Sunday, July 19, 2015

N ote d'intention du 19 juillet (cinquième note)


Tous les jours je pense à vous écrire, j’ai beaucoup de choses à vous dire, je suis bloqué par ces histoires de logement, que j’imagine se débloquer tous les jours, mais le temps passe sans progrès. Alors, déjà dire que je remonte à Paris la semaine prochaine (enfin, demain dimanche et jusqu’au 25 où je redescendrai à Lyon (tant que ces histoires d’appartes ne sont pas réglées) et sans doute avec les enceintes de Rester vivant. A Paris, je reçois des amis new-yorkais avec qui je passerai du temps. Mais ce serait bien de se voir pour ceux qui le peuvent. Il y a quelques personnes à qui j’ai donné des tâches, des devoirs à faire à la maison qui sont très difficiles. Sauf si l’on s’en sent capable. Se charger de la matière d’une œuvre à soi tout seul et être capable de faire en sorte que cette matière se déploie dans tout le théâtre et au-delà. Et, ensuite, autre énorme difficulté, mais c’est celle que nous verrons ensemble, ne pas laisser cette matière se dissoudre si on lui mélange, ou plutôt si on la juxtapose avec une autre. Ça, c’est très difficile. On l’a vu à Paris avec Le Rouge et le noir et Andromaque, c’était beau les premières secondes, complètement hétérogène, deux langues très contrastées, mais, très vite, ça a cherché à « jouer ensemble », à se mélanger et à se croire ensemble et ce n’était plus rien, le « réel » avait disparu. Car ce sont des dispositifs qui cherchent à piéger un peu de réel, ce que nous faisons, à en piéger la « preuve ». Il y a une théorie d’astrophysique actuelle qui parle de « multivers ». Ce sont des bulles d’univers qui naissent à l’intérieur d’autres univers. Il y en aurait dans le nôtre et notre univers serait aussi une bulle issue d’un autre univers. Plus les univers s’éloignent et se refroidissent, plus cette possibilité existerait. Je vous passe les détails (qu’on peut trouver dans un livre de vulgarisation qu’on trouve en ce moment dans les kiosques de gare : L’univers à portée de mains, de Christophe Galfard). Les univers n’ont strictement rien à voir les uns les autres, les lois qui les régissent ne sont pas les mêmes, ils sont hétérogènes. Une autre image : j’avais lu il y a quelques années une interview à propos d’un quatuor à corde qui avait joué longtemps du classique et qui s’était ensuite tourné vers le contemporain — et celui qui parlait expliquait qu’ils avaient mis des années à apprendre à jouer ensemble (pour les œuvres classiques) et presque autant de temps à désapprendre, à apprendre à ne pas jouer ensemble quand ils avaient voulu interpréter des œuvres contemporaines qui sont bâties sur des écarts, des porte-à-faux, des décalages, des césures, des inexactitudes et des inadéquations (apparentes)… Voilà deux images pour vous dire à quel point l’ambition de ce travail de l’automne est énorme. Encore : expliquant son concept du « Tout Monde », moment du monde ou tout, chaque détail, sera relié avec tout, Edouard Glissant disait que ce n’était pas un monde sans frontières, bien au contraire, parce que, s’il n’y avait pas de frontières, il n’y aurait qu’une seule sensation (ce qu’avait voulu produire notre Stendhal et notre Racine). Hors, nous voulons, bien au contraire, la différence des sensations, nous voulons le chaud et le froid (et le tiède, etc.), nous voulons le noir et le blanc (et les couleurs, etc.), nous voulons toutes les sensations. Donc nous avons besoin des frontières. Ce que nous exigeons, c’est de pouvoir les passer, que les frontières ne soient pas fermées, mais qu’elles soient des seuils (des deuils aussi), pouvoir passer d’une sensation à l’autre comme nous rêvons déjà un jour (par des « trous de vers », nous les trouvères, les troubadours, littéralement « ceux qui trouvent ») de passer dans d’autres univers, de l’autre côté du miroir (notre gros univers unique nous ennuyant déjà). La puissance que vous devez convoquer, proposer est donc une puissance conservatrice, celle de conserver les frontières, de travailler comme en solo absolu, princes et princesses, que Tchekhov ne ressemble jamais à Shakespeare (bien qu’évidemment), ni Guyotat à Stendhal (bien qu’évidemment), etc. Que l’unité du théâtre pour laquelle nous nous sommes tant battus (et que nous aimons tant) soit battue en brèche, qu’elle s’ouvre au contraire sur des failles spatiotemporelles, que vous jouiez « contemporain », que ça déchire les oreilles. Ultra moderne solitude (et confiance en soi et dans le rapport intime que chacun s’est choisi avec l’œuvre et l’auteur de l’œuvre). Et nous jouerons — si vous prenez toute la place et si vous êtes prêts à la garder — des juxtapositions. Puisque des univers... Riches et pauvres ensemble sur le plateau, mais surtout ne pas faire croire que les riches ne sont pas riches et les pauvres pas pauvres, non, pas de monde idéal (ce qu’on peut reprocher à la gauche ou à la politique en général : faire croire à du vent). Nous voulons nous rapprocher du réel. Rien que ça. Pas d’ « arrangements ».

