Monday, February 24, 2025

L e destinataire s’est effacé (2)


All his friends were rich. Ils étaient riches de se trouver en sa présence 

Il y avait parfois — certains lundi soirs — quelque chose d’insupportable à se révéler comme la vie était fastueusement belle et riche, trop belle et trop riche peut-être pour quelqu’un qui avait trouvé plus confortable, peut-être, toute sa vie durant, de se plaindre et qui s’apercevait enfin que, là où il n’était pas, quelqu’un avait pourtant vécu 

Le professeur de danse m’a raconté tout à l’heure qu’il venait d’être juré du concours du Conservatoire et qu’il y avait, parmi les épreuves, un entretien et que, dans son entretien, un enfant avait répondu à la question pourquoi voulez-vous entrer au Conservatoire : « Je veux être une star et que tout le monde me regarde » 

Comme une sorte de contemplation un peu large qui inclut la lecture du journal

C’est-à-dire que, jusque là, il y avait un futur rêvé, un futur qui allait dire oui plus tard dans le futur, mais que, maintenant, peut-être — tout cela n’était qu’une supposition —, il n’y avait plus de futur, il n’y avait — peut-être — que le présent, comme le nom l’indique, comme un faisceau de surprises (souvent bonnes, il faut bien le reconnaître)

Mais nous n’étions, individuellement, là que pour si peu de temps, c’en était drôle... Il reste combien de temps ? 

Bien sûr, il y avait la mort, individuellement, mais il y avait aussi la propulsion dans la mort, socialement. Parfois on pouvait même souhaiter que l'humanité disparaisse de ce moyen-âge qu’elle n’était capable, chaque fois, que de recommencer de plus en plus vite, la destruction, la destruction comme une ancienne locomotive lancée à fond

On the bank of the Ganges

Il est déjà si tard, c’est heureux   


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L e destinataire s'est effacé


Quand je vois Legrand, des choses me déplaisent chez lui, dans son comportement, dans son apparence, de plus en plus souvent, d’ailleurs, mais je me retiens de lui en faire la remarque (déjà que mon état à ses côtés est une plainte sempiternelle : « aime-moi, moi qui t’aime »). Mais, quand je ne le vois plus, ces choses que j’avais détestées chez lui deviennent des fétiches d’adoration. C’est au cours de danse que j’écris ça (dans mon carnet rouge) ; du coup, je loupe la monstration de l’exercice à faire (que je ne ferai pas). Je me dis aussi (au cours de danse) que je devrais relire Fragments d’un discours amoureux feuilleté il y a fort longtemps (alors que je ne connaissais pas l’amour), ça m’éviterait peut-être de le réécrire. Mais il faudrait aussi que je lise Les Souffrances du jeune Werther, jamais lu, ah, mon Dieu ! il faut tellement lire pour comprendre que tout dans le monde tel qu’il se présente en sa propre expérience a déjà été dit, que le « dire » est assez circonscrit et qu'on ne peut jamais mieux dire que ce qui, un jour, a été dit définitivement. Et c’est souvent. Depuis le temps que nous sommes là et que Dieu écrit en nous. Je tombe à présent sur un passage de Paul Valéry (Tel quel, 1941) qui, en tout cas, corrobore : « Il n’existe pas d’être capable d’aimer un autre être tel qu’il est. On demande des modifications, car on n’aime jamais qu’un fantôme. Ce qui est réel ne peut être désiré, car il est réel. Je t’adore... mais ce nez, mais cet habit que vous avez… » Et encore :  « Peut-être le comble de l’amour partagé consiste dans la fureur de se transformer l’un l’autre, de s’embellir l’un l’autre dans un acte qui devient comparable à un acte artiste, — et comme celui-ci, qui excite je ne sais quelle source de l’infini personnel. » Certes on s’embellit l’un.e l’autre, j’ai connu ça qu’on nomme l’amour et j’embellis Legrand dont la statue grecque ou romaine souvent s’humanise et s’enlaidit. Je suis consciente de ma pauvreté psychique à son approche, mais, néanmoins, je me vautre dans ce luxe du pauvre : embellir et aimer...




*




« Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre. C’est comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots. Mon langage tremble de désir. L’émoi vient d’un double contact : d’une part, toute une activité de discours vient relever discrètement, indirectement, un signifié unique, qui est « je te désire », et le libère, l’alimente, le ramifie, le fait exploser (le langage jouit de se toucher lui-même) ; d’autre part, j’enroule l’autre dans mes mots, je le caresse, je le frôle, j’entretiens ce frôlage, je me dépense à faire durer le commentaire duquel je soumets la relation. »

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