Friday, July 22, 2022

Titre : Ma vie, ma mort


Romain était allé retrouver sa copine avec qui il s’était disputé, alors c’était la nuit de la réconciliation ; j’étais seul dans la grande maison en chantier et la nuit noire ; les ouvriers étaient dans leur dépendance, peut-être eux aussi sur l’Internet ou déjà endormis (endormis comme jamais je ne le serai, à moins que Mao revienne au pouvoir : comme des travailleurs) et ma tristesse s’est transformée en plainte — non, je ne m’exprime pas.

J’étais furieux car je n’arrivais pas à avancer dans les Essais, que j’avais choisi pour livre de mon été. Je ne peux lire (je ne sais lire) qu’en poésie, et, dans Montaigne, il y en a énormément, de poésie (par exemple, la haine se dit le « maltalent »), mais il y faut un cerveau, et ce cerveau je ne l’avais pas, même à l’ombre du chêne unique dans le grand champ dévasté sous les collines dessinées par Dieu, mais uniquement le soir (car qui a inventé l’après-midi en Sicile ? sans doute le diable, ou la maffia).

Hors, dans la nuit noire et dans la plainte inaudible (mais un oiseau continuait l’espace), je suis retourné à Nerval. Nerval me fascine ; là aussi, c’est difficile, mais ça touche la folie (et on comprend que la vraie difficulté est là : ça touche à la folie). Et, dans la nuit noire, j’ai prononcé avec une voix très basse, très morte, une voix qui ne m’appartenait pas, comme j’aime, j’ai prononcé l’immémorial soudain qui revenait. La poésie, encore une fois, me sauvait. Quel est le sens ? il n’y en a pas, mais d’autres l’ont traversé. Le sens, c’est la continuité des siècles et des siècles et la mémoire reconduite, la trace qui en témoigne. Bien sûr, je veux parler des Chimères, des Petits châteaux de Bohème, des Filles du feu, d’Aurélia qu’on trouve en accès libre sur wikisource, les choses les plus miraculeuses de la poésie française — parce que ça touche la folie. Et dont on trouve des commentaires éclairés sur cairn. J’ai enregistré sur l’iPhone, comme je l’avais fait pour les poèmes de Baudelaire avec Benoît, en rêvant d’un spectacle encore plus caverneux, encore plus solitaire, encore plus heureux. 

Et j’ai pensé à Jean-René (encore, comme chaque fois) qui aime beaucoup ces vers : 


« Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché ;

Et comme un œil naissant couvert par ses paupières,

Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres ! »


(D’ailleurs la copine de Romain s’appelle Serena.)


A présent, le Romain arrose le crépi ; il trouve que ça sèche trop vite...

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