Thursday, February 03, 2022

L a République des termites


Ce soir, pour moi, ce sera la dernière de Rester vivant, un spectacle présenté dans le noir total à partir des Fleurs du mal, de Charles Baudelaire, une manière donc détournée (il faut en passer par les ténèbres) d’aller à la merveille. Je suis à Neuchâtel au bord d’un lac très beau qui, hier, était comme la mer. Mais, nous, nous avons eu une manière tellement directe d’aller à la merveille. Ce que nous avons fait ensemble me fait penser à cette phrase de Duras (à « Apostrophe », je crois, au moment du succès de L’Amant) : « On peut aussi écrire dans le bonheur ». Oui, parfois on souffre, parfois c’est difficile et parfois on peut aussi faire les choses dans le bonheur. C’est ce qui s’est passé au Carreau du Temple, dans le luxe du Carreau du Temple : aidé par ce lieu, nous avons eu la force (tranquille) de transformer le négatif (la pandémie) en positif, comme ça, les doigts dans le nez (les doigts plutôt que les goupillons !) La représentation de dimanche fait partie des plus belles choses que j’ai vues de ma vie. Indécidablement du côté du rêve et indécidablement du côté du réel. (Comme d’être plongé dans le noir total : c’est à la fois du côté du rêve : on est renvoyé à son monde intérieur et à la fois du côté du réel : on ne voit pas sa main quand on la met devant ses yeux…) Vous savez ce qu’il s’est passé pour moi quand je suis arrivé à la gare de Lyon, hall 2, en avance parce que je craignais d’être lent à cause de ma jambe folle ? J’ai regardé le hall, les gens, les mouvements et c’était exactement la même chose qu’au Carreau du Temple : une chorégraphie. J’ai été émerveillé. Tout était merveilleux, la communauté humaine et aussi les constructions de la communauté humaine, l’intelligence qui avait fait cette gare, je regardais l’ensemble de l’espèce humaine et de l'expansion de son biotope, les détails, avec l’émerveillement d’un entomologiste devant une espèce sociale et rare de termites ou de je ne sais quoi, d’abeilles intelligentes… je priais en même temps pour que cette sensation reste dans ma vie le plus longtemps possible — hélas, la majeure partie de mon temps, je le traîne en dépression... Mais le train, en première classe (parce que c’était moins cher), a traversé la neige et la montagne et la frontière et, à l’arrivée le dimanche soir dans cette petite ville en descente, tout était encore magique, réel et magique — et les fontaines d’eau fraîches coulaient sempiternellement à chaque coin de rue : chez moi, la maison, l’hôtel où nous étions seuls… Pour tout dire, il y a quand même des notes à cette représentation extraordinaire, mais des notes que je me fais à moi-même parce que je m’étais mis du côté sud où il y avait moins de présence(s). C’était encore le cas et je me suis dit : Mais pourquoi, au lieu d’arrêter le matin la répétition sur la sortie de la migration Nord, tu n’as pas continué quelques minutes jusqu’à l’aboutissement de la migration grand Sud ? Pourquoi tu n’as pas rappelé qu’il y avait bien deux coulisses, au Nord et au Sud ? Pourquoi non plus n’as-tu pas dit : « Si vous sentez que vous êtes depuis longtemps dans la même zone, allez dans une zone opposée » ? Trois choses que vous auriez comprises immédiatement comme vous avez toujours tout compris. Si presque tout semblait se passer au loin et que beaucoup de beauté par effet de superposition semblait m’échapper, vos présences venaient jusqu’à moi, peuplaient ce Sud saharien. Comme si ce qui m'arrivait en gros plan, venait se déposer jusqu'à moi comme des bois flottés, drossés, était l’écume d’un rêve de haute mer, plus loin, plus intense, dont j’apercevais pourtant nettement les animaux marins extraordinaires, colorés, lumineux... — mais j’arrête parce que je sens bien qu’il faudrait être Marcel Proust pour décrire ce que je voudrais dire. Proust ou rien. Laissez-moi ici aussi remercier l’équipe du Carreau du Temple et celle de Faits d’Hiver. Il est rare (dans ma vie professionnelle) qu’un projet soit si parfaitement compris, inconditionnellement soutenu et si joyeusement accompagné. Toute l’équipe a été absolument présente et délicate, mais, évidemment, j’ai souvent eu l’impression (et ce n’est pas qu’une impression, c’est vrai) que, sans le dévouement de Maïa, le projet n’aurait même pas pu exister... Maïa a été avec moi la meilleure des Personal Assistants ! Tenez, si j’avais de l’argent, je la débaucherais (à prix d’or) pour continuer à travailler ensemble… Merci beaucoup, Sandrina, d’avoir initié et soutenu ce projet !

Donc un merci sec et général à toutes et à tous !

Yves-Noël



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T oday le lac était comme la mer



 

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