté très éphémère avec le public). C’est probablement pour cette sensation qui me manque  — appartenir — que je joue. Je vous envie sincèrement et vous admire tout aussi sincèrement car je me sens coupable de cette non-appartenance, de ne faire partie d’aucune communauté, d’aucune croyance. J’ai couché avec beaucoup d’hommes, mais tristement, jamais en rejoignant la communauté. De là à me faire traiter de « salaud »… je trouve que vous y aller un peu fort. Salaud, ok, je le suis aussi, mais cela me rappelle quand même maintenant la phrase que j’avais prononcée dans un stand-up chez Boris Charmatz (à Bobigny) : « Les militants sont des salauds comme les autres » et qui avait fait se lever et partir ostensiblement cinq personnes devant moi 


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En effet, ma sœur est morte du sida. Elle ne faisait pas partie non plus de la « communauté sida », même consolante — ou peut-être un peu (je n’ai pas eu le temps d’en parler avec elle parce qu’elle m’avait caché sa maladie), au sens où le dit Richard II dans sa prison que « nous ne sommes pas la première victime de la fortune et que nous ne serons pas la dernière ; comme ces mendiants stupides qui, assis au pilori, donnent à leur ignominie ce refuge — que bien d’autres y ont été et que bien d’autres encore y seront assis — et qui trouvent ainsi une sorte de soulagement à mettre leur propre infortune sur le dos de ceux qui ont déjà enduré la pareille ». Je me souviens de Claude Régy s’engueulant avec Alain Neddam (un moment son assistant) parce qu’Alain lui demandait de rejoindre une association qu’il avait initiée de lutte pour les droits et de soutien aux artistes victimes du sida (je ne sais plus comment c’était formulé) et de cette phrase qui est restée sur mon disque dur (j’étais si jeune) : « Mais en quoi le sida d’un artiste serait-il plus intéressant que le sida d’un charcutier ?!! ». L’emploi du mot « salaud », lui, me ramène souvent à la célèbre phrase de Kafka : « faire un bond hors du rang des assassins ». Mais, là non plus, hélas, je n’arrive pas à imaginer Kafka faisant un bond pour rejoindre une quelconque communauté, la communauté de ceux qui seraient sortis du rang, qui auraient fait ce bond… Cette solitude dans laquelle je suis est terrible. J’en parle dans ce dernier spectacle — avec le secret espoir de commencer une autre vie, une vie de communauté — ou peut-être simplement de me diriger vers la mort… Bon, j’arrête, pardonnez-moi. J’en ai dit beaucoup, là. Bien entendu, les photos que vous montrez sont sublimes. C’est dans votre Nota Bene que je ne me reconnais pas 

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R etours (TITANIC)

Jean Pierre Ceton


A propos de « TITANIC, hélas » de Yves-Noël Genod (Péniche POP Paris 19e) 


Il fait un spectacle de rien, prêt tout de suite. En général après une et trois avant-premières et quelques répétitions, parfois même sans répétition. Il a besoin de peu en décor, en son et lumière, il n’a besoin que de champagne qu’il a l’habitude d’offrir en bienvenue aux spectateurs.

Il est déjà là lorsque le spectacle commence sans qu’on sache s’il va commencer, puisque ce serait le dernier (« Plus assez de commandes, pas assez de public pour continuer »). Ou s’il a déjà commencé, sans qu’on s’en soit rendu compte… 

Après le départ d’un chanteur qui chante et d’une chanteuse qui mime son chant, survient une musique très forte pour nous extraire de nos petites obsessions du jour. 

Lui s’est assis avec les spectateurs installé tout autour de la cale d’une péniche comme des migrants dans un paquebot militaire reconditionné.

Sa voix enchaîne les mots, car « ce dont le silence a besoin, dit-il, c’est que je continue de parler », même si le rire de quelques personnes couvre les fins de phrase que par conséquent on ne capte pas…

Ainsi qu’il l’avoue, « il a piqué des trucs à droite, à gauche » du texte contemporain, oui mais avec beaucoup d’humour, et très habilement car il les fait interagir …

Au travers de beaucoup de belles phrases (« Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce ! ») et alors qu’on est dans le noir, le silence ou bien que reprend une chansonnette, il nous parle du lien confronté entre artiste et société.

Il nous donne des nouvelles du monde à travers de multiples citations de personnages disparates. Et de nombreuses citations de Duras dont il semblerait qu’il en découvre régulièrement. Noter que cette dernière qui fait son chemin partout : « Maintenant on pourrait presque enseigner aux enfants dans les écoles comment la planète va mourir, non pas comme une probabilité mais comme l’histoire du futur », cette dernière donc date de l’immédiat après explosion du réacteur numéro 4 de Tchernobyl en 1986.

Yves-Noël n’est pas un comédien au sens tout simple mais un acteur de la scène et de la vie. Il laisse passer une vision pessimiste autant qu’un optimisme lucide.

Juste un acteur qui résonne le bruit du monde. Et qui le fait avec classe, élégance et drôlerie. 

Au retour du chanteur Aymen et de la chanteuse du silence, il va s’installer dans un hamac pour écouter leur ritournelle. Et dormir :  « On croyait qu’on en avait fait le tour, au contraire, on plonge de plus en plus dans l’autofiction ». 

