Monday, September 27, 2010

Molière

Mon père est à l’hôpital. On va lui faire un pontage. On parle de sa situation puis je lui parle de la mienne, du spectacle de Marseille et je lui dis (que je lui envoie aussi par mail) les mots qu’on y entend : Le ciel ne manque pas de charme,/ Mais je préfère/ Les plaisirs, les joies, les larmes/ De notre terre (…) Il me fait répéter, saisit tout d’un coup et s’écrie : « Ah, mais, ça, c’est très bien ! Je vais l’écrire… » (On venait le chercher pour des examens.) Voilà, il faut écrire ce qui a déjà été écrit. Rien d’autre ? Il y eut un soir, il y eut un matin. Ça a déjà été écrit. Rien d’autre. Tout le monde pensera comme moi. Au début de la conversation, Il me dit aussi qu’il aurait pu mourir en scène comme Molière... (Il a dû y penser avant que je l’appelle puisque ma mère lui a dit que j’allais l'appeler.) « Ah, ça – je lui dis – ç’aurait été bien... » (Partie remise.)

Faux rêveur

A Montévidéo, au Centre de Ressources (qui va fermer faute d'argent), j'ai enfin trouvé la revue « Ubu » et, dans le dernier numéro (juillet 2010), l'article de Joëlle Gayot intitulé « La Ouf Génération ! », cet article remarquable si enthousiaste pour une relève du théâtre en France à laquelle Joëlle Gayot me fait l'honneur de m'associer. Elle me classe dans la sous-catégorie « Les faux rêveurs ». Ça me va très bien ! D'autant que Marguerite Duras disait que le mot « rêve » était le mot qu'elle détestait le plus dans la langue française. « Moi, je ne rêve pas, j'écris. » Je recopie, dans ce long article plein d'enthousisame, ce qui semble donc plus particulièrement me concerner (nous, cher lecteur, nous, notre enthousiasme).

« Troisième mouvance : un théâtre apparemment doux rêveur, mais très précis dans sa constitution. Il se repère à ses effets de perturbations, ses légers tremblés, une façon de vagabonder entre les lignes strictes de cadres préétablis. On l’apprécie sous la « plume » de Yves-Noël Genod, qui pour n’avoir plus 20 ans, en est pourtant l’un des plus brillants chefs de file. (…) Avec ces artistes, la scène semble flottante, imprécise. On en discerne mal les contours et les histoires qui s’y déploient jouent d’avantage sur les traces laissées par des textes, des mémoires, des récits singuliers, des images que sur le tranchant d’une réalité. Ce théâtre qui ramasse sur les plateaux des objets de toute nature est arpenté par des acteurs blagueurs dont la présence s’équilibre entre ironie et gravité. Les sensations y relèvent de l’impalpable, de l’onirique. La durée distordue ne répond plus à ses critères habituels. Une minute dure deux heures, une heure dure une poignée de secondes. On ne s’y refuse rien, musique, vidéo, masques. On y fait se lever le souvenir d’autres représentations, les spectres s’y promènent, les ombres passent, l’imaginaire du spectateur est sollicité en sous-main, activement. Ce théâtre sans arrogance s’ancre, durablement, dans la mémoire de chacun. »

Je veux dire à Joëlle Gayot : « Chapeau ! » et bien sûr : « Merci. » Surtout parce que tout l’article est de cette eau la plus pure. Ça m’a remonté les chaussettes, ce qui est dit là. Pas spécialement sur moi, n'est-ce pas, c’est très gentil (mais je commence à être habitué que les gens soient gentils avec moi), non, mais c'est l'ensemble – et si elle avait raison ? Et s'il y avait vraiment une relève en France ? Une école. « Un souffle d’air frais », dit-elle. Le TGV, encore à vive allure, arrivait sur Paris encore à la fête du couchant, quand j’ai lu les photocopies de cet article « de rêve ».

Belle du soir

"C'que j'aime le mieux, c'est le Sud de Sienne, la Toscane un peu aride..."

