Saturday, May 12, 2018

Très heureux, comme je vous ai dit, de cette semaine de rencontre avec chacun d’entre vous ! Très ému par ce que vous faites, surtout quand quelque chose de votre être, à chacun, affleure. Si ça affleure, c’est qu’il y a de votre part de la confiance. Merci. Continuez de prendre, chacun d’entre vous, toute la place mystérieuse de votre être. Vous seul pouvez savoir. Plongez en vous-même. Lisez-nous votre « livre intérieur », comme dit Marcel Proust. Ce travail est assez peu un spectacle de moi, c’est un documentaire sur vous. Mais tous mes spectacles le sont, des documentaires sur des interprètes dans des espaces. Des mises en valeurs. La splendeur de la vie. La souveraineté. La « souveraineté » est un concept de Georges Bataille et on lui demandait dans un entretien (dans l’ancêtre du « Nouvel Obs », je crois) s’il avait une image pour ce concept, il avait répondu : « Oui, j’en ai une, une vache dans un pré ».
On va essayer d’être au plus juste avec ce travail qui doit être à la fois modeste et ambitieux dans le même mouvement. C’est le fait qu’il soit modeste qui est ambitieux. Il ne doit être que ça, mais tout entier ça.
Comme on s’est dit tout à l’heure, vous essayerez de ne pas surjouer (ni même de jouer) le « groupe de jeunes du conservatoire ». Idéalement il faudrait réussir à mettre cette réalité apparente dans le secret. 
Exemple : dans mon spectacle de l’année dernière, La Beauté contemporaine, il y avait deux garçons qui traversaient le plateau plusieurs fois en parlant hollandais. Ils le faisaient très bien. A la directrice du théâtre qui me le faisait remarquer, j’ai dit : Il y a un secret, c’est qu’ils sont frères. Ils parlaient de leur enfance dans le jardin de leur grand-père, personne ne le savait, personne ne savait pourquoi ça marchait, mais ça marchait parce qu’ils étaient reliés à cause de cette dimension gardée secrète.
Autre exemple : le somptueux spectacle des Bouffes du Nord, 1er Avril, les premières cinquante minutes du spectacle ont été créées en un jour (le premier jour des répétitions) et n’ont jamais été retouchées, pourquoi ? Parce que les deux chanteurs étaient, dans la vie, mari et femme (et s’aimaient beaucoup), l’amour n’était pas à jouer. Il était là. Secret, caché, d’autant plus là. Personne n'avait cette donnée dans le public (sauf leurs proches) qui était pourtant ce qui faisait tenir la beauté de cette première partie. 
Vous, c’est pareil, vous devez réussir à faire disparaître cette vérité qui m'a enthousiasmé quand je vous ai rencontré : le travail était fait, vous formiez un ensemble.  Ainsi vous n’avez pas à le jouer (ni à le surjouer), vous comprenez ? Cet ensemble est peut-être plus réel que vous ne l’imaginez. Peut-être que dans la vie du conservatoire, vous avez l’impression d’en faire beaucoup pour que cet ensemble existe, mais il existe peut-être d’une manière plus profonde que vous ne l’imaginez. Acceptez-le comme une donnée de la nature. Comme un amour. Rendez-le secret. C’est déjà cette beauté qu’on voit dans le spectacle, je vous assure.
D’ailleurs, inscrivez au-dessus de votre lit (au moins jusqu’à vendredi) cette remarque d’Hamlet sur les comédiens : « Les comédiens ne savent pas garder un secret, il faut qu’ils disent tout. » Et apprenez, chers amis, que c’est le secret (ce qui échappe), la poésie.
Vincent, on essayera — tout en gardant ce que tu as fait en lumière — que tu puisses te permettre plus de variations, plus d’événements comme atmosphériques, indépendants,  pour indiquer que le temps passe (en accéléré), les nuages, jour, nuit, etc.
Tanguy a une très bonne idée qu’il nous a dit tout à l’heure, à Yanis et à moi, dans la voiture, que la discussion finale soit faite dans l’état de la fin de la fête, comme à l’aube, après encore, comme si du temps avait passé, une ère, beaucoup plus grand que l’heure et demie, mil ans…
Ce serait ça, le sens du spectacle : du temps, de l’espace et, bien sûr, des questions métaphysiques inutiles (d’où venons-nous, où allons-nous, qui sommes-nous…) 
Il y a aussi, nous n’en avons pas parlé, le kairos. Les Grecs avaient deux dieux pour le temps, Chronos mais aussi Kairos qui est le dieu du bon moment, de l’occasion à saisir, souvent représenté par un adolescent aux cheveux longs qui passe en courant et qu'il faut attraper par les cheveux sinon il disparaît à tout jamais (même si un autre, mais jamais le même, pourra surgir un autre moment). C’est un spectacle sur ça : le moment juste, la possibilité de la rencontre. C’est ouvert — et à la fois plongé dans le secret (parce que : que savons-nous, d’où venons-nous, qui sommes-nous, etc.)
Je vous donne rendez-vous vers midi le 18. Vous préparerez la scène et j’arrive à 12h54, Tanguy, tu viendras me chercher à la gare et je serai là pour commencer à 13h30 jusqu’à 18h-18h30. On fera un filage et on retravaillera certaines parties (comme la fin). D’ici là, amusez-vous bien. 
Ah oui, Pierre, si tu te charges des commissions comme tu l’as dit, achètes plus de bières, il y aura plus de monde…
S’il y avait une présence très réelle, très décalée par rapport à vous (et d’un abord pas trop compliqué), faites m’en part, je pense que ce serait super. Mais il faudrait quelqu’un de très décalé par rapport à votre groupe ; par exemple avec une différence d’âge, de corps, de culture, etc. forte.
Envoie, Pierre, tes photos qui ont l’air top pour qu’on fasse de la pub,
Yves-Noël

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Une partie de l'équipe. Avec les CRS dans le fond. Ne loupez pas, tout à l'heure à 15h, au T.u (Théâtre universitaire), arrêt Facultés, ligne 2 du Tram, à Nantes, PAULINE PARTOUT JUSTINE NULLE PART, une comédie de circonstance réalisée avec la troupe du conservatoire régional de Nantes : dernière avant-première en entrée libre. Ils ont la rage, je peux vous dire !
Photo Tanguy Bordage

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