Saturday, April 12, 2025

L 'Instant suivant

 
Chaque instant était lourd de lui-même, lourd et plein comme un corps. Avec des choses à l’intérieur. Tout un corps. Chaque instant. C’était l’été, bien sûr, et le jour et la nuit. On choisissait de vivre un peu. De dormir beaucoup, mais par à-coups. Peu importait le jour ou la nuit, les mots étaient inversés, la lune montait, grossissait, la mer refluait, revenait, va-et-vient
Legrand était l’homme qui s’offrait, se refusait, qui était là, qui n’y était pas. S’il disparaissait, là, maintenant (pourquoi penser des choses comme ça ?), j’aurais été celle qui n’aurait pas su le rencontrer.
Et pourtant.
A la gare, je l’embrassai. Coucher de soleil. Il me dit : « Alors, tu n’es plus fâchée ? » et, près de l’oreille, je lui susurrai : « Plus beaucoup, un peu seulement ».
Le paysage était faux, instable ; la réalité, faible, parallèle. L’eau du bain, l’eau du temps, comme elles avaient toujours été.
Les bêtes primitives, la grossièreté de leurs éclaboussures

A l’instant suivant, tous les mondes dormaient
 
 
 

*

 
 
 
On se plaint des jeunes (moi, la première). Leur bêtise, leur suffisance, leur moralisme. Mais, à leur décharge, le monde a tellement changé… Ce n’est pas simplement le balancier des tendances (un jour à droite, un jour à gauche). Non, ils sont arrivés dans un monde dont le nom était « changement rapide ». Ils survivent dans un monde de chat et de souris. Changement rapide comme au safari. Alors, comment dire. Comment dire tout est mouvant. Et les jeunes sont émouvants. Ils forment une classe indéfinie. Les conscrits. Les conscrits d’un même village. Mais rien n’est neuf, ils y croyaient. Ils avaient la jeunesse. Mais les jeunes n’ont pas la jeunesse, ils ont le monde.
C’est très, très difficile d’être jeune à notre époque. Il faut leur reconnaître ça. Braves petits.

« Walk without rhythm / And it won’t attract the worm »


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On s’intéressait à tout, ça n’avait pas d’importance. J’avais vécu dans une ville en état de siège. C’était comme ça, on s’intéressait à tout, on était cernés. Dans les montagnes autour tiraient des snipers.
A Legrand, je répétais les paroles de Patti Smith
« Mon amour », je lui disais
Et lui m’appelait « Chérie »

C’était dans son cou, dans son âme.
La mer était frêle, d’un côté à l’autre, toujours dans ces îles — ou ces fausses îles —, ces détachements, ces bords de détachements
Nous étions au bord d’embarquer
Nous étions stériles

Et Patti Smith chantait que le désir était hunger et que le feu se respirait
Et que l’amour était un banquet et qu’on y puisait avec les mains, une corbeille de fruits, il n’y avait qu’à se servir  

Ensuite on passait à d’autres chansons. Ça remuait dans le fond. Dans le fond, ça remuait.
Ça refluait
Ça pleurait, les liquides giclaient, gigotaient

« Love is an angel disguised as lust »

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DI nous montrait une pub qu’elle avait faite avec Lætitia Casta en 2011, je crois, et qui n’était pas sortie, qui n’avait pas été acceptée. C’était un clip publicitaire très malin, beau-vulgaire (comme c’était encore possible de le faire à l’époque), mais surtout très second degré : on s’y moque de tout, du produit, du fait de tourner un clip, de Lætitia Casta… on aperçoit même DI avec ses longs cheveux qui se moque d’elle-même en train de tourner. C’est ça qui n’est pas passé — et qui ne passerait pas plus à notre époque où l’on ne comprend plus du tout le second degré. Je pensais qu’avec Legrand nous ne nous parlions qu’en second degré. C’était ça, l’amitié : ne pas avoir peur de ce qu’on dit, tout est second degré. La police des mœurs. (J’avais envie d’écrire cette expression à ce moment-ci.) Tout est second degré parce que rien n’est figé dans le marbre. Avec DI aussi nous parlions en second degré, mais pas quand elle réunissait ses amis, nous étions trop différents. Nous faisions référence à des facettes trop différentes de la personnalité DI. Mystérieux lien chacun. Nous restions au niveau superficiel, mondain, le niveau des opinions du moment et ce n’était pas forcément joli-joli. Mais chacun avait pourtant, je pouvais l’imaginer, une relation profonde avec DI, vraie. Ce que nous avions en commun, c’était que nous étions tous tournés vers elle, en faisceau.

Les mystérieuses erreurs de la souffrance. Ça, c’est dit. Quelqu’un (je crois que c’était Eve) avait dit qu’il avait mal au ventre. Quelqu’un d’autre (il se peut que c’eut été moi) avait dit : « Oh, comme nous saurions être heureux s’il n’y avait pas la souffrance… » Je crois que Nathalie avait approuvé. Nous étions tous des gens souffrants puisque nous n’avions plus vingt ans. A vingt ans, j’étais, pour ma part, beaucoup plus psychiquement souffrant que maintenant. Mais, voilà, la souffrance physique m’avait rattrapée, moi aussi. Je comprenais qu'Eve quitte la fête à cause de ce mal de ventre et que Nathalie la ramène. Nathalie était son ancienne amie. Elles étaient séparées, mais encore amies.

Un chapelet d’églises, un chapelet de retables dorés. Nous avions une auto et la montagne pour les découvrir, les creux, les bosses. Nous allions de l’une à l’autre dans un territoire ancien (même si renouvelé de soleil). Il n’y avait personne à part nous, notre amour inventé, réinventé. A Commana, une pensée pour la coiffeuse (notre ancienne)

L’expo de l’art de David Hockney évoquait violemment la mort, la destruction car il ne nous proposait qu’« hypothèse de survie », selon l’expression de Stéphane Bouquet…

En t’offrant mon désir, je t’offre ce que j’ai de mieux, même si tu n’en veux pas (ce serait trop beau). Tant que tu es mon ami, tu sais que c’est ce que je t’offre de mieux. Parfois une phrase peut signer notre séparation. Une phrase au soleil et c’est la déchirure… Le réel — qui n’était qu’une illusion — se déchire pour laisser passer un autre réel plus réel (ou plus illusoire, allez savoir). Il n’y a pas de sens, mais, parfois, le bonheur se déchire… Et puis le second degré reprend son cours et, puisque tu me réponds au second degré, je sais que tu m’aimes. Toi comme poème reviens, promesse, consolation, sauvetage moi


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