Tuesday, September 13, 2022

A vie


Yannick Dufour m’avait invité au concert d’Erwan Keravec (encore ce mardi soir, au 104, j’en parle pas, mais c’est bien) et m’avait invité aussi au pot de première. C’est donc comme cela que je retrouvais mon ami l’éclairagiste (et plasticien) Yves Godin avec qui je parlais un bon moment, particulièrement de Pascal Rambert. C’est vrai, Pascal Rambert est un cas remarquable, on peut s’y attarder un moment. Un mystère (pour moi). Il est beau, il est intelligent, il est riche et surtout il est parfaitement heureux, rien ne lui manque... et il écrit ! Figure absolument contraire à celle de l’artiste maudit dans laquelle (pour parler de moi, ce n’est pas un mystère) j'ai tendance à me complaire. L’écriture, vous savez ce que c’est ? Vous savez ce que c'est, Manque, de Sarah Kane, par exemple ? Il ne cesse pas d’écrire, il écrit infiniment et il écrit dans le bonheur. Il connaît le bonheur de vivre et le bonheur d’écrire. Stupéfiant. Moi, les auteurs que je connais, que je lis, « ils en chient », pour parler en bon français. La condition d'écrivain m'apparaît comme la pire qui soit. Pas lui. Il écrit dans la facilité. « L’écriture courante » (comme l’eau courante, j’imagine) que Marguerite Duras disait avoir recherchée toute sa vie et avoir atteinte, pensait-elle, peut-être, avec L’Amant, lui la pratique tous les jours sans se poser de questions. Virtuose, il sait ce qu’il veut : écrire — et il y parvient. Eau et gaz à tous les étages. « On peut aussi écrire dans le bonheur », avait d’ailleurs dit Marguerite Duras à Bernard Pivot, mais je sentais que ce bonheur était peut-être, sans doute, je dirais plutôt une gratitude. Marguerite souffrait d’une vie très chaotique, mais était aussi pleine de gratitude. Pascal Rambert vit heureux et écrit heureux et c’est un cas émerveillant (Yves et moi étions d’accord). Il s'en sort — qui s'en sort ? Au moins lui ! On peut penser qu’il écrit trop, mais qu’est-ce que ça veut dire, écrire trop ? Ce n’est pas comme prendre trop l’avion, manger trop de charcuterie… Non, écrire trop, c’est l’infini, c’est écrire à l’infini et ça ne pollue pas plus que d’écrire parcimonieusement et, même, dans son cas, ça ne détruit personne. Ni lui ni les gens avec qui il travaille. Je sais, parce qu’on me l’a dit, que les répétitions de ses spectacles se passent aussi sans violence, très peu de notes, que des encouragements. Pas besoin de tragédie. On peut aussi répéter dans le bonheur. Pour le tragique, il choisit des acteurs qui en ont le goût : Stanislas Nordey et Audrey Bonnet, par exemple. Pas besoin, comme Claude Régy le faisait par divination, d'amener les acteurs aux enfers, de leur faire peur. On pourrait dire qu’on écrit trop par rapport à des lecteurs qui n’arriveraient pas à suivre (puisqu’on lit de moins en moins), mais Pascal Rambert écrit pour la scène, ce qui fait que le lecteur est un spectateur, en fait, c'est-à-dire quelqu'un qui passe. J’ai lu (ou peut-être seulement feuilleté) un très beau recueil de poèmes écrits dans le TGV (Blaise Cendrars pas loin) : Avignon à vie


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S un


Oh, je pense que, non, je le ressens comme vrai. Tout le monde pense qu’il y a une vérité de l’affrontement, de plus en plus. En tout cas, en France. Il faut voir comme les gens — en tout cas, autour de moi —, prennent Macron comme tête de Turc (expression française : bouc émissaire). On leur dirait : C’est Louis XVI, il faut le guillotiner, ils ne verraient le problème… Il y a un imaginaire de l’affrontement qui resurgit très fort en ce moment. Les années 20-30 en Allemagne ? En France, c’est très clair. Le problème du gouvernement, actuellement, l’un des problèmes, c’est d'éviter le renversement (et l’avènement du fascisme qui s’en suivrait). Le parti d’extrême-droite gagne les élections (une arrivée massive au parlement) sans faire campagne, juste bénéficiant de l’air du temps. Moins ils en font, plus ils engrangent. Ils ont le vent en poupe. Mais, d’ici, on voit les USA aussi au bord de la guerre civile. Etc.

