Wednesday, January 18, 2017

L ’Art à l’état pur


« Constituer un territoire, pour moi, c’est presque la naissance de l’art. »

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N ote d'intention pour la Beauté contemporaine


La Beauté contemporaine, c’est une allégorie. C’est parti d’une intuition. Le 2 juillet 2016, je donnais une performance à l’école des Beaux-arts de Paris sur les bords de la Seine et il y avait une fête, le bal des Quat'z'Arts, les étudiants étaient déguisés et s’étaient promenés en cortège bruyant et bon enfant dans la ville du quartier ; c’était la fin de l’année, il faisait beau, la fête qui suivit fut extrêmement joyeuse, en plein air, et les étudiants étaient splendides. J’ai eu la sensation de quelque chose de nouveau dans cette génération, quelque chose que je ne comprenais pas, qui n’avait rien à voir avec le pessimisme ambiant, avec, vous savez, cette fin du monde, la disparition des oiseaux… Quelque chose qui ressemblait au contraire à l’apparition inimaginable de la « petite bande » de Balbec dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs… J’ai mis ensemble tous mes projets, cette saison, parce qu’ils vont ensemble. Proust — Proust Marcel — Petite Madeleine — a tout envahi, tout désiré, tout designé : quand on apprend la religion de Proust, on devient religieux pratiquant, on lit et relit sans fin la Bible de la Recherche. Titre général : La Spirale du temps perdu. Marie-Thérèse Allier a été enthousiaste quand je lui ai proposé ce spectacle : « Mais oui, à moi aussi, on a dit que les jeunes de vingt ans étaient géniaux ! Ils ne sont plus du tout patauds comme avant… » Donc, sans filet (sans filet pour les attraper), l’idée, c'est de leur laisser la place, à ces mouettes, le plus possible de place, qu’elles la prennent et nous avalent et nous sauvent, sautent par dessus nous comme le fait l’une des fillettes par-dessus un vieux monsieur terrifié assis sur un fauteuil en dessous de la digue à Balbec : qu’elles nous dédaignent absolument ! 

« La femme d'un vieux banquier, après avoir hésité pour son mari entre diverses expositions, l'avait assis, sur un pliant, face à la digue, abrité du vent et du soleil par le kiosque des musiciens. Le voyant bien installé, elle venait de le quitter pour aller lui acheter un journal qu'elle lui lirait et qui le distrairait, petites absences pendant lesquelles elle le laissait seul et qu'elle ne prolongeait jamais au delà de cinq minutes, ce qui lui semblait bien long, mais qu'elle renouvelait assez fréquemment pour que le vieil époux à qui elle prodiguait à la fois et dissimulait ses soins eût l'impression qu'il était encore en état de vivre comme tout le monde et n'avait nul besoin de protection. La tribune des musiciens formait au-dessus de lui un tremplin naturel et tentant sur lequel sans une hésitation l'aînée de la petite bande se mit à courir : elle sauta par-dessus le vieillard épouvanté, dont la casquette marine fut effleurée par les pieds agiles, au grand amusement des autres jeunes filles, surtout de deux yeux verts dans une figure poupine qui exprimèrent pour cet acte une admiration et une gaieté où je crus discerner un peu de timidité, d'une timidité honteuse et fanfaronne, qui n'existait pas chez les autres. « C'pauvre vieux y m'fait d'la peine, il a l'air à moitié crevé », dit l'une de ces filles d'une voix rogommeuse et avec un accent à demi ironique. Elles firent quelques pas encore, puis s'arrêtèrent un moment au milieu du chemin sans s'occuper d'arrêter la circulation des passants, en un conciliabule, un agrégat de forme irrégulière, compact, insolite et piaillant, comme des oiseaux qui s’assemblent au moment de s'envoler ; puis elles reprirent leur lente promenade le long de la digue, au-dessus de la mer. »

La Spirale du temps perdu :
La Recherche, au Théâtre des Bouffes du Nord, du 21 au 25 février 
La Beauté contemporaine, à la Ménagerie de verre, du 14 au 16 mars

Yves-Noël Genod

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