Monday, December 15, 2008

Hélèna m'envoie un chapitre de Mon plus beau spectacle (Toute ressemblance avec une personne existante...)

De : villovitch@wanadoo.fr
Objet : 7
Date : 16 décembre 2008 00:30:56 HNEC
À : yvesnoelgenod@wanadoo.fr


7. La danse classique

(et la relecture)





Tu sais ce qui est arrivé à mon manteau Margiela ? J’ai pris la ceinture dans la chaîne du vélib, et maintenant elle est pleine de cambouis. Comment ça s’enlève, le cambouis ? Ça ne s’enlève pas ? J’en étais sûr. Et sur le bas des manches, j’ai fait des taches de ketchup. J’ai mangé un hamburger au Mc Donald’s et j’ai abîmé mon manteau dès le premier jour. C’est toujours comme ça. Quand j’achète un nouveau vêtement, je ne devrais le porter que chez moi le temps de m’habituer, de comprendre les gestes que je peux faire ou pas.

Aujourd’hui, Wayne a dit : souple le cou, souple le trapèze.

J’ai commencé la danse classique à l’âge de quarante ans, c’est un peu tard pour devenir professionnel, mais je voudrais faire un seul spectacle comme danseur étoile, et puis après j’arrêterai.

Tu as lu dans Le Monde l’article de Rosita sur le cours de danse classique de Wayne ? Elle écrit que la danse, c’est ce qu’il y a de mieux pour rester jeune. Du coup, Wayne a introduit des petits bouts de yoga pour mémé entre deux exercices.

Devine qui il y avait au cours… Cl… Cha… Non, pas Claude Chabrol. Une femme. Oui ! Banco ! Claire Chazal ! J'étais en transe.

Wayne me dit tiens, y a un type qui est venu de ta part s’inscrire au cours. Il l’avait trouvé sympa mais ne se rappelait plus le nom, alors je lui demande : un pédé ? Non, c’était pas ça. Un danseur ? Non plus, un débutant. Je ne vois toujours pas. Alors il dit : un vieux. Là, je vois tout de suite. Je m’écrie : Danos !

Non, je ne peux pas te rendre le short noir que tu m’as prêté pour aller au cours de danse, parce qu’il est tout couvert d’inscriptions. Wayne s’est servi de moi comme cobaye pour montrer aux autres les os et les articulations du bassin ; il m’a tracé partout des traits à la craie.

J’ai l’impression que Wayne veut me virer du cours du danse. Il a lancé une sorte d’avertissement en disant que certains n’étaient pas au niveau. En disant ça, il me regardait. J’ai senti clairement une menace.

Wayne, depuis que Claire vient à la danse, il n’en peut plus. On dirait qu’il ne fait le cours que pour elle.

J’ai encore mal au genou. Je n’ai pas eu mal du tout pendant le cours de danse, mais là, j’ai re-mal. Je vais demander à Thomas, mon psy, de me donner un comprimé de strychnine. Comme ça, le jour où j’aurai trop mal, hop. Je peux lui en demander deux, si tu veux. Un pour toi et un pour moi.

Après cinq ans de danse classique, je découvre qu’il faut bouger les bras à partir de l’extrémité des doigts et non des épaules ! Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi Wayne ne me l’a pas dit avant.

Écoute, essaye de ne pas m’appeller chéri, s’il te plaît. Je viens chaque midi dans ce restaurant avec une femme ou un homme différent. Je ne voudrais pas que les serveurs puissent penser que je suis marié. Comment ça, je n’ai pas l’air d’un homme marié ? Je pourrais très bien être marié, si je voulais. Ce ne sont pas les occasions qui m’ont manqué, tu sais.

Tu notes ça ? Tu notes quoi ? Tu notes « ne m’appelle pas chéri » ? Ça va être passionnant, dis donc. Tu est sûre que tu ne veux pas écrire des choses plus intéressantes, sur moi ? Tiens, par exemple tu pourrais écrire « il enlève toutes ses bagues pour manger ses gambas ». Ah non, c’est vrai, tu écris à la première personne. Bon, écris ce que tu veux. J’enlève mes bagues, voilà. Et toi, tu manges quoi ? Une petite soupe japonaise au citron ? Ah non, c’est mon rince-doigts.

