Monday, December 20, 2010

Star system

Une chose étonnante quand même, étrange, kitsch… Mercredi, j’ai passé la soirée dans une salle de spectacle devant une femme qui jouait – sous toutes les coutures – Marilyn Monroe. Je ne trouvais pas aussi stupéfiant que le Andy Warhol du même metteur en scène (peut-être parce que Andy Warhol était Polonais et Marilyn pas que je sache). Mais toujours est-il qu’elle jouait ça et qu’il y avait aussi son psy, son amant, son photographe, etc. Ça durait trois heures et demie. Le metteur en scène n’a pas aimé la représentation. Elle-même, la star, faisait la gueule (la moue…) aux saluts qui étaient pourtant… opératiques, la Callas, ou si elle-même était Marilyn Monroe. Une partie de la salle debout, etc. Donc le metteur en scène les a engueulés, leur a hurlé dessus, mais c’est une habitude, ce n’était pas pire que d’autres fois – et ce serait peut-être pire le lendemain – enfin, donc, le metteur en scène cloîtré dans sa chambre, j’ai soupé en face de cette femme qui jouait Marilyn Monroe – il y avait son traducteur Philippe Tlokinski et Constance, l’amie de Philippe, plus loin Ludovic Lagarde… Eh bien, cette fille n’a pas décroché ! Elle a été Marilyn Monroe pendant toute la soirée jusqu’à son hôtel où je l’ai laissée. Et Marilyn malheureuse, n’est-ce pas, une fille malheureuse. C’était sidérant, éprouvant. On parlait et on ne lui parlait pas à elle, mais au personnage qu’elle avait joué pendant trois heures et demie (à poil et toute en seins, en fesses) et qui était Marilyn. Très troublant. La représentation – avec toutes ses croyances – continuait. Je savais bien qu’elle n’était pas la vraie Marilyn, mais elle ne me démentait pas. Jamais. A chaque seconde, je ne pouvais m’empêcher de penser que j’étais en face de Marilyn Monroe. Le bord de la folie. (Et de penser aussi que Marilyn Monroe était polonaise.) Je cherchais à la dérider, je lui ai demandé par exemple pourquoi elle n’avait pas enlevé sa perruque (qui n’en était pas une). J’y suis arrivé pourtant, mais plus tard et à mon grand soulagement. C’est seulement sur le long chemin vers l’hôtel, à l’autre bout de la ville, que je l’ai vu rire. Elle était avec son psy et elle riait parce qu’il y avait une scène : le photographe qui avait fait de si belles photos d’elles pendant la représentation – photos immédiatement projetées en très grand – et qui était aussi le petit ami du vieux metteur en scène cloîtré dans sa chambre d’hôtel (m’a glissé Philippe en français) – lui-même beaucoup moins jeune qu’il m’avait semblé sur scène moulé dans son pantalon rose et son admiration pour la star – était tombé de moi littéralement en adoration. Il n’était plus qu’un gnome excité et il me trouvait le plus bel homme qu’il ait jamais vu. Il me décrivait comme celui qui n’a pas peur des lignes et qui traverse les lignes, enfin, plein de choses magnifiques comme s’il m’avait connu entièrement nu au premier coup d’œil. Adoration. Love at first sight. C’était agréable d’être reconnu à mon tour comme une star et donc je l’ai laissé se coller à moi comme un bernique pendant tout le chemin. Accessoirement me mettre aussi la main dans la culotte, ce qui n’est pas difficile, débraillé comme je suis (mais qui arrive néanmoins rarement). Et, ça, ça la fait rire. Ça l’a amusé. Elle s’est retournée plusieurs fois pour voir cette scène plaisante, elle avançait avec son psy, j’étais content qu’elle décroche enfin de son malheur, j’ai mal joué, etc., du vieux monsieur qui ne disait rien, toujours sombre, lui, freudien (il devait pressentir que tout ça finirait mal comme le montre le livre de Michel Schneider, Dernières séances). En riant, elle était toujours Marilyn… (« Garbo rit », je pensais aussi, me référant au slogan publicitaire du dernier film de Greta Garbo.)

