Thursday, December 17, 2020

U n beau texte de Jacques Livchine (sur FaceBook)


« La photo, c'est le théâtre de Mandeure, dans le pays de Montbéliard, ancien théâtre gallo-romain abandonné en l'an 400 qui accueillait 18 000 personnes. J'y pense aujourd'hui quand j'imagine les scénarios les plus sordides style arrêt total du théâtre pendant 200 ou 300 ans....

Or ce matin

J’y crois à peine : événement sans précédent 

Un vrai spectateur écrit sa détresse de ne plus pouvoir aller au théâtre 

Il s’appelle Joël Cramesnil 

C’est un spectateur  certes un peu professionnel, mais c’est un spectateur, Joël Cramesnil  c’est son nom, je lui ai écrit pour être sûr que ce n’était pas un leurre 

Parce que dans toute cette misère, là où le bât blesse, c’est que ce sont les artistes qui réclament la réouverture des théâtres. 

Je n’aime pas leurs caquètements, et leur prétention de se croire les plus importants du monde 

Carrément, le monde du théâtre souffre de séparatisme, c’est une petite communauté, un club, un microcosme,  presque une cour avec sa hiérarchie, en haut le Français, puis  les cinq théâtres nationaux, etc.

Jadis, au temps des festivals,  je m’amusais à évaluer les poignées de main à Avignon 

1000 : points un Ministre de la Culture

400 : un directeur de Drac 

200 : un directeur  de Théâtre National 

200 : le  directeur du festival d’avignon,  le pape PY 

180 :  le directeur d’un CDN 

100 : un metteur en scène  de compagnie conventionnée

04 : un intermittent 

En 1991 étouffant dans les cercles de théâtres parisiens,  nous nous  sommes exilés dans l’Est 

Ça a été la claque

Je ne pouvais même pas croire que des gens vivaient sans connaitre Vilar, Jeanne Laurent, Planchon Chéreau Mnouchkine, Sobel,  Debauche,  Garran,  jean Claude Collot,  Jean Marie Songy  Jean Luc Courcoult, Peter Brook,  Peter Stein, Léna Breban, Gil Galliot  etc.

J’ai appris la modestie en Franche-Comté  et je me suis mis à respecter une autre culture : celle des champignons, des sapins, de la fabrication du Comté,  de l’autogestion  de  Lip, des utopies diverses… 

J’ai compris que la vraie cathédrale de la culture s’appelait Bricorama, car ici  on met  sa créativité au service de la maison et du jardin 

Et pour Noël, dans les villages, les maisons sont magnifiquement illuminées 

La Culture, c’est un tout petit  peu le théâtre pour quelques abonnés  privilégiés,  mais   c’est  surtout la nature, les épicéas, les champignons, le Doubs qui se jette dans la Saône,   les couchers de soleil

il y a  l’air, il y a le vent les montagnes le ciel, les enfants les animaux et le charbon de terre (Cendrars)

Et puis quand j’ai appris que 98 % des français approuvaient le plan Castex pour Noël j’ai bien compris que réclamer une exception théâtrale serait un peu  déplacée par ici… d’autant plus que la misère monte comme le lait qui bout

Dans l’affaire Covid, ce qui me plaît :  c’est qu’un petit machin invisible soit capable de faire plier un pays tout entier, 

ce qui me fait rire c’est la mise en chantier par Macron d’un sous marin nucléaire    alors qu’il suffirait  de parachuter deux ou trois condamnés contaminés dans les forces ennemies pour en venir à bout 

Ce qui me plaît, c’est l’énorme déstabilisation de toutes nos routines 

Chez nous, la vie ne s’arrête pas,  il y a du monde au château,  aux 3 oranges, on déjeune ensemble, on rit, on se raconte les temps anciens, et l’avenir entravé  

Tu connais la phrase  de Van Gogh  ?

« Je peux me passer de Dieu, mais je ne peux  pas me passer de mon besoin de créer » *

Alors…   

Chut, nous œuvrons dans l’ombre et en silence

Pourvu que les confinements nous laissent encore du temps.

Les représentations  seront clandestines et secrètes, tels les chrétiens dans les catacombes 

Nous avons décidé de mourir bien  vivants. »



« Je peux bien, dans la vie et dans la peinture aussi, me passer du bon Dieu. Mais je ne puis pas, moi, souffrant, me passer de quelque chose plus grand que moi, qui est ma vie, la puissance de créer. »


L e grand Trompeur


Ahah ! 

Tu m’en bouches un coin, ce matin (du 17, en effet)

M’avouer que tu es une famille supporteuse de Trump ! Rien ne pouvait plus m’amuser, ce matin ! Je vous imagine bras dessus, bras dessous allant voter pour Trump ! Et même, je vois, tu imagines, comme lui, qu’il y a eu des fraudes (malgré les multiples recomptages)... Vu de France, chéri, ça fait rire. Il est vrai que les Etats-Unis, vu de France, ça fait un moment que ça fait rire. Ça me fait rire, en tout cas. Bref, tu me plais beaucoup !

Mais tu me plaisais déjà avant ce merveilleux aveu 

Et ça m’aide à relativiser ma haine contre le « politiquement correct » : il y a plus fort que moi : mon ami Martin ! 

By the way, notre président est positif lui aussi ce matin 

J’ai fait un très beau spectacle en Suisse, on a eu de la chance, juste avant la fermeture des théâtres. Intitulé C’est le silence qui répond, un titre inspiré par Albert Camus… Maintenant, je cherche à faire quelque chose à Paris, dans un grand lieu (photo), le Carreau du Temple…

Je retiens ma mère d’aller en maison de retraite (mon frère pousse) parce qu’en ce moment les maisons de retraite sont des prisons (même si l’autorisation des sorties pour Noël vient de réapparaître)

Mais ma mère est — peut-être — mieux qu’elle n’a jamais été. A mon avis, elle n’a jamais, de sa vie — ou peut-être par très petites lucarnes — été au présent, toujours en représentation (c’est peut-être de là que mon goût pour le théâtre me vient). Et, là, elle me touche, on va se balader, on regarde les terrains de foot, le coucher de soleil et elle regarde le coucher de soleil et elle le trouve beau et indéniablement elle est au présent, elle le regarde vraiment, elle le voit, je le sens, main dans la main. Pas tous les jours aussi présente, bien sûr, mais c’est quelque chose que lui donne la maladie, un progrès indéniable, une découverte, une naissance… (il n’est jamais trop tard)

Je retourne à Nantes demain

Je voudrais aller aussi à Trouville (côte normande) pour le réveillon, j’ai deux amis à Paris qui se trouvent avoir des appartes là-bas, ça devrait donc se faire… Trouville, c’est Marguerite Duras, tu sais (tu te souviens ?)

Claude Régy est mort cette année (mais j’ai dû te le dire déjà…) Il avait vendu il y a quelques années la maison où tu avais vécu un moment (à des Anglais)

On peut de nouveau circuler, ici

Hier, mon ami-sur-place (toi, tu es l’ami pas-sur-place), m’a invité pour mon anniversaire dans un restaurant clandestin, à l’arrière de Montmartre, une cave restée ouverte pour les habitués, on y entre par derrière, par une entrée d’immeuble… Ça fait nettement penser à l’occupation (des Allemands à Paris) ou à la prohibition (de Chicago) vues et revues dans tant de films... C’était très sympathique, en tout cas, on a bu et manger du lapin

Après, il fallait sortir, parce, que, depuis deux jours, il y a de nouveau le couvre-feu, ici, à partir de 8h du soir 

On est sorti promener le chien (de l’établissement, un vieux bouledogue très intelligent, un vieux sage dégoûtant) en essayant d’éviter les flics, mon ami et moi et, quand on s’est séparés, j’ai rasé les murs (mais j’habite pas très loin, comme tu le sais)

Tiens, j’écoute, en t’écrivant, Prefab Sprout (je ne connaissais pas, mais c’est Philippe Katerine à la radio qui en parle)

Je te donnes en pièce jointe — pour Noël — une nouvelle de Tchekhov (traduite en français, tu la trouveras probablement en anglais), L’Etudiant, une des plus belles choses que j’ai lue

Je t’embrasse, mfr, et toute ta petite famille, 

Yves-Noël

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