Saturday, May 31, 2025

D aigne me retirer la vie


J’avais fait mourir Legrand pour qu’on ne le voit pas fané sous la dentelle, fané sous la dentelle (A mourir pour mourir). Maintenant son fantôme avait toujours 20 ans. De son vivant, il m’était toujours apparu. Apparu comme un vivant. Maintenant, c’était encore plus facile. Plus rien que le jeu des apparitions/disparitions qui étaient plutôt, je l’ai dit, des dilutions atmosphériques, une légère brume, un crachin, une humidité localisée. Ce que les témoins nommaient : « sensualité ». Je ne sais plus quel philosophe ou poète avait proposé que l’expérience (la sagesse) consistât sans doute à atteindre l’étonnement. C’est vrai, les bébés sont dans l’étonnement, mais les vieillards… J’en étais consciente, en tout cas. Le fantôme de Legrand qui m’accompagnait sensuellement étonnait mes amis (mes autres amis, les témoins de Jéhovah) qui me prenaient en aparté : « Mais il t’aime… » « Vous êtes très proches… » Oh, non, non, non, toi, mon Régis, ne va pas croire ça, il n’aime que les filles, Legrand… Les vraies… Les jeunes, les flottantes, les fuyantes, les retrouvées, les passantes… Je connais ses goûts… Nous n’avons que des relations de voisinage… un peu sensibles, c’est vrai… L’autre jour, chez lui, j’ai feuilleté un beau livre sur Rembrandt, ç’avait été son livre de chevet, me disait-il, pendant longtemps (du temps de son vivant), un livre superbe qu’il avait trouvé chez Emmaüs pour 5€, Rembrandt et la Bible… C’était, mis en vis-à-vis, des passages de la Bible sur lesquels Rembrandt avait travaillé toute sa vie et les dessins, les peintures sublimes, jusqu’à la dernière, proche de Turner… un très gros livre sublime… « C’est comme ça que j’ai lu la Bible », m’avait suggéré le fantôme de Legrand en slip, ce jour-là en slip, une des plus belles journées de juin… de mai… je ne sais plus… Je lui avais fait très peur, à mon fantôme, en entrant brusquement chez lui sans prévenir, sans frapper, brusquement car j’espérais toujours le surprendre dans une occupation sexuelle (bien sûr, on ne se refait pas) et Legrand — bien sûr — ne fermait jamais sa porte... 

Legrand ne fermait jamais la porte

 
J’avais trouvé un titre dans le livre d'art — si jamais Philippe Quesne me reprogrammait un spectacle... 

DAIGNE ME RETIRER LA VIE

« Et maintenant, traite-moi comme il te plaira, daigne me retirer la vie : je veux être délivré de la terre et redevenir terre. » (Tobit 3)

J’avais essayé de photographier Legrand, mais ça ne donnait rien, on ne photographie pas les fantômes… Ou peut-être n'étais-je pas devenue encore assez femme... Sarah Moon, Dominique Issermann pouvaient le faire, assurément, d’autres dont j’oubliais les noms, Dolores Marat, Sally Mann… Des femmes, des femmes photographiaient les fantômes… Justement DI m’envoyait à l’instant des photos qu’elle avait faites d’un spectacle que j’avais donné dans la grotte d’un parc à Versailles...


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P ère-amant

 
Il y avait son fantôme physiquement dans le lit. J’étais heureuse
 
« Mais qu’est-ce qu’un fantôme sinon qqch qui ne veut pas ou ne peut pas mourir et qui n’a de cesse de vouloir revenir à la vie ? »
 
Avec Legrand, j’inventais le fantôme sensuel
 
« Toute représentation est un art spectral » (me souffle Bruno Perramant)
 
Il se trouve que c’était les journées de juin, les journées chaude, les journées belles ; les cloches sonnaient comme la guerre, mais c’était juste le mois de juin...
 
« Nous courons toujours après l’invisible, bien au-delà de la peinture, au-delà d’une barrière de feu, des voix, des corps, des images, et, malgré tout, c’est toujours devant le réel qu’on se retrouve »
 
Ça y est, je connectais avec mon rêve ; après des journées de cauchemars, il n’était pas malheureux

« Et le soleil qui s’amoncelle »
Tous les maîtres rêvent d’immortalité
 


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Cauchemar
À vélo
Sens dessus dessous
Au temps pour moi
Nous arrivons après qu’il est parti

Il y a un monde de tout-est-faux et c’est avec ce monde qu’il faut écrire, s’il faut écrire, mais personne ne prétend qu’il faille écrire…
Il fallait inventer que j’étais le centre du monde
Une toile de fond connue de tous devant laquelle la vie privée déroulait son spectacle (le spectacle captivant de ses aventures)
J’étais cette toile de fond
Oh, miracle ! la vie n’est que miracles
Absurdes miracles
Réfugiés, vous êtes réfugiés avec moi
et il n’y a pas de miracle
Le trésor de mon tourment ne permet
pas de vous confondre avec le monde

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