Otsbahnhof (temps réel)

J’avais oublié le livre que j’avais prévu d’emporter, alors j’en ai acheté un autre à l’aérogare. J’ai acheté Des éclairs, de Jean Echenoz. J’avais prévu d’emporter On n’y voit rien, de Daniel Arasse. J’ai hésité assez peu. Il y avait aussi Suite(s) impériale(s), un de Philip Roth… L’incipit est : « Chacun préfère savoir quand il est né tant que c’est possible. » Maintenant, j’ai le choix : regarder les passagers dont deux jeunes très beaux et très drogués d’apparence. L’un avec une perruque, mais ça doit être ses vrais cheveux. Des « rêves de jeunes ». Il porte maintenant, dans la file d’embarquement, un bonnet style péruvien avec un pompon gris pâle et une veste en mouton retourné et ça lui va très bien. C’est dire. Des chaussures claires et pas pour la neige, pointues. Je n'ai pas capté quelle langue ils parlent. Donc, vous avez compris, j’ai le choix : regarder, lire ou écrire sur ce blog. Et, vous avez compris, je choisis l’action la plus paresseuse, écrire sur ce blog. Ecrire ou n’y voir rien, ébloui par les éclairs… Les avions d’easyJet pour Berlin sont pleins de jeunes très jolis, quand même… De la blondeur sous toutes ses formes. Des locks, des touffes, des filles, toute sorte de filles – et puis après on passe aux bruns (qui comptent pas pour des prunes). Mais mon préféré reste le nonchalant, l’échalas, avec perruque et dandysme. Bon, faut qu’j’y aille, moi ! Merde, je tombe sur le gosse avec qui j’ai passé l’audition pour Héléna Klotz (son nom, plus tard). Il est drogué, lui, pour de vrai, et bourré. Il veut que l’on se mette ensemble dans l’avion, il veut m’offrir un whisky, il veut que je partage son taxi à l’arrivée… Il me raconte une histoire difficilement croyable de pipes de H qu’Héléna lui aurait méchamment mis dans son sac en lui rendant ses appareils photo. Ils ont été ensemble et elle a tellement dit que, elle, elle était bien et que, lui, il était rien que destructeur. C’est aussi l’impression qu’il me fait. Il a failli se faire piquer à la douane, mais a baragouiné quelque chose en polonais à l’inspectrice qui était Polonaise. Il a pu passer. Ouais. Son discours est incohérent, mais c’est aussi qu’il doit trouver que je crie un peu fort les éléments qu’il m’en donne à voix filée. Je fais le sourd et l’innocent comme dans un film de Louis de Funès. Il me dit : « Plus tard, plus tard, je t’en parle dans le taxi… » Mais, moi, je ne veux pas qu’on me prenne pour son complice. Alors je hurle en faisant les gestes : « Des pipes ? Des pipes de quoi, grands dieux ? Remplies ? » Il a triple nationalité. Polono-franco-anglaise. Et effectivement il répond à un coup de fil avec un anglais parfait. Bon, mais échapper au plus vite à tout le voyage avec lui… Je saute sur la première place libre. Merde : à côté d’un porc sourd qui a mis ses écouteurs à fond. On peut chanter les chansons avec lui (mais je ne les aime pas…) Je change. Je me retrouve à côté d’un obèse (ce sont les seules places qui restent libres, en fait) et, qui plus est, on entend toujours la musique du fou (bien que cinq rangs derrière). Comment échapper au mal ? Voilà un thème de spectacle. Hier, j’ai passé la soirée à Reims avec Marilyn Monroe. Oui. Et son psy, son photographe, son amant, le plus beau de tous, mais en bout de table. Ce roman est merveilleux, il avance si vite ! A la vitesse de l’éclair, évidemment, au moins de l’électricité, c’est l’idée, en tout cas. Je n’ai pas revu le jeune drogué avec qui j’avais joué une scène pour un casting. Je l’ai perdu dans la neige. Il aura pris son taxi tout seul avec ses produits, nous n’en saurons pas plus. Comment a-t-il pu passer les contrôles en s’amourachant de la Polonaise ? Nous ne saurons même pas son nom. Il faudra que je change aussi le nom d’Héléna Klotz. Je reprends l’histoire de Reims. A Reims où j’étais venu à l’invitation de Philippe Tlokinski…
Merde, on arrive ! Otsbahnhof, déjà.