Wednesday, April 15, 2020

N ietzschéen


« Dans notre retraduction du Zarathoustra, Dorian Astor et moi allons renoncer à cette traduction de « surhomme » pour adopter « surhumain », afin d'éviter la confusion. La traduction anglaise est plus juste avec « overman » et non « superman ». Le surhumain, C'est l'esprit libre qui, sachant parfaitement qu'il n'y a pas de finalité dans la nature ni d'existence spéciale de l'espèce humaine, encore moins de destination de l'homme, est tout de même capable d'accepter de vivre. Le surhumain, c'est en quelque sorte le nietzschéen qui continue à dire oui à la vie toutes en sachant qu'elle n'a pas d'autres sens que cet acquiescement-là. Le surhumain,  c'est pour Nietzsche un philosophe ou un artiste, c'est-à-dire un créateur qui crée sans fonder ce qu'il produit sur autre chose que la jubilation, l'intensité psychique qui accompagne ce qu'il fait. »

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E puisés



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L e Cadeau de tonton Yvno


Mon cher Yves-Noël, 
Ce matin je n'arrivais pas à dormir, je me suis réveillée aux aurores, avant même que les oiseaux commencent à gueuler. Pendant un quart de secondes, j'ai pensé à l'excitation qui me tirait du lit au matin de Pâques quand j'étais petite et puis, finalement, non, rien de bien comparable. Juste une petite insomnie de plus au compteur. 
Ce mail dans ma boîte ce matin m'a fait l'effet des « cloches ». Je me suis précipitée dans la cuisine toute sombre, je suis restée dans le jour qui peinait à se lever, j'ai fait couler du café et j'ai lu, toute excitée, le cadeau de tonton Yvno. 
Dans ton dernier mail tu me parlais de ce rêve que tu avais fait. Tu me dirigeais, tu étais sévère, tu « gueulais à l’ancienne » (tu disais), et finalement je finissais par réussir à jouer ce passage difficile, quelque chose s'ouvrait, se déposait et ça décollait. Si tu savais quel ENAÛRME chèque je serais prête à signer, là, maintenant, tout de suite, avec tout l'argent que je n'ai pas, pour être sur un plateau et que tu me gueules dessus même « à l’ancienne » pourquoi pas... 
— Presque — tous les matins je cours. Je fais des tours de jardin en rond comme les détenus en promenade. J'en fait 10, 15, parfois 20. Jusqu'à l'anesthésie. C'est la seule chose que j'ai trouvé pour me décharger  — et puis j'ai la chance, contrairement à beaucoup, de pouvoir le faire alors j'en profite. Après mes tours de joggeuse folle, l'autre jour — début de semaine probablement — je m'étirais un peu, j'avais de la musique dans les oreilles quelque chose de français, une énième variété probablement, je crois me souvenir de « C'est extra » de Ferré — et là j'ai pensé au Théâtre. Je mets une majuscule en conscience parce que j'y ai pensé d'une manière assez inédite, comme je n'y avais jamais pensé avant, j'y ai pensé comme à un quelqu'un qui nous manque et j'ai fondu en larmes, là, comme une conne avec mon collant de connasse de joggeuse et ma sueur collée au front, je ravalais tout le sel de mon corps, sueur et larmes confondues. J'ai pleuré le théâtre comme j'ai déjà pleuré une grand-mère disparue ou un amour perdu, une femme qui nous a brisé le coeur mais depuis longtemps. C'était pas un chagrin tout frais c'était comme la réminiscence d'un amour très fort et disparu depuis des années, qui ressurgit d'un coup, qui saute à la gorge sans prévenir comme au détour du souvenir d'un parfum qu'on ne respire plus. C'était une immense tristesse mais douce, très tendre. 
Ça ne m'était encore jamais arrivé de pleurer le Théâtre de cette façon. J'ai souvent pleuré à cause de lui — je dis « lui » mais, pour moi, c'est plutôt « elle », c'est plutôt une femme que j'imagine quand je me représente le « Théâtre ». Bon, pas étonnant. On se refait pas... — j'ai souvent pleuré de rage de pas comprendre, pas « y arriver » et « y arriverai jamais », bref tous ces trucs sur lesquels on s'acharne et contre lesquels tu n'as pas cessé de nous prévenir pourtant. Je les regrette maintenant ces larmes-là, je les préférais aux autres larmes, les larmes de deuil apaisé de l'autre jour que j'ai trouvées infiniment plus alarmantes, au fond. 
C'est ta dernière phrase qui a fait remonté tout ça, ce matin : « Je prie pour vous (pour vous plus que pour moi) que le théâtre revienne un soir, un beau soir comme il était parti ». 
Ah non, la chanson après le jogging, celle des larmes, c'était celle-là (c'est pire et de circonstances…) 
Je t'embrasse fort, avec le coude.  
(Est-ce qu'un jour les gens vont s'étreindre à nouveau ? Ça, par exemple, en dehors de tout le reste, l'économie, l'écologie, l'emploi, tout le bordel, ça, ça m'inquiète aussi.) 
Prions pour nous, pauvres pécheurs... 
Je te souhaite une belle récolte aujourd'hui. 
Raphaëlle 
AH ! PAUVRE DE MOI, J'ALLAIS OUBLIÉ LE PLUS IMPORTANT, CE QUE JE VOULAIS T'ÉCRIRE DEPUIS UNE SEMAINE
En ce moment, on travaille avec Laurent sur Du côté de chez Swann donc je nage dans Proust et y'a quelque chose comme une semaine — je n'ai plus aucune notion du temps... deux jours, un mois, un an... — j'ai lu une phrase et c'était nous ! C'ÉTAIT NOUS ! c'était J'ai menti début de l'Acte II avec les cloches et la neige mollement déposée sur scène comme une grosse couette, un bon duvet tout doux mais c'était surtout SURTOUT — j'étais excitée comme une puce quand j'ai fait le lien, pas dur à faire tu vas voir... — tout ce « truc » quasi infaisable dont tu nous parlais: ne pas créer de nouvelles images, ne pas ajouter des couches et des couches les unes sur les autres MAIS : VIDER ! VIDER le plateau de sa substance pour ensuite le remplir d'une autre, comme DÉBARRASSER la table à chaque fois pour commencer un nouveau festin : 
« On gagnait le mail entre les arbres duquel apparaissait le clocher Saint-Hilaire. Et j'aurais voulu m'asseoir là et rester toute la journée à lire en écoutant les cloches; car il faisait si beau et si tranquille que, quand sonnait l'heure, on aurait dit non qu'elle rompait le calme du jour mais qu'elle le débarrassait de ce qu'il contenait (AH MON DIEU C'EST ÇA C'EST ÇA C'EST ÇA) et que le clocher avec l'exactitude indolente et soigneuse d'une personne qui n'a rien d'autre à faire, venait seulement - pour exprimer et laisser tomber quelques gouttes d'or que la chaleur y avait lentement et naturellement amassées - de presser, au moment voulu, la plénitude du silence. » 



Ah, oui, le théâtre, « elle », ça me plait bien, ça… (J’imagine très bien.)
Quelle chance vous avez de travailler sur Proust ! Je lis des livres très émouvants, mais jamais aucun n’arrive à sa hauteur, je trouve (je veux dire sa hauteur de « vie », être si énormément et comme un enfant dans l’écriture de cette « recherche »). Merci pour cette phrase sublime. Oui, qui peut nous servir si on pense à un théâtre idéal.e, rêvé.e. 
Oui, « vider » le plateau de l'accumulation pour qu’il s’emplisse de lui-même (vases communicants) de résonances d’autres images profondes, plus belles, plus inconscientes, invisibles, aussi de toutes celles (là aussi, inconscientes, profondes, invisibles, absentes), amenées par les spectateurs. C’est la recherche de Yannick Haenel, le « laisser être », cette rencontre, dit-il, avec le « néant » comme « accès à l’être », les « sombres bords », mais, nous, nous aurions dit : le réel  — le réel — plutôt que de fausses accumulations vulgaires — fabriqué d’effractions dans ces accumulations, de déchirement de voiles, de conscience du trompe-l’œil — et du trompe-l’œil dans le trompe-l’œil, rêve dans le rêve, etc. (j’ai vu deux fois Inception), «  feu calme qui jouerait derrière les apparences ». 
Très touché par ta réponse, Raphaëlle, et de te sentir si en forme (et si amoureuse du théâtre) ! C’est bien, Aline, pour pleurer le théâtre…
Tiens, je te donne deux phrases que je trouve dans le « Version Femina », le supplément du dimanche de « Presse Océan », le journal local, une interview de Sylvain Tesson. Novalis : « Le siège de l’âme est là où le monde intérieur touche le monde extérieur » et Héraclite : « Le nom de l’arc est la vie et son œuvre la mort ».
Et ça : j’ai regardé La Vérité, de Clouzot, parce que Brigitte Bardot y est extraordinaire (mais, alors, vraiment). Sortie : 1960. Et j’ai été très étonné que les acteurs parlent un français très compréhensible, presque le même que le nôtre avec quelques variantes (l’un des personnages dit : «  m’appuyer les courses »  pour « me taper les courses », etc.). Leur monde — aussi parce qu’il est fictif, stylisé, Clouzot fait référence, on dirait, à Balzac, à Daumier — est si incroyablement différent du nôtre que c’était comme si le film avait été doublé en français contemporain.
C’est beau, la phrase de Borges, « Rien n’est ancien sous le soleil », non ?
T’embrasse, 
YN

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Titre idéal pour un recueil de poèmes :
Chansons

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