Progrès du dimanche : je repars tout à l’heure à Paris, mais je ne repars pas les mains vides. J’ai quand même trouvé cinq chambres dans le quartier de la Croix-Rousse (nous louerons une voiture pour les trajets). L’appartement est magnifique, construit par l’architecte qui l’occupe, un homme qui est déjà devenu un ami. Les chambres sont petites (ce sont des chambres d’enfants, libres depuis leurs départs), mais le séjour est inouï, les salles de bains, etc. Il y a un piano à queue accordé, ce qui ne devrait pas fâcher les chanteurs. Il y a un marché tous les jours, marché bio le samedi matin. La Croix-Rousse est un quartier très prisé, très bobo, de Lyon. Ce n’est pas du tout à côté du théâtre, mais, avec la voiture, ça ira. Cela ne concerne que cinq personnes (j’aurais voulu trouver pour la dizaine), mais c’est mieux que rien, avouez ! Les chambres seront dispos à partir du 25 août. Ce serait mieux de descendre draps et linge (pour ceux qui le peuvent), sinon le propriétaire prêtera. Une chambre de plus que le propriétaire garde pour le passage des enfants, pourra aussi dépanner quand elle est vide. Cela ne concerne que cinq personnes. Donc il faut continuer à chercher. Que ceux qui peuvent être loger se débrouillent et le disent. Que ceux sur Lyon qui peuvent dépanner se manifestent aussi (Eric, par exemple, peut loger deux personnes (je crois) du 1er au 21 septembre). En décembre, il ne devrait pas y avoir de problème car la troupe de Gwenaël est à Nanterre, libérant des appartements. Il faut aussi trouver un peu pour août, mais ça ne devrait pas non plus poser de problème, c’est une période facile. J’arriverai vers le 15 août, Philippe et Gildas (lumière) me rejoignent le 20. Nous travaillerons la lumière, ce qui m’enchante, nous commencerons par là. Vous, les interprètes, venez quand vous pouvez, dès que vous pouvez. Il y a les interprètes du premier spectacle, mais je voudrais que les autres qui le peuvent descendent aussi ne serait-ce qu’une ou deux journées pour essayer les pistes que nous envisageons par la suite. Parce qu’ensuite, ce sera très dense, nous n’aurons que cinq jours de répétitions plein pour chaque spectacle. C’est donc encore une fois le principe des ready-mades : il faut tout préparer en amont, costumes, matières, motivations, enthousiasmes. Comme nous avons un mois entre le 20 août et le premier spectacle, il est donc possible (et nécessaire) d’entrevoir les suites, de confirmer pistes et intuitions, dans quels sens travailