Friday, September 03, 2010


Lorsque je me réveillais en Bourgogne, J. et B. étaient déjà sur la terrasse. J'entendais leurs voix. De ma fenêtre, je voulais les saluer dans l'ordre : J. d'abord et B., mais, le premier jour, ayant constaté qu'il s'agissait des prénoms de mes parents, je m'entendis dire dans l'autre ordre : "Bonjour, Bernard ! Bonjour, Jeanne !"

Roman

Je suis dans une grande ville qui ne me fait rien. Parce que cette grande ville, c’est ma vie. C’est ma vie de moi tout seul. Et ça ne m’intéresse pas. Voilà, c’est mon début de mon roman de ce soir. Et, si je pense à mes lecteurs de ce blog, je suis forcé de m’arrêter là. Je ne tiens pas à déprimer. Mais je pourrais commencer un roman, un roman qui ne s’adresserait pas ou bien plus tard, après la mort de l’auteur, la mort du narrateur, un roman, quoi.

J’aperçois ce que j’aperçois de ma fenêtre et, bien sûr, ce n’est pas la nature, ce n’est pas le luxe, la nature disponible et disposée pour notre contentement, les grandes étendues naturelles, les mers sombres, les ciels d’orages, les poètes, les rêves.

Je suis retenu aussi à cause d’un amour qui n’en est pas un, mais, de ce fait, pourrait en prendre la place, pourrait y prétendre – à l’amour…

Qu’est-ce que j’écrivais récemment sur l’amour ? L’amour… Non, je ne me souviens plus.

Il y a les paysages.

Aujourd’hui, je suis allé à Versailles. J’avais oublié mon téléphone en partant de chez moi, alors ça a été une journée sans téléphone et, donc, je suis allé à Versailles. Je suis allé à Versailles bien qu’on m’ait téléphoné que ce n’était pas la peine parce que les deux Africains étaient coincés à Bruxelles.

Je suis allé au potager du roi à Versailles. J’ai ramassé, dans les allées, une pomme de terre (Parmentier) et des pommes tombées. Mais un jardinier, sur une machine roulante rutilante, m’a arrêté : "Ne les mangez pas, les sols sont traités !" Comme on m’avait parlé d’histoires atroces du théâtre de la Criée à Marseille chargé d’amiante, je me suis demandé quand le roi allait enfin passer au bio ! Versailles était phénoménal – pour les yeux. Comme c’était une journée sans téléphone, c’était aussi une journée sans appareil photo. Des vacances, quoi. Et la grande expo de Takashi Murakami n’était pas commencée…

Il y avait l’été, il y avait septembre. Sur septembre, on pourrait parler sans fin. Il allait faire beau. Les jardiniers avaient dit : "S’il fait beau à la Saint-Gilles, il fait beau pendant trente jours." La Saint-Gilles était le premier septembre.

Je vais commencer un roman sans penser au titre, pour une fois. Ce ne sera pas : Le Pays des merveilles de Versailles. Ce ne sera pas : Le Contenu des veilles, bien que ce soit le plus beau titre que j’ai trouvé depuis un moment. Ça ne sera pas, ça ne sera pas… "Le contenu des veilles", c’est une expression dans Electre pour dire les larmes.

Je vais commencer un roman sans penser au lecteur. Je l’espère court. Sans penser au lecteur, ce sera ça, la prière, l’acte d’abandon. J’ai été ému par une histoire atroce dans le journal, mais une histoire merveilleuse. Il y a tout à disposition quand on écrit, il y a tout, maintenant la neige. Et puis la multiplicité. Il ne faut rien ramener à soi, c’est ça, l’astuce, et, ça, la difficulté. C’est ça, la différence. Rien à soi, tout laisser dans l’état de l’abandon. Alors on écrira un grand livre. Comme les autres.

L’heure passe toujours trop vite, trop faible. Je suis le chat du Cheshire. Je travaille et je suis l’amant à Cambridge et à Oxford. C’est vendredi et je continue de lire. Une série de livres épanouis.

Abrité sous un pas-de-porte, Murphy attend son taxi en fumant, pénétré par la désolation du monde, en lui et hors de lui.

Le Personnage

Belle du soir

"Ce n'est pas la première fois que je suis personnage de roman. Déjà, j'ai commencé par être le héros des miens. Et puis, à force de fréquenter des écrivains, je me suis vite retrouvé dans les oeuvres des autres. Mon nom a d'abord figuré dans des journaux intimes (Gabriel Matzneff, Guillaume Dustan...). Parfois un ami racontait mes péripéties nocturnes, des facéties diverses ou des conversations privées : heureusement, les diaristes ont une audience limitée. Un écrivain, c'est comme une caméra : mieux vaut le fuir si l'on ne veut pas s'exposer. Je ne sais plus qui a fait de moi un personnage de fiction pour la première fois. Dans Pourquoi le Brésil ?, Christine Angot dîne chez moi et me fait passer pour un prétentieux épuisant, ce qui prouve qu'elle a le sens de l'observation. Dans L'Irréaliste, Pierre Mérot décrit son éditeur décadent : malheureusement, j'occupais cette fonction à l'époque, ce qui fait que tout le monde m'a pris pour le personnage de Cheval fou. Dans Les femmes préfèrent les monstres, de Delphine Vallette, mon ex-femme passait en revue les hommes de sa vie : je crois bien que j'étais l'un de ses monstres préférés. En cherchant bien, on doit pouvoir aussi trouver mon nom dans des romans d'Ann Scott, Nicolas Rey ou Marc-Edouard Nabe, parfois en fâcheuse posture. Rien de tout cela n'est bien grave. Le roman présente un avantage énorme : il est censé être une fiction. Si les romanciers veulent utiliser mon identité comme matière première de leur invention, pas de problème. S'ils me font faire n'importe quoi, il me suffit de dire qu'ils délirent, surtout quand ils disent la vérité. Mon nom propre ne mérite pas forcément de le rester."

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Belle du soir

"Laisse ce qui n'est pas essentiel à dire,
Tu ne vas pas m'apprendre que ma mère est méchante,
Ni qu'Egisthe vide la maison des richesses."

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Degas

A la fin du cours de danse, je regardais la beauté dans chacun avec les défauts sexuels (c'est la phrase que je notais dans mon carnet). C'était la rentrée des classes. Les corps bronzés, détendus, heureux de retrouver leur envol. "Bon, y a l'énergie, y a l'enthousiasme, y a la volonté, tous les ingrédients...", disait le professeur. Restait plus qu'à régler quelques détails. Par exemple : "Plus de distance entre la tête et le sol." Ah, ça peut prendre toute une vie... C'était la musique qui soulevait le monde. Le vendredi, il y avait un musicien virtuose des crescendos et des decrescendos. Le professeur était souvent obligé de le ralentir. (Je lui avais proposé de travailler avec moi pour Chaillot.) Le monde du classique était un océan de défauts. Il y fallait la musique. Je regardais et je notais encore l'inatteignable perfection qui mettrait le corps hors de l'attraction sexuelle... Puis le professeur intervenait. Et je notais qu'à la reprise, les défauts disparaissent et le sexe s'évanouit.

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Belle du soir

"Je ne vois pas les morts souffrir."

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