Hier, je suis allé voir jouer Thomas, à l’Odéon. La critique du Monde était catastrophique, je m’attendais au pire. Ça durait deux heures quarante, j’avais prévu de m’échapper à la fin du premier acte si ça m’ennuyait, mais je me suis tellement amusé que je suis resté jusqu’au bout. Qu’est-ce que c’est bien, Shakespeare ! C’est incroyable comme c’est intelligent et universel. Tu notes ça, aussi ? Bon, d’accord, mais alors écris « J’adore Shakespeare, il est comme un frère pour moi ». Tu trouves que ça fait prétentieux ? Moi, je ne trouve pas. Attends, j’ai encore mieux. Note. « Je n’aime que Shakespeare et Picasso. Il n’y a qu’avec eux que je me sens en résonance ». Voilà. Enfin, tu arrangeras ça à ta manière, je te fais confiance. Ah, oui, tu peux ajouter « et aussi avec Mozart. »

Thomas est très bien. Il porte une perruque et un costume moulant qui met ses fesses en valeur. Il joue le rôle de Cassio, un copain d’Othello. Le metteur en scène, un homosexuel, cherche à montrer que Cassio est amoureux d’Othello. Et dans la pièce, il y a aussi Bénédicte, l’ex de Thomas, qui joue Desdémone. Il y a une réplique où elle lui dit « Sois joyeux, Cassio ». Ça m’a fait marrer, parce que j’ai l’impression que Thomas est déprimé, en ce moment, justement à cause de ses relations avec son ex. Enfin son ex, pas son ex, je ne sais pas trop. Depuis qu’il a acheté un appartement sur le même palier que Bénédicte, je crois qu’ils ne sont plus ensemble. Thomas, il n’a pas voulu qu’on aille dîner ensemble après la représentation. Il a dit qu’il était fatigué, malade, qu’il couvait peut-être la méningite ou quelque chose comme ça. Oui, tu as raison, si c’est la méningite, il va être fixé rapidement. En revanche, s’il est seulement déprimé, c’est moins grave mais ça peut durer plus longtemps.

J’ai dit en revanche ? Ça m’étonnerait. Tiens, la fille a côté de nous elle a rigolé en disant au serveur qu’elle ne savait pas si elle allait manger une souris. Une souris d’agneau, bien sûr. Moi, je trouve ça très mignon.

En tout cas, le théâtre de l’Odéon, c’est magnifique. J’étais dans une loge, et à côté de moi il y avait un type, on a un peu parlé, qui avait d’abord acheté une place pour un autre spectacle, mais quand il s’est aperçu qu’il devait aller aux Ateliers Berthier, il a changé son billet parce qu’il préférait venir à l’Odéon. Je lui ai dit qu’il avait peut-être fait une erreur, parce que la critique du Monde était très bonne pour la pièce qui se joue aux ateliers Berthier, et très mauvaise pour celle de l’Odéon. Finalement, il n’a pas regretté. De toute manière, le théâtre de l’Odéon est tellement beau que c’est impossible d’y rater un spectacle. Je voudrais tellement y jouer ! Voilà, c’est ça qu’il faut que tu notes. Je veux jouer à l’Odéon. Ecris-le plusieurs fois, et en gras. JE VEUX JOUER A L’ODEON ! JE VEUX JOUER A L’ODEON ! JE VEUX JOUER A L’ODEON !

Qu’est-ce que tu fais ? Tu t’en vas ? Tu rentres chez toi pour écrire ? Non, attends, je vais te raconter encore une anecdote. A propos, si tu veux, je pourrai te les corriger, tes anecdotes. Dans ce que tu m’as donné à lire, il y a pas mal d’erreurs. Bon, Tchékhov à la place de Tolstoï, tu me dis que tu l’as corrigé, tant mieux. Tu aurais eu l’air vraiment idiote, sinon. Au fait, je te dis ça comme ça, Karénine dans Le cadavre vivant, c’est pas un si petit rôle que ça, en fait.Tolstoï a quand même appelé le personnage Karénine, comme Anna. Non, il n’y a pas de lien de parenté, mais ça devait être un nom qu’il aimait bien. Un nom important pour lui.

Au fait, Tolstoï, tu sais ce qu’il disait ? Il disait que ses passions principales étaient : « cheval, chien, femme ». Et il précisait « dans l’ordre ». Ou bien c’était peut-être « chien, femme, cheval ». Je ne sais plus exactement, mais en tout cas je suis sûr que la femme ne venait pas en premier.

