Sunday, October 31, 2010

Ronde illusion de mes saisons

« Trois p’tites
notes de musiques
ont plié boutique »




Le présentateur parle des débuts du tango. Il y avait, en Argentine, une population de soixante-dix pour cent d’hommes. Il n’y avait, avec eux pour danser, que « les femmes de rue et les femmes de chambre ».
Une femme qui fait la plonge dans les restaurants et qui élève seul son fils commence le spectacle : « Les feux s’allument dans la prairie… » « Pauvre gaucho, chante ta tristesse Mais entends là-bas toute la pampa… » « Pauvre gaucho, chante ton amour Il te reste au fond dans ta détresse Le souvenir des beaux jours… »
« Guitare d’amour », chante la cadette, soixante-deux ans, une blonde, mon Dieu, seyante, en fourreau noir, boa noir et rose rouge. « Une aide-soignante qui se fait un peu mettre sur la gueule par son mari quand même », me révèle Fabien.
« Pourtant tu sais si bien me prendre Avec des mots calmes et tendres… », chante Anna à la carrière des années cinquante interrompue par son mariage avec un Sicilien qui ne voulait pas qu’elle se produise et dont elle a eu un enfant tétraplégique qu’elle a porté jusqu’à sa mort, à trente ans. Elle évite le micro avec un art raffiné, toujours au bord, jamais en face, d’un côté ou de l’autre. Elle vient d’assez loin, elle habite à la campagne et, quand il y a le spectacle, elle dort dans le grenier du théâtre. Elle s’est aménagé un lit d’camp. Elle articule et communique extrêmement bien. Elle a repris après la mort de son mari. C’est d’une grande émotion absolument transparente et gracieuse. « C’est la seule qui s'laisse pas avoir à faire des aigus », remarque Fabien. « Est-ce ma faute à moi Si je l’aim' plus que toi ? »
« Pour lui écrire, j’ai usé mille feuilles… Et mon amour allait croissant. » (Une chanson sur la pâtisserie.)
Jacqueline Fiori qui s’est aussi fait mettre sur la gueule, un truc sordide, enfermée dans une chambre, chante d’une voix flûtée, une voix de champagne : « Si tu reviens, sauras-tu demander pardon ? » ou : « Vas-tu me quitter encore une fois ? » ou encore : « Qu’ai-je dit tout haut tout à l’heure ? Ces mots, je ne les pensais pas… »
« C’est du direct », dit le présentateur parce qu’il a fait tomber le micro. Le présentateur, séropo, ancien SDF, quand il parle d’une femme fait « slurp » au micro avec la langue. « … Normal c’est une femme qui le chante, slurp… », « …Plein de grâce et de féminité, slurp… »
Celle qui oublie les paroles lalala dit : « Ah, qu’il est doux de danser le tango dans mes bras… » Celle-ci plairait beaucoup à Marlène lalala… La musique reste, les mots s’épuisent (mais on comprend le sens général). Le micro est réglé très fort parce que personne n’y chante en face. Elle, surtout, se sert de ce subterfuge pour cacher ses glissements de mémoire. Magnifique. Un peu Rika Zaraï, physiquement. « C’est la seule Feuj », me dit Fabien.
Josette Mercier dans « Je reviens te chercher » qui dit un p’tit mot avant : « Comme vous l’avez constaté, j’ai été longtemps absente. » Elle revient intacte. Les cheveux noirs et la robe violette. Elle chante une chanson de Gilbert Bécaud qu’elle a un peu remaniée façon « Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous ». Magnifique quand elle fait : « Mais après la guerre… Il nous reste à faire… La paix. » Elle a soixante-treize, soixante-quatorze ans et a toujours vécu seule avec sa maman qui a désormais cent ans. « Un taxi est en bas qui nous attend… »
Arrive maintenant, en robe grand siècle, la « dame qui est un p’tit peu dérangée psychiquement ». Elle chante une chanson d’amour. « Si vous aimez autant que je vous aime… » « Ecoutez de mon cœur… Cette prière… Pour que j’ai du bonheur… La vie entière… » La pianiste souffle. C’est très beau, ça fait deux voix. Et la dame « dérangée psychiquement » la regarde et suit sur ses lèvres. Elle ne chante que les voyelles… « (L)au(r)a… » Ses gants gris à la Gilda. C’est un créneau, « psychiquement dérangée ». Présentée par une sorte de Lady Diana, la coiffure en tout cas (Blessed Diana) : « Alors elle ne sait pas si elle est dans un songe ou dans la réalité… Elle chante « L’Aura ». »
La poursuite met toujours un p’tit décalage pour se déplacer. C’est tout le charme. « Ils vont trop vite ! », ironise Fabien.
« …Le plaisir de retrouver un tableau plein de magie, plein de charme et de tempérament… », dit le présentateur avec salive. C’est la doyenne qui est au centre de ce tableau. Une perruque indescriptible. Orange fluo brillante comme de l’or.
