Saturday, August 24, 2024

L es Imaginaires de l’avenir


Ma tante Hélène ne se souvient plus de rien (de pas grand chose), elle s’en plaint à moi. Ma tante Marie-Thérèse, en revanche, raconte beaucoup d’une mémoire qui va partir avec elle. A propos de la plainte d’Hélène, elle me dit (intonation bretonne) : « Moi non plus, je ne me souviens pas, mais c’est en parlant que ça revient ! ». C’est très juste, c’est en parlant que tout se fait. Moi aussi, en parlant avec elle, en l’écoutant, je me mets à me souvenir de choses dont je n’avais jusque là pas du tout conscience. Mais Hélène n’a pas de chance. Elle n’est plus chez elle et sa maison de retraite n’est pas à la hauteur, elle est de plus en plus isolée, elle est aveugle, on ne s’occupe pas d’elle, on l’oublie. Elle n’entend plus bien non plus, on ne l’appareille pas. On se contente de mettre la radio fort et de la laisser dormir sur son fauteuil. C’est comme cela que je la trouve. Rien de plus facile que d’oublier quelqu’un. Il n’y a presque personne dans cette maison de retraite. En tout cas, dans les après-midis où je viens, il ne se passe rien. Quand je croise des employées, elles me sourient d’un sourire un peu fautif comme si j’allais les gronder (ce que, bien sûr, je ne fais pas), comme si elles étaient habituées aux plaintes des visiteurs. Elles ne foutent rien, en fait. J’en vois une qui, assise à table, plie des serviettes. Elles pourraient faire une partie de cartes. C’est aussi faux que dans un film. De la figuration. Au diner, Emmanuelle raconte, en la regardant affectueusement, que sa mère (Marie-Thérèse) a, dans cette journée d’août 2024, coupé la haie, fait un délicieux far breton (qui nous rassemble), ramasser les pommes tombées pour en faire une compote… Marie-Thérèse : « Eh bien… je revis, alors ? » Je lui répète ce qu’Emmanuelle m’a dit qu’elle avait dit : « J’ai jamais obéi à personne, c’est pas maintenant que je vais commencer… » Elle ne se souvient pas d’avoir dit ça, elle dément gentiment : « J’ai fait ce qu’on me demandait… » Etre une femme au XXème siècle, c’est pareil, au fond, obéir/désobéir. C’est vrai que toute la vie de cette femme, de mon point de vue d’enfant qui dure jusqu’à maintenant puisque je n’ai jamais encore été adulte (quand grandirai-je ?) m’a été comme une leçon de liberté ; ma mère déployant — sauf les deux dernières années que j’ai tellement aimées (trop courtes) — la leçon inverse. De celle qui ne savait rien faire de la vie, une leçon d’enfermement


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