Et quand tu écris que Raphaël aurait pu nous faire un meilleur prix pour son chalet au village naturiste, eh bien en y repensant l’autre fois à ce dîner où il y avait, justement Raphaël et Caroline, j’ai eu honte en pensant qu’ils allaient lire ça. C’est pour ça que quand on a parlé de ce que tu étais en train d’écrire, j’ai dit que loin d’être un portrait fidèle de moi, c’était une espèce de caricature malveillante. Mais je ne le pensais pas vraiment.

Allez, reste ! J’ai encore une anecdote à te raconter. Ça va te faire plein de nouvelles pages à écrire, comme ça tu auras plus vite terminé et puis on pourra partir sur l’Île Maurice. Il faut absolument qu’on passe une semaine dans un pays chaud en janvier. Écoute, je vais te faire gagner du temps. Bon, hier, je sortais de chez mon psy et c’était l’heure du déjeuner. J’étais pas très loin de l’Assemblée Nationale, alors j’ai cherché la brasserie où vont tous les députés. Avec les élections au Parti Socialiste, j’avais un peu la tête à ça. C’est là que j’ai vu Julie. C’est marrant, hein ?

Quoi ? Tu trouves pas ça intéressant ? Comment ça, tu peux rien en faire ? Tu mets pas les patronymes ? C’est un principe ou quoi ? Ben t’as qu’à les mettre. Là, il faut le mettre, en tout cas, parce que Julie Brochen, c’est une actrice connue.

D’ailleurs, c’est quoi, cette histoire de patronyme ? Tu peux pas dire nom de famille, comme tout le monde ? Je vais pas me faire encore avoir. Déjà que tu m’obliges à dire en revanche alors que tout le monde dit par contre… Oui, tout le monde dit par contre. Tout le monde sauf toi et Sandra. Et Emmanuel, bien sûr. Emmanuel Carrère. Ecris Carrère, sinon je me fâche.

Julie, Julie Brochen, elle me dit, je sors du DMDTS. Ben, c’est la Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles. Tu connais pas ? C’est au ministère de la Culture. Moi, je m’attendais plutôt, en la voyant là, à ce que Julie ait une relation quelconque, un lien de parenté avec un député, tu vois. Qu’elle soit la nièce de Martine Aubry, par exemple. Mais non, elle sort du DMDTS ! Tu trouves ça ennuyeux ? Attends, tu vas voir. C’est passionnant, en fait.

Dans ce café, il se trouve qu’il y avait une serveuse qui s’appelait Liliane. Tu trouves pas ça incroyable ? Liliane ! Comme Liliane Giraudon, dont je monte la pièce en ce moment-même ! Quoi, et alors ? T’exagères, moi je trouve que c’est quand même une sacrée coïncidence.

Et puis bon, dans cette brasserie, il y avait un grand écran plat, une télé qui diffusait la chaîne de l’Assemblée nationale, mais sans le son. C’était un peu étrange, tu vois, parce que avec le son, évidemment, on connaît, mais sans le son… Oui, on y va, attends encore un peu, j’y arrive.

Bon, à la télé, il y avait Sarkozy qui parlait et je l’ai vu, vraiment, comme un enfant. S’il y avait eu le son on aurait écouté ce qu’il disait et ça aurait été affreux, bien sûr, mais là on voyait juste un gamin qui voulait faire croire qu’il était grand. Un gamin plein d’énergie qui voulait gouverner le monde. C’était très touchant. C’est tout, c’est ça que je voulais te raconter.

Attends-moi, on part ensemble. C’est toi qui payes ? Allez, tu vas pas faire ta radin. Tu payes ? C’est vrai ? Ça me fait plaisir. Marguerite, elle payait jamais, jamais. Une fois, en Normandie, Yann était parti pendant plusieurs jours et elle avait cru qu’il ne reviendrait pas. Mais il est revenu, évidemment, et pour Marguerite c’était la fête, elle était très heureuse. Alors, à la fin du dîner, dans un élan, elle a dit, je vous invite. Claude, ça l’a fait rire. Il a dit, voyons, Marguerite, vous n’êtes pas obligée d’en arriver à de telles extrémités. Alors, elle, elle a réfléchi une seconde, et puis elle a dit c’est vrai, et finalement elle n’a pas payé. Oui, j’étais là, mais je ne payais jamais non plus, parce que j’étais trop jeune, je n’avais pas d’argent. Non, c’est vrai, tu n’es pas aussi radin que Marguerite.

Le spectacle que je monte en ce moment, j’évite de dire que c’est mon plus beau spectacle, parce qu’on m’a fait remarquer que c’est ce que je dis à chaque fois. Alors je dis : « ce n’est peut-être pas mon plus beau spectacle, mais, en tous cas, c’est le plus abouti ».