« Toi, mon démon qui brûle au fond de moi-même… Toi, mon démon, tu me tortures et je t’aime… » Maquillage très réussi. Elle me rappelle une actrice – mais laquelle ? Tout Hollywood… Elle s’appelle Marie des Anges de son vrai nom. Elle fait ses robes elles-mêmes (très élaborées, comme en 1900). Elle est imigrée espagnole.
« Son souvenir me poursuit jour et nuit… » « Des fois, ils oublient de chanter, signale Fabien. Alors ils regardent ma mère qui leur fait de méchants signes. » Ce sont des chansons sur la mémoire et sur l’oubli. Toutes. La mère de Fabien-Aïssa, c’est la pianiste au piano rouge. Elle a accompagné longtemps Dalida dont elle a capturé excellemment la chevelure de lionne extrême et… le strabisme. Elle fait un peu honte à son fils car elle montre beaucoup ses seins très bronzés (même moi, j’étais gêné). « Ma mère fait partie de la vieille génération des accompagnateurs, c’est-à-dire que le chanteur peut changer de tonalité au milieu du morceau, elle le suit. (Elle transpose à l’oreille.) »
Le décor est en toile peinte représentant une oasis qui s’ouvre sur le désert. On est censé être plutôt du côté de l’Argentine, les pampas, mais c’est tout à fait égal. La toile peinte est très, très belle et changeante avec les lumières. Le rideau grince quand il s’ouvre et se ferme. (L’entracte.)
« …Grâce et féminité que nous n’avons pas. On a beau faire des efforts, mais vous avez vu (touchant sa joue virile), y a des signes extérieurs de richesse qui ne trompent pas… », dit encore le présentateur volubile et bénévole. « Je suis de partout et de nulle part ailleurs, comme sur Canal + », dit encore le SDF.
Geneviève Delucca, une grande, grande dépressive (ça n'se voit pas) qui passe son temps à pleurer, chante : « Mon cœur est jaloux malgré moi » avec un vibrato inouï que je n’ai même jamais entendu à l’opéra. Elle chante tout en colorature. C’est peut-être un travelo, en plus. (Un castrat, alors…) Ce qui donne cette impression, c’est aussi qu’elle a mis ses cheveux gris que d’un côté. Ce qui lui donne un visage double, ambigu. On comprend peu de mots de ce qu’elle chante – bien que la chanson soit parfaite – à cause du colorature. Un rossignol. Un couple fait de la figuration derrière (un tango).
« Un morceau d’anthologie encore une fois et avec toute une mise en scène derrière… », dit maintenant le présentateur intarissable. Georges Oscar, « Le Tango corse » (« Le Tango corse, c’est de la sieste organisée…) Morceau comique. Georges Oscar chante aussi : « …Mais ayant pris de l’âge et d’la brioche J’ai épousé un' femme pas trop moche… » « A quarante ans (près), on ne saurait pas en quelle année on est », note vertigineusement Fabien.
« La Java bleue » avec un bleu sublime projeté sur le désert. Et lui, le chanteur, dans la poursuite blanche. « Quand nos corps se confondent… »
« C’est la deuxième fois de la semaine que j’vais au théâtre, dit Charly, onze ans, et la deuxième fois de ma vie. » (Il a vu Le Bourgeois gentilhomme avec sa grand-mère.) « Au lieu de tenir sa robe (robe à volant), elle aurait dû mettre une pince à linge », dit Tom, dix ans. Ce sont les fils d'Erik qu'on a traînés là après le McDo.
« …Et le vent semble nous dire profitons-en… », chante l’aide-soignante de retour dans la seconde partie. «…La ronde illusion de mes saisons… » (Robe gitane.)
« Une chorégraphie pleine de charme et de pétillance… Je vous demande d’applaudir Marine et Sabine ! », dit le présentateur à la langue pendante.
« Mireille, pour la première fois parmi nous et elle a un trac fou ! Mireille ! » C’est Lady Diana qui présente. « La chanson du bonheur Mon cœur la chante Et je sais que ton cœur La chante aussi… »
Josette Mercier avec encore une très belle chanson de Gilbert Bécaud : « Mes mains dessinent dans le soir La forme d’un espoir Qui ressemble à ton corps… » Ou encore : « As-tu déjà effacé ce passé qui m’obsède ? »
Maintenant Anne-Marie Boucher dans « La Valse des baisers ». Myriam dans « Perfidia ». (Elle a le temps de dire très vite : « Excusez-moi » quand elle se plante dans la chanson.)
« Orfeo negro ». « Matin, fais lever le soleil… »
Geneviève Delucca revient. Elle a changé de costume – mais pas de voix. On t’a r’connue, Geneviève !
C'est sans fin. Je suis submergé, épuisé dans la loge, le cœur brûlé. Je vois encore les mémés du premier et du deuxième rangs photographier avec grande attention André Sanchez, leur préféré. Il a l'air d'un bon baiseur, en effet. Court sur patte, un peu Julien Clerc, probablement énormément membré (ça se sent dans l'assurance), en costume blanc. A la sortie, Marie-Claire, la pianiste de Dalida, le dira aussi à son fils (que c'est son préféré) : « Ah, lui, il est... artiste. »

« Ce soir, c’est la dernière fois que nous chantons notre duo… »

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Bonjour Marie-Thérèse,

Vous allez bien ?

J'ai vu, par hasard, samedi, à Marseille un spectacle que j'ai adoré. Un spectacle de REMY YADAN. Vous connaissez peut-être. Il n'est pas inconnu. Je connaissais pas. Le titre n'est peut-être pas très bon (quoique...) : Tout va le mieux qu'il soit possible, mais le spectacle est absolu, excellent ! Lumière et humanité. Secret, délicatesse. Beauté, intelligence. Toute la représentation, j'ai senti mon visage ouvert et s'illuminer. J'ai été touché. Cela m'a plu comme un nouveau fruit, un nouveau jouet. Il y avait de la paille. C'était joué dans une ancienne écurie qui s'appelle Le Point de bascule. Casting très précis (huit femmes, un garçon et un bébé de trois mois). Il ferait un « Etrange cargo » du plus haut vol.
Je voulais vous le signaler.

Au plaisir

Yves-Noël

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Théâtre de L’Œuvre
1, rue Mission de France
13001 Marseille



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« L’imagination est un devenir. »

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La Pluie lorsqu’on est dans le train, la pluie lorsqu’on est dans la ville

C’était le pire week-end pour venir à Marseille. Il a fait beau partout, sauf ici où il a plu sans interruption. A Marseille, quand il pleut, il pleut. C’est à s’noyer ! Ça rappelle l’œuvre de Dominique Gonzalez-Foerster à la Tate Moderne à Londres. Elle imaginait la pluie, la pluie sans discontinuer. Je dis ici, « sauf ici » car je ne suis pas encore parti. Je suis dans le train, il y a l’électricité, les chaussures pleines d’eau. Il y a eu alerte à la bombe. On a attendu deux heures sous la pluie. Il y a eu aussi un arbre tombé sur les voies. On n’est pas encore parti. Quand on appelle la SNCF, cette voix féminine nous parle toujours des conflits sociaux. En fait, on ne sait plus où on en est. Temps de guerre, temps de paix. Dépression et sourire. Tout le monde s’emmerde, alors, attendre un train ou pas, qu’est-ce que ça change ? Au moins, il y a des gens qui ont du travail, les DEMINEURS. On est content pour eux. Les démineurs et Sarkozy ont du travail. Peut-être qu’il n’y a peut-être plus que lui qui a du travail. Notre DICTATEUR.



