Thursday, April 29, 2010

Harcourt

Backstage

(Pour Pierre.)






Les immensités du théâtre. Je suis dans le foyer qui s'ouvre sur le restaurant qui s'ouvre par les baies vitrées sur la rue. Le temps est plus orageux aujourd'hui. Je regarde lentement Phantom of the Paradise. Personne ne fait rien. Il est fait, ce spectacle. Alors les comédiens s'inventent des rendez-vous particuliers avec le metteur en scène. J'imagine trop bien. Là-haut, dans l'atelier des costumes, les petites mains travaillent d'arrache-pied nez en moins. Lies coud des cheveux sur le bustier de Mary. Elle me dit : "Je suis énervée - "énervée", c'est comme ça qu'on dit ? Parce que c'est difficile." Elle est flamande. C'est elle qui a eu l'idée des bières, yesterday. Elle me fait un clin d'œil. Derrière moi, je tire d'une main le rideau rouge sombre pour effacer les reflets sur l'écran - sans me lever du fauteuil club. Je pense que Joël Pommerat fait un travail aussi important que, par exemple, Patrick Modiano, dont j'aimerais lire le dernier roman qui se trouve dans les kiosques des gares. L'immensité de Joël Pommerat. C'est marrant, Claude n'a pas aimé. Mais ça ne m'étonne pas non plus : il est en plein dedans son travail. Il est animé par son travail, ce n'est pas le moment pour lui de l'être par celui d'un autre. Il aime trop ce qu'il fait, lui ! Il a raison. (On compte sur lui.) La nuit passe de jour en jour. Des malabars, des ordures... Du grand escalier, descend une femme au cheveux rouge sang. Je crois qu'il font un spectacle pour enfant là-haut. (Je ne sais pas où j'ai été chercher ça.) On entend "This love survives the edges... history... the pages... " au moment où Antony (qui m'a rejoint) reçoit un coup de fil pour moi : "Oui, il est là. Oui, je le lui dis." Il faut encore que je passe aux toilettes. Dans la grande salle, quand j'y retourne, quelque chose est créé par la lumière. On entend quelques mots de Prométhée. Ce n'est pas encore à moi. Mais l'espace créé (d'une manière inconnue et invisible) est remarquable, mystérieux. Le maigre Claude Schmitz, crâne coquille d'œuf fiché sur une chemise et un pantalon noirs, cette immobilité des extrémités visibles (non couvertes), il montre aux acteurs. C'est facile de jouer avec lui : il montre tout. Il est un être-machine, un cerveau surdéveloppé. Francine est constamment dans ses papiers, Marie-France, corbeau noir, sur son écran (un MacBook Air). Distances immenses sur le plateau et air doux. C'est agréable. La lumière est de plus en plus agréable. Les Célibataires sont de plus en plus fatigués (ou démoralisés) et, donc, de mieux en mieux. Ils occupent le plateau comme des cafards dont personne n'a rien à foutre : c'est parfait (très mystérieux). Claude, je vois sa méthode : fatiguer les acteurs pour n'en avoir plus que la beauté naturelle (à la Robert Bresson). Ça et l'esprit comme décor. La boîte crânienne. (Mais je me flatte, moi, d'être déjà travaillé dans ce sens.) Joseph Chance, à quatre pattes sur la table, se laisse caresser comme un animal. Il m'accorde maintenant sa confiance. Il m'a écrit un poème sur mon carnet :

There are days in the fire of me
That burn at the edges of love
What would we not give
To live at thoses limits always ?
With the abandonment of /starlight,
With the soft shadows of our souls /ablaze.


JC Byron.

Et, comme vous le voyez, il l'a signé JC Byron de manière à ce que je puisse hésiter sur l'importance du message. Je lui ai dit ce que j'avais pensé : que si ça avait été de lui je l'aurais récompensé d'un long French kiss all over the night, mais que si ç'avait été de Lord Byron, il n'aurait eu droit qu'à un vulgaire blowjob. C'est de lui. Et c'est ce long baiser still qui arrivera une nuit prochaine. Je finis ce texte au Fontainas en buvant de la Kriek (bière à la cerise). Toujours cet été phénoménal - dont on ne peut rien - pas grand chose, dans mon cas. Quand c'est comme ça, si évident, je pense toujours à ma sœur qui aurait pu vivre ça très bien. Mais je vais faire un autre article pour vous raconter L'Arnacœur. (Car je me suis arrêté à l'UGC place de Brouckère après la répétition.)






(Journal d'un créateur, 29 avril)

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La haine (en belle de jour)

"Il faut toujours se méfier des hommes. J'avais 14 ans à la Libération. J'ai vu des voisins lapider des femmes et uriner sur leurs cadavres. Les mêmes s'apitoyaient sur un chien, la veille. On est comme ça : on décide qui est l'ennemi, et on massacre. En plus, on raisonne pour justifier ses instincts de haine."

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Belles de jour (dédiées à Rémy)

"Un acteur a très peu de certitudes, beaucoup de doutes. Qui faut-il être ? On est dans l'impalpable."



"Le contact avec l'art équestre m'a fait progresser dans l'art dramatique. Je me souviens d'un professeur du Conservatoire qui me disait : «Tenez votre cheval, monsieur Rochefort !» Le cheval apprend à faire moins pour obtenir plus. Il apporte aussi une certaine onctuosité dans les rapports, il faut avoir «les mains douces», créer un accord tactile. Cette tactilité m'importe de plus en plus avec l'âge. Sentir une présence tangible."



"Le dimanche après-midi, j'allais voir Gary Cooper et je me disais : c'est là-bas qu'il faut habiter. Derrière l'écran…"



"Est-ce que tout le monde a envie de vivre dans la fiction ? Je soupçonne qu'il y a une confusion entre les métiers du spectacle et la vie dorée des «people», telle qu'elle apparaît, retouchée, dans les médias."

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