B effroi de Douai
La pièce était très belle, très esthétique (lumière d’Yves Godin), mais on ne savait pas trop ce qu’elle racontait ; on avait envie de se contenter de regarder les Dreamers flotter, danser, se croiser, se mêler et de ne pas écouter le « texte ». Néanmoins quelques trouvailles surréalistes me parvenaient, crevaient le quatrième mur comme on dit (je cite de mémoire) : « Toute la fourrure était dans ma gorge », « l’âge élastique », « J’avançais dans l’année vide de moi », « la porte condamnée menant à la rue du Désir », « Tu avais pris ce tube vertical qu’est le théâtre pour fuir », etc. Mais la pièce semblait inégale, en recherche, et, en cela, je la trouvais juste quant à la situation, vingt disparates dans une école se cherchent et se trouvent, se trouvent et se cherchent à l’infini (c’est toujours la question comme l'indique le titre d’une pièce de Pirandello qu'avait jouée Delphine Seyrig : Se trouver). Le spectacle était bâti à partir de récits de rêves, mais le piège, peut-être, était dans le mot « récit ». Par moment, très fort, une matière nocturne libre (qui n’appartenait pas aux mots) se déversait, effaçait l’effet « texte », débordait chez certains interprètes à leur affaire ou comme des poissons dans l'eau. Oui, l’eau des rêves et l’eau du théâtre se mêlaient, mais, à d’autres moments, d’autres interprètes — ou les mêmes — ne montraient plus ce mélange, les vases communicants de la folie et de la mort et tout paraissait s’assécher légèrement, très légèrement. C’était extraordinaire de retrouver au complet cette promo chérie de l’école du TNB, heureux qu’ils étaient, eux, de retrouver la joie, aussi la souffrance de leur place dans le groupe. Les gosses avaient quitté l'école en juin et volaient maintenant de leur propres ailes. On sentait ce grand amour et cette douleur. Tout ça faisait un spectacle riche et obscur comme le théâtre l’est toujours, après tout. Ce qui apparaît n’apparaît pas. Les notes, les secrets. Tard dans la nuit, dans la maison que le théâtre avait mise à leur disposition, un jeu : faire des phrases avec les noms d'objets autour de soi. « L’autre soir, j’ai dragué un Ecossais, il m’a dit : « Arrête, Romain, tu es hétéro... » et j’ai dit : « Mais, non, je suis biscotte (bi, Scott) » ; « Le roi dit : « Tu dois m'avouer ton fromage préféré sinon tu joues ton destin aux dés. — Sirop d’érable ! (Sire, aux dés ? Rahhh… Bleu !) « Tu m’as dit que tu m’aiderais à apprendre mon texte, n’est spatule feras ? (n’est-ce pas, tu le feras ?) » « Beaucoup rêvent du bel inconnu, mais, moi, J’aime Le Lait d’Ici (j'aime le laid d’ici) ». Liste émerveillante de la matière nocturne. Le lendemain, avant le train, j’allais jusqu’au Beffroi. J'avais avec moi ces phrases de Giacometti : « Il est essentiel de travailler sans aucune idée préconçue, sans savoir à quoi la toile va ressembler. Van Gogh, par exemple, travaillait avec une idée préconçue. Il écrivait à Théo en lui décrivant des toiles qu’il n’avait pas encore peintes. Picasso a toujours une idée préconçue. Mais pas Corot. Ses figures sont superbes. Et Le Beffroi de Douai au Louvre est comme un rêve. C'est très important d'éviter toute idée préconçue, d'essayer de voir seulement ce qui existe ». Pour vous, amis !
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