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Dans des régions sauvées par la mort

J’avais mal à l’œil, mais le monde réussissait à être le plus beau que j’avais jamais vu, comme si j’allais mourir ou si, comme je l’espérais, j’étais juste très fatigué. Je m’étais allongé et j’avais fermé l’œil comme sur le noir du café. Et je les avais rouverts dans des hauteurs comme si la terre touchait le ciel. Je n’avais plus de sexualité, mais j’engageais des acteurs qui en avaient. Je ne les payais pas, mais les putains, les vraies, sont celles qui font payer pas avant, mais après. L’acteur m’offrait son cul, sa sexualité massive et rebondie, ses sécrétions comme il les offrirait à tous. Le ciel touchait la terre avec les vaches et tout, tout ce que j’étais en train de voir pour la dernière fois. J’avais énuméré dans ma tête les livres du XXème siècle que j’avais aimés et qui pouvais entrer dans la catégorie « science-fiction » (puisque Michel Houellebecq avait dit quelque part que la seule littérature valable au XXème siècle avait été la science-fiction). Oui, après tout. J’essayais d’imaginer que les livres que j’aimais du XXème siècle entraient dans cette catégorie. (Exceptée la poésie qui n’est d’aucun siècle et, toujours, de toute façon, une cosmogonie.) Voyage au bout de la nuit, oui, c’est de la science-fiction. A la recherche du Temps perdu, Les Vagues, Moderato Cantabile, Le ravissement de Lol V. Stein, oui, à l’égal des Chroniques martiennes. Disent les imbéciles, Les Fruits d’or, Entre la vie et la mort, science-fiction. Les Georgiques, La Route des Flandres, Tombeau pour cinq cent mille soldats, Eden, Eden, Eden, science-fiction. Coma, Formation. Kafka, Borges, Gombrowitch, Nabokov. Pessoa (avec les hétéronymes : science-fiction). Le Bleu du ciel, Ma mère, oh, j’arrête là ! Ma mère, science-fiction. Modiano, Handke, Strauss, Simenon. Rauque la ville, science-fiction, c’est vrai. La ville rauque, c’est vrai. L’aspect contemplatif du monde est absolument sans menace. J’avais la sensation extraordinaire de glisser au-dessus du monde. L’ordinateur vibrait sur la table, mais, moi, à travers ma respiration difficile, j’avais la sensation de glisser, la sensation technologique. J’étais heureux d’être recueilli. Les gros nuages moelleux s’échappaient de mon cœur. Je ne pourrais bientôt plus écrire. Il y avait tout près… tout était là… Tout était de nouveau découvert. Ecrire n’était jamais décrire car tout était vivant. On ne pouvait rien toucher (de cette manière). On ne pouvait rien toucher d’aucune manière. La terre touchait tout. Et le ciel ne s’envenimait pas. Le ciel reflétait, (…), modérait. Redorait. La lumière, c’était la lumière. C’était ce que je n’allais plus cesser de ne jamais voir. Ma maladie. –

Haïku

lire et les guenons
je regarde le ciel percé d’étoiles
le sommeil est mon besoin

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Trouver de l’argent

(Une adresse)