JPC



Wagner Schwartz

Aucun spoiler n’existe pour la fin du monde, pour la fin de la vie, pour les adieux à la scène, pour le Titanic. C’est notoire : nous allons couler. Sous la terre, au fond de la mer, dans l’oubli.

L’angoisse apparaît lorsque nous anticipons une telle expérience : être seul pour la dernière fois, même en compagnie. Être entouré peut empirer la situation, ça peut donner l’impression que la fin est vraiment proche. Et l’angoisse augmente potentiellement quand on voit autour de nous ceux qui ont encore droit à la vie. Merde.

Je dis ça parce que j’ai assisté au dernier moment d’un artiste à bord d’une péniche. Je faisais partie de la flotte du Titanic d’Yves-Noël Genod. Si vous avez pensé au cinéma, oui, il y a quelque chose de Tarantino dans sa pièce, quelque chose de son film Il était une fois à Hollywood. Et, si vous n’avez pas encore vu ce film, vous ne connaissez pas la nouvelle fin de Sharon Marie Tate Polanski. Quoi qu’il en soit, il pourrait être intéressant de se rendre à la péniche La Pop les 25, 26 et 27 novembre pour vivre une nouvelle fin de Titanic, pour mourir et rire.

On dit que les scènes qui passent dans la tête d’un être humain avant sa mort peuvent durer quelques secondes. Chez Yves-Noël, elles durent 1 h 40. (Je les ai toutes vues et entendues dans mon dernier souffle, sans m’apercevoir que la vie ne tenait qu’à un fil. Aux côtés d’Yves-Noël, je n’ai pas vu la mort venir. Même les fantômes qui le fréquentaient pendant son monologue semblaient être vivants, répondant aux instructions les plus sobres de son interlocuteur.)



Patrick Bertaux

Yves-Noël bonsoir,

Bravo et merci pour ce grand TODO que tu nous a donné cette après midi. Quand nous sommes sortis de la péniche portugaise et que nous avons longé le quai, nous étions fans et portés par ta formidable énergie pour jouer, lire, écrire, pratiquer le silence, diriger ce chanteur à la voix d'or et cette femme intrigante…

Oui, bravo et merci,

A bientôt,

Patrick



Robin Causse

J'étais tellement heureux de ce moment avec toi dans la cale.

C'était si beau, vraiment. Je ne peux croire que c'est ton dernier spectacle. Le monde à besoin de beauté comme cela, encore.

J'essaie de t'envoyer du monde : mon copain Wandrille, mon ami Audouin Desforges...



Violette Villard 

Cher Yves-Noël,

Voilà, j’ai mille choses à te dire.

Ton spectacle a réveillé toutes mes ferveurs théâtrales.

Il m’a aussi tenu éveillée pratiquement toute la nuit.

J’aurai bp à te dire. Et je le dirai mal aujourd’hui.

Juste 2 ou 3 maintenant en pointant très minutieusement. 

1/Tu dois démarcher le théâtre privé( l’Atelier, la porte st Martin, le lucernaire). Arrête le public qui ne sait plus reconnaître ses vrais artistes.

Il y a dans «  Titanic » parmi la multiplicité des récits que tu convoques une histoire du théâtre, ta propre chambre intime où tu narres avec élégance et joue ces généalogies qui t’on faites : Regy, Duras .

Cela est d’évidence vendable.  

2/ Il y a surtout que tu nous a proposé hier autre chose que ce que tu sais déjà le mieux faire. Ton talent c’est faire théâtre de rien, inventer de gracieuses  épiphanies, on croit un moment dans ton prologue qu’il va s’agir de ça, se présente un spectre de ton « ancien theatre » mais très vite après le noir et l’opéra, tu t’entreprends dans le vertige du neuf( un pur show man).

Là, tu sautes dans ta zone sorcière, tu mêles toutes tes voix et tonalités. Cela c’est un one man show Poétique, ironique, d’une merveilleuse mélancolie et c’est encore davantage vendable dans le privé presque tel quel (1 heure) 

3/ ensuite et 3 eme piste la plus commercialisable: ce concept ancien que tu dois réinvestir : « Viens quand tu peux ». Tu réécris ton synopsis, tu peux jouer ton spectacle( celui là même) quoi qu’il arrive et en même temps tu lances chaque soir une invitation: Gérard bien sûr, Michel aussi, et tant d’autres Blanche, Fabrice,  Isabelle, Charlotte mais surtout des moins connus ( tu listes des acteurs qui t’intéressent)  et c’est là que tu gagnes. 

Vraiment, cette 3 ème piste, démarche la.

Regarde sur le fb d’Edouard Baer ce qu’il annonce au théâtre st Martin a des heures improbables son cabaret théâtral. Ton «  Viens quand tu peux » c’est vendable à mille pour cent. 

J’ignore comment se passe les pré-rdv avec un théâtre. Tu as plus accès aux noms des programmateurs que moi. A l’atelier par ex ou st Martin, si tu trouves les interlocuteurs et si tu veux qu’on en parle, que je vienne avec toi. 

Titanic annonce un virage, pas une fin. Les commencements de tes « mille en scène  » dans le privé.

Pensées violette


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