Dans mon travail, en tout cas, le dernier, celui du Carreau du Temple — mais tous les autres… —, l’enjeu est un espace de paix, de célébration de la paix désirable. « Holidays in Reality », comme dit le titre d’un poème de Wallace Stevens que j’aime citer * depuis que Claude Régy (étais-tu par ici ?) me l’avait fait connaître (quand il m’avait proposé de jouer dans : Three Travelers Watch a Sunrise).
Je dois te féliciter pour la qualité littéraire de ton deuxième paragraphe. En quelques mots, la description de l’enfer. Quelle horreur... Tu regardes ça (en tout cas comme tu m’en parles) avec une très grande profondeur — cette profondeur qu’on appelle aussi le « détachement ».
Leo et Karli ont l’air, Dieu soit loué, dans la paix du Christ — dont il y a toujours moins à dire. C’est touchant que Karli se convertisse au catholicisme, non ? Quelque chose continue… Chez moi non plus, il n’y a pas grand chose à dire. Je suis heureux. Certes je manque de travail. Certes je cherche encore le sens de ma vie (je ne le cherche pas du tout lorsque je travaille, c’est ça qui est ballot, mais je le cherche — faussement donc — dans ma vie !) J’ai passé un été extraordinaire dans les paysages extraordinaires du réchauffement climatique. Le soleil pour toujours ; où que tu sois, torse nu. Figure-toi, samedi dernier, sur la côte (vers Saint-Nazaire…), il faisait gris. C’était le premier jour gris depuis trois mois. D’une beauté incomparable, du coup. J’avais l’impression d’être ailleurs, à l’étranger, même étonné d’entendre parler français. Beau comme un poème de Wallace Stevens qui s'appellerait «  Transport to the Grey ». Des bises, mon fr, 

Yves-Noël

Ci-joint une photo de qui tu sais devant une toile de Nina Childress (une amie à elle)


* « Transport to Summer : ce titre assez étrange semble présenter la poésie comme une agence de voyages spécialisée dans les destinations paradisiaques. À y regarder de plus près, cela se complique : un des poèmes s'intitule « Vacances dans la Réalité », et Stevens déclarera que la belle saison promise par le titre de son livre était pour lui simplement le monde tel qu'il est. 
On en concluera que la vie réelle, selon Wallace Stevens, pourrait être quelque chose d'aussi délicieux qu'un séjour aux Baléares, à condition d'être transfigurée par la poésie.
Stevens prêtait à la poésie, en tant qu'activité de l'imagination, un pouvoir d'exaltation comparable à la foi religieuse ou aux passions collectives qui ravagèrent le globe entre 1939 et 1945, à l'époque même où il composait Transport to Summer. Les poèmes de ce livre déclinent cette idée sur un ton mystérieux et magistral. Le volume donne en supplément un long poème, poème central et lui aussi inédit en français : « Notes Toward a Supreme Fiction », où il ébauche la définition méthodique de cet art qui écrirait l'histoire humaine « en beau langage sans une goutte de sang » — Stevens regardait cette proposition comme le manifeste de son oeuvre. Le recueil s'achève sur une adresse au soldat américain de retour après guerre au pays, l'exhortant non à renoncer à tout combat, mais à engager désormais ses forces dans une lutte universelle et spirituelle : 
« Soldier, there is a war between the mind
And sky, between thought and day and night. It is
For that the poet is always in the sun » 

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