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Le sens de la commande

Yves-Noël, ce mot pour te dire que je suis heureux d'avoir vu l'autre jour cette éclosion de vous deux, Bénédicte et toi, sans plus aucun poids inutile et pas de souvenir, la coïncidence d'un instant avec la seconde même.
Rien de ce que je t'avais dit à l'origine ne demeurait. Une libération sans affirmation, juste le vrai poids de chaque geste.
On attendait (on espérait) du Genod foutraque, et c'est ça qui est venu.
Et que le Studio ait accueilli cette éclosion, on en était heureux.
Voilà, c'est tout.

Daniel



Oui, j'ai senti que ça te plaisait vraiment et ça ne m'a pas étonné (je n'avais pas d'inquiétude). J'arrive normalement (sauf exception) à aller dans le sens de ce qu'on attend de moi (même si les commanditaires ne le connaissent pas forcément exactement), j'ai, comme on dit, le sens de la commande – je chope les conditions vraies, par intuition, et j'y réponds (avec mes moyens). J'ai pensé que je pouvais faire cette expérience, là, au Studio-Théâtre, et j'en suis d'autant plus satisfait que je ne pourrais certainement pas me permettre de reconduire une telle expérience avant longtemps, ce serait (au niveau de la carrière) suicidaire : pas de public (malgré l'extrême insistance), aucun journaliste... On a redéployé Mamzelle Poésie mardi 9 à la Ménagerie de Verre dans un très beau paysage de neige (d'Yves Godin), Walser, Nijinski, neuf personnes sur scène, salle très pleine (110), Bénédicte me faisait penser à l'image de l'étoile déjà morte qui continue de diffuser sa lumière. Il y a quelque chose qui est peut-être née de cette traversée aride du texte de Liliane et du bonheur de n'être pas seul – mais avec Bénédicte –, c'est la découverte d'une écriture qui me bouleverse, d'une écriture « possible » – mieux vaut en dire très peu pour ne pas trop mal dire, mais en voici le lien : http://guarantyofsanity.hautetfort.com/

À samedi

Yvno

Le stage aussi s'est très bien passé. Un groupe de haut niveau, très agréable, vif et plein de forces.

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Trois uniques photos d'un spectacle magique




Photos Bernard Genod. Répétition, coulisse, extinction.

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Photo Bernard Genod.

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Daimer

« les taches de sang sur le mouchoir d’Estelle »






Amoureux, oui, c’est le mot (forcément le mot, me dit Bénédicte), ça propose l’amour – alors l’amour, volontiers, il y a un type qui parle de la rue des Vertus, de l’antiphrase, de l’antithèse… Il a raison de dire que ça passe par les mots, l’arrangement des mots, mais – pour soi… on passe par la rue des Vertus pour toujours – et avec les gens qu’on aime en plus, les vivants comme les morts, comme en rêve – et on s’aperçoit – pour la première fois ? – qu’on est capable d’aimer… qu’on était capable d’aimer tout le long de sa vie. Et la vie maintenant offre plein d’espoirs, plein d’espaces, les anciens comme les nouveaux forment un sens, un sens de communication – enfin ! ça faisait longtemps, longtemps que j’attendais un signe… Je me disais, je me disais : à un moment il y aura bien un signe, un ange, un cygne… À un moment, bien entendu, toute thérapie sera finie, une thérapie sera finie, une thérapie. Et ce qui était dit – déjà – dans des livres, Kafka, la splendeur de la vie se tenant à côté – on le ressentira. Depuis toujours je sentais ça : qu’il s’agissait de ressentir. De ressentir comme les engouffrements de colombes dans l’hiver et la rue des Vertus – par antiphrase. À Paris lu aussi, bâti de coquillages, lieu magique, aquatique…

Quel livre emporteriez-vous sur une île ? Aucun livre, le souvenir des livres.

Il y a longtemps que Thomas me disait ce n’est pas une thérapie, plutôt un accompagnement.






Le roi froid






15 déc. 08.



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La citation du jour

« What piece of work is a man ! how noble in reason ! how infinite in faculty ! in form and moving how express and admirable ! in action how like an angel ! in apprehension how like a god ! the beauty of the world ! the paragon of animals ! »
Et Jérémie disait : « C'est un chef d'œuvre, l'homme, c'est incroyable de mobilité, la figure... »

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