Hubert Colas et Anaïs Rebelle organisent pour moi pendant le festival une rencontre avec des programmateurs en vue de les intéresser à mon projet d’opérette (livret de Nathalie Quintane) dont nous avons déjà fait, avec Pierre Courcelle, Thomas Scimeca et Jonathan Capdevielle un ACR sur France Culture. Ça doit se passer à La Criée à 10 heures, le 8 octobre. Problème : un clash avec un technicien (ou concierge) de La Criée qui fait que je n’y mettrai plus jamais les pieds (au moins tant que la direction – au moins – n’aura pas changé). Bon. Mais j’ai un problème avec ce projet. En réécoutant les chansons enregistrées, en ce moment, je n’entends pas d’ ça parle. Ça semble tirer dans plusieurs directions contradictoires. Je ne vois pas ce qui pourrait intéresser les gens, je ne vois pas la matière. Pour moi, un travail (un spectacle), c’est d’abord un contenant. Ce n’est pas qu’il n’y a rien dans ce contenant, mais c’est tout comme. Rien n’aura eu lieu que le lieu. Le lieu n’est pas seulement le lieu (comme la salle ronde en pierre et acoustiquement très précise de la Condition des soies), c’est aussi la personne. La personne comme un lieu, le lieu de la personne. J’ai eu cette sensation à partir de cette phrase célèbre de Mallarmé en voyant travailler Thomas Gonzalez dans le très beau spectacle que nous présenterons le 8 octobre à 19h30 au festival actOral, dans la grande salle de Montévidéo, velours noirs et sans lumière comme nous l’avons trouvée en arrivant pour ces trois jours de répétitions. Vous savez, Il y eut un soir, il y eut un matin, c’est ce qu’on entend dans le spectacle qui s’appellera peut-être La Mort d’Ivan Ilitch. Et, de cette phrase de la Genèse infiniment plus célèbre encore que la phrase de Mallarmé, Marguerite Duras disait : « Qu’est-ce qu’on peut écrire de mieux ? » On ne peut pas. On ne peut rien écrire de mieux que cette phrase parce que Rien n’aura jamais eu lieu que le lieu. CQFD. Marguerite Duras citait aussi souvent ce qu’elle considérait comme la plus belle des phrases qu’elle ait jamais, elle, écrites : « Ici, c’est S.Thala, jusqu’à la rivière. – Et après la rivière ? – Après la rivière, c’est encore S.Thala. » (J’y pense toujours quand je vais à Trouville-Deauville effectivement séparées par une rivière.) Tout ça pour parler de la difficulté qu’il y a à intéresser les gens sans lieu. Paradoxe. (Peut-être que les programmateurs sont eux aussi à la recherche non pas de contenu, mais de contenant. De théâtre pour leur théâtre.) Mais il y a un lieu pour cette opérette marseillaise que j’ai trouvé avec l’aide de Fabien-Aïssa Busetta, c’est le théâtre de l’Œuvre. Théâtre fantôme absolument David Lynch où de très vieux chanteurs font encore, une fois par mois, un spectacle qui évoque la splendeur passée de l’Alcazar, le music-hall détruit dans les années après-guerre dont il ne reste que la porte ouvrant sur le vide (et l’idéal). Mais Anaïs me dit, avec raison, que ce sera impossible de déplacer les programmateurs qui refusent d’aller à pied, même pour deux fois un quart d’heure dans Marseille et le Vieux Port. On me parle aussi d’un lieu pour jouer Le Parc intérieur, le spectacle d’Avignon, c’est la salle ronde de la Vieille Charité, une salle consacrée à des expositions, peut-être trop belle. « Ce serait comme si tu jouais au Taj Mahal », me dit Thomas Gonzalez à qui je fais part de mes difficultés. Thomas me dit que tout ça peut se formuler, qu’il y aura bien une ou deux ou trois personnes parmi les programmateurs pour les entendre et il me donne quelques phrases que je prends en note. Je pourrais dire que Cette opérette-là n’est forcément pas liée à ce qu’on peut présumer d’elle, que C’est d’abord un espace et des gens et que, Même s’il y a déjà une partition et un livret, toutes les présomptions doivent arriver comme des fantômes dans un lieu et pas comme un prédicat de départ. Si un travail, c’est juste se mettre au diapason d’un prédicat de départ – dit-il encore –, c’est que mon spectacle existe déjà et que je n’ai même pas besoin de le faire. C’est l’éternel problème d’être obligé de monter des projets et d’être obligé d’y apporter des réponses. Jean-Luc Godard – c’est maintenant moi qui reprends – en a souvent travailler la question. Comment trouver de l’argent pour un film sans scénario ? Une émission hier sur France Culture évoquait Klaus Michael Grüber (« Une vie, une œuvre »). Je me demande par quel incroyable faisceau de chances les plus beaux spectacles que j’ai, pour ma part, jamais vus ont pu exister. Je suis content des formules que Thomas m’amène : « prédicat de départ », « présomptions »… Je constate avec lui que tout ce que je pense concerne, en fait, tout le monde et qu'il est possible d'en parler. « Ça peut se dire de manière amoureuse. Voilà, le paradoxe, il est là. Je suis là, devant vous et, finalement, il est tout de suite question d’argent et la question d’argent vient court-circuiter tout ce qui pourrait se passer. C’est comme finalement un non-lieu – avoue, déjà... – de parler d’un truc qui serait plus beau si y avait pas d’argent et si je disais : je vous emmerde. » Amoureusement,

YNG

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J'adore Daniel Schneidermann

J'adore Daniel Schneidermann. Il a écrit un texte parfait dans "Libé" d'aujourd'hui (page 23) intitulé : "Terrorisme : un point précis sur la menace." Il faut que je trouve très vite (tout de suite) un théâtre pour le jouer ! Ça s'appellera : Un point précis sur la menace.