J’ai vu trois spectacles à Marseille. Le premier, par hasard. Vendredi soir, je me dirigeais de la gare vers chez Erik et je suis passé devant le Palais Longchamp tout éclairé de cascades. C’était beau. Il ne pleuvait pas encore. Quelqu’un m’a gentiment proposé d’aller voir un spectacle-parcours qui allait commencer. Pour cinq euros. Why not ? Mais le spectacle était affreux. Le lieu était sublime, le Museum d’histoire naturelle dans le Palais Longchamp, mais le spectacle était affreux, nul, sidérant de bêtise. J’ai pensé que c’était foutu, que les autorités (dictatoriales) donnaient de l’argent à n’importe qui (pour se dédouaner, occuper le créneau) et que c’était foutu. Le monde avait vrillé comme dans une nouvelle de Ray Bradbury. Irrécupérable. Je suis allé chez Erik (où la vie a repris). Le lendemain, après une atroce journée de pluie, je suis allé voir le spectacle de Rémy Yadan dans un lieu juste en face de Montévidéo, Le Point de bascule. Ça, c’était magique ! La très bonne surprise. Précision du casting, humanité jamais absente, vie parfaite et organisée (et libre), communication, intelligence, sensibilité. Le théâtre était un bout de lieu pavé, une ancienne écurie (on aurait pu se croire à la campagne). Huit filles (de tous les âges et les formes) un garçon et un bébé de trois mois. Juste parfait. Il faut que j’en parle à Marie-Thérèse Allier. Ça ferait un « Etrange cargo » du plus haut vol. Après le spectacle (après un entracte), il y avait deux vidéos elles aussi magnifiques. J’ai rencontré Rémy Yadan qui est très, très beau. Je lui ai dit : « Quel dommage que je ne sois pas homosexuel ! » (Il l’est.) Il est de mère bretonne et de père juif tunisien. Ça donne quelqu’un de râblé, dense, lourd et souple, intelligent et d’une couleur de peau mouvante avec la lumière, lumineuse et sombre. C’est le copain de Guillaume Clausse que j’ai auditionné à mon dernier séjour, c’est pour ça que j’ai eu la chance d’arriver jusque là (mais lui a vu plusieurs de mes spectacles, il m’a parlé des deux premiers Hamlet). Il a décroché la Villa Médicis à la place – entre autres – de Nicolas Moulin. Le lendemain, dimanche, aujourd’hui, donc, j’ai vu, au théâtre de L’Œuvre, le spectacle du groupe Art et Charité qui était la raison de ma venue à Marseille. Ça a commencé à 14h30 et ça a fini à 17h30. Ça m’a épuisé, mais dans l'bon sens du terme... SUBLIME !

Je fais une pause avant d'vous l’raconter.

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François Olislæger m’envoie sur Facebook le message : « Pas mort » (faisant allusion à la chanson de Philippe Katerine). Mais avant d’en finir avec la mort, je voudrais dire – ici parce que je ne sais pas où je pourrais le dire, alors, pourquoi pas là ? Si je meurs, mon corps à la science, à la transplantation, tout ça. Ça, c’est chouette d’imaginer qu’un de ses organes continue de vivre pour quelqu’un d’autre. Puis pas de crémation, c’est vrai, c’est nul, j’ai vu pour ma sœur, c’est nul. Même une tombe que personne ne vient fleurir, c’est mieux. Je suis chez Erik où les gosses me racontent des scènes de catch atroces et il pleut, il pleut. Il pleut.