Thursday, March 23, 2023

L a Meryl Streep de Neuchâtel


Yan me dit que vous avez très envie, chacun, qu’on travaille ensemble. Eh bien, allons-y ! Je sais bien qu’on peut changer, que ce désir peut, du tout au tout, changer sur la durée. Parions donc qu’on en soit au même point dans deux ans ! La même envie maintenue. Mais nous ne savons pas, ni vous ni moi, où nous en serons dans deux ans. Peut-être morts. Ou engagés dans une secte. Ou je ne sais quoi, juste pas envie ou moins envie de ça, de nous. Peut-être que Marine Le Pen sera au pouvoir. Dans ce cas-là, je serai plus présent (j’ai toujours dit que je m’exilerais si elle arrivait au pouvoir) (mais ce sera peut-être en Belgique à cause, hélas, du coût de la vie chez vous). Yan proposait que ce soit l’un des sujets de la pièce — ou le seul sujet : le temps —, cette durée de deux ans. Maintenant, il faut trouver de l’argent et ce ne sera pas une sinécure. Mais moins mon job (je suis nul à ça). 

Amitiés, 

Yves-Noël

Je n’oublie pas que je vous ai dit qu’on tenait un spectacle avec les trois chaises, mais, bon, depuis que je suis revenu en France, j’ai, hélas, repris contact avec la réalité et je me rends bien compte qu’on ne le jouera pas samedi (c’était ça qu’on s’était dit, je crois : fin de semaine ou semaine pro).

Des titres (on adore les titres) ont été proposés pendant ces deux jours. Mon préféré, ce soir : La petite ingrate. Mais il y a aussi : Trois femmes ; Auditions à Neuchâtel ; J’entends très mal avec la perruque ; Premièrement je pense à Molière ; Comédie française ; La Meryl Streep de Neuchâtel ; Les trois mousquetaires… Oui, j'aime aussi beaucoup les titres déjà utilisés (dans le domaine public) : Une saison en enfer ; Hamlet ; L’Invitation au voyage ; L'Amant ; etc.

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Cher Yves-Noël,
je ne sais pas encore exactement pourquoi tu m’es possiblement « cher », et peut-être le découvrirai-je plus tard.
Mais pas demain…
Je ne serai pas là demain,
ou si tu me lis demain,
je ne serai pas là aujourd’hui qui n’est plus demain.
Pourquoi ?
Parce que parce que parce que
Il y a des raisons qui peuvent ressembler à des excuses si on les étales.
Parce que je ne serai pas là demain.
Yan nous disait dans son mail qui nous préparait à cette rencontre qu’il fallait venir avec force de proposition et être disposé à montrer ses talents certains et extraordinaires.
J’ai un nouveau talent en ce moment, qui consiste à casser plusieurs assiettes d’affilée, parée d’une colère muette.
J’ai un désir naissant de briser des choses, d’avoir une pièce entière ou tout détruire.
Si j’étais venue aujourd’hui ou demain, c’est ce que j’aurais aimé faire. Venir avec une pile d’assiettes et les lancer. Si aujourd’hui je devais faire une proposition scénique je ferai ça, de la destruction. En restant stoïque peut-être. Ah, oui, j’imagine ça.
Une cage en verre, dans laquelle on voit une femme nue avec des très long cheveux qui allaite un bébé. Et au dehors une autre femme qui, ou la même, qui casse tout en faisant beaucoup de bruit.
Je me disais que les femmes en post-partum ont sans doute le profil idéal pour être tueur à gage.
On devrait y penser.
Envie de mort en donnant la vie.
Envie de détruire.
J’ai un nouveau talent en ce moment. Je produis de la nourriture. Je peux asperger des visages de mon lait. Si j’étais venue aujourd’hui ou demain, c’est ce que j’aurais aimé faire.
Appuyer sur mes seins et vous asperger de mon lait. Ou vous obliger à en boire. 
Un jour, je ferai du savons avec mes restes.
Source qui ne tarit pas, tant que.
Et si j’avais eu envie de partager des mots avec vous, j’aurais pris…
quoi ?
J’aurai pris 
Les liaisons dangereuses parce que j’adore la correspondance plus que tout
L’Art de la joie, et je n’arrive plus vraiment à dire pourquoi (un magnifique roman d’une Italienne)
Eugène Onéguine, parce que Pouchkine est incroyable, et parce qu’un jour je voudrais donner à entendre ce poème pendant des heures
Voilà ce qui me vient sans aller regarder ma bibliothèque.
J’aime écrire.
Je le fais maladroitement et assez spontanément je crois.
J’aimerais écrire.
Et je ne sais pas encore exactement quoi.
C’est étrange de dire ça.
J’aimerais te rencontrer.
Mais pas maintenant.
Alors voilà ce que je peux te donner là.
Et si tu veux quand même une fois, plus tard, boire un café ou trouver une autre manière de, alors, oui. Redis-moi quand tu reviens, plus tard (tu vois j’insiste sur le plus tard). Ou écris moi.
Bonne Suisse 
Camille



Elle est belle, ta lettre, dis-donc… Il a quel âge, le gamin responsable de sa misère ? 

C’est drôle, je n’avais pas compris qu’il y avait deux Mermet parmi les gens que Yan me proposait de rencontrer. Quand Clémence a dit, quelques minutes après toi, qu’elle ne venait pas, c’était comme si la même personne me souhaitait deux fois mon anniversaire…

Mon père et l’un de ses frères faisaient du ski de fond. Une fois, le journal local avait titré : LES FRERES GENOD MENAIENT LA COURSE DE BOUT EN BOUT (mon père dernier et mon parrain premier).

Ben, oui, on pourrait se rencontrer encore, la vie nous mène… J’aimerais tellement m’installer en Suisse, si tu savais. Je ne comprends rien à la France, j’en ai marre de la « Révolution française » permanente.
Ton histoire de lait me rappelle un extrait d’Emanuele Coccia (sans doute réécrit parce que je ne le retrouve pas) que je prononce dans la « conférence » sur la poésie, VERS LE SOIR, jouée à domicile chez ceux (de Suisse romande) qui la veulent. Je viens de la redonner quatre fois autour de Neuchâtel. 
L’amour, c’est se transformer en nourriture pour l’autre. Comme une mère se met à fabriquer du lait. Ou une plante un fruit. Nous les vivants, nous ne sommes pas des proies. Ou pas que. Nous sommes surtout, les uns pour les autres, des fruits. Et nous ne cessons de nous chercher — pourquoi ? — parce que le goût de l'autre nous donne de l’ivresse...
Si ça peut te calmer
T’embrasse, très chère, 
Yves-Noël
Il y avait un numéro de music-hall dans des temps reculés (je ne l’ai pas vu, mais quelqu’un que j’ai vu vivant en faisait le récit) : un type qui arrive et qui ne fait que ça, c’est son numéro : casser des assiettes. Et puis ensuite déblayer. Et numéro suivant. Un autre, je crois, étendait du linge. Peut-être le même. Ou peut-être je l’invente. C’est plus difficile, le linge...
C’est vrai que ce serait un bien beau spectacle si, au milieu, tu y venais pour casser des assiettes. On rêve avec Yan d’une forme complètement hétérogène. C’est presque impossible à réaliser. On commence dans un ton, et puis tout d’un coup, il y a un vrai conférencier qui vient et qui fait une conférence sur la mort (une bonne demi-heure), au ciné, c’est plus banal, peut-être. Et puis on retourne à la fiction, mais elle a vrillé, ou pas, etc. La vraie hétérogénéité, ce serait qu’un mouton vienne parler. Pas évident. Mais enfin, c’est ce qu’on veut, au théâtre, du facile et du pas évident. 
Et puis surtout, comme je suis rapide ou faible, j’ai déjà bâti le spectacle auquel Yan te proposait de participer. Je l’ai fait avec les trois filles qui étaient là dimanche (disons qu’on a le principe et qu’elles en ont fait une demi-heure). Ça pourrait s’appeler Trois femmes ou Une comédie française ou Auditions à Neuchâtel, etc. Alors, voilà, comme je ne peux pas penser plus loin que mon nez (et donc en imaginant que le spectacle se joue samedi), ce serait bien, comme pour les Trois Mousquetaires qu’il y en ait une quatrième, de femme, qui arrive à un moment, au milieu ou à la fin (pas besoin de répéter ou, disons, tu peux le répéter chez toi) et qui casse des assiettes. Ça fait longtemps, en fait depuis qu’on parle de théâtre engagé que j’ai envie d’en donner, moi aussi, ma version. Du théâtre revendicatif vocatif qui casse tout. 
J’ai trop envie de lire L’Art de la joie de Goliarda Sapienza (quel nom !) Les deux autres, j’aime déjà. Eugène Onéguine, tu devrais le faire, ça t’irait super !
Bonne France, 
Yves-Noël

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Merci Antonia ! 
En regardant le film, qui insiste sur le romantisme très sombre de Léopold Robert, je me suis souvenu d’une lecture de Musset, le chapitre 2 de La Confession d’un enfant du siècle que j’avais donnée d’abord un soir à Nantes puis vingt-cinq soirs (fins d’après-midi) au festival d’Avignon (off), j’allais de salons en salons, d’hôtels de luxe (La Mirande) en châteaux (de Montfrin), d’hôtels particuliers intra-muros en maisons bourgeoises. Il fallait que les lieux découverts, chaque jour différents, fassent le plus possible « décor », décalent autant que possible le festivalier en tongs dans une dimension jamais ouverte, comme un peu « derrière la façade », passer à l’arrière ; j’avais donc tapé dans le luxe ; je me souviens de logeurs éventuels qui m’avaient répondu très gentiment : « On aimerait bien le faire, mais on n’ose pas parce qu’on a des Picasso... ». C’était un hors-les-murs du théâtre de la Condition des soies qui m’avait pris dans sa programmation une année où je n’avais pas assez d’argent pour louer la salle. Puis ça avait été repris selon le même principe à Toulouse par le théâtre Garonne. On pourrait réactiver cette lecture dans les expositions (il faudrait y trouver le lieu idéal). Ainsi, on aurait un éclairage supplémentaire de l’œuvre de Léopold Robert, pas complètement direct, mais peut-être intéressant, sans que j’aie, moi, l’ambition d'écrire un nouveau spectacle (ce qui me demanderait trop de temps, le budget ne le permet pas). Bien entendu, j'étudierais encore tous les documents que vous pourriez me transmettre, parce que peut-être qu’il m’en viendrait une autre idée — mais je sais qu’il faut se décider très vite pour l’annonce dans la brochure —, mais, surtout, parce que ça me permettrait de bâtir les ponts entre ce texte célèbre de Musset — qui rend compte du malaise de cette fameuse génération perdue qu’on a appelée le « romantisme » — et la vie et l’œuvre de ce pauvre enfant, ce pauvre Léopold souffrant. Je ne sais pas ce que vous pouvez en penser, si ça peut être intéressant de rattacher Léopold Robert à cette génération française (lui : 1794, Musset : 1810, Nerval : 1808, Chateaubriand : 1768, Delacroix : 1763, Géricault : 1791…)
(Excusez la grossièreté des à-peu-près de ce mot, je ne maîtrise pas (encore) mon sujet…)
Yves-Noël
Mon adresse : 
Genod
8, rue Jacques Kablé
75018 Paris
Mais il faut que ce ne soit pas trop épais, que ça passe par la fente d’une boîte aux lettres, il n’y a rien de prévu pour recevoir les paquets (qui se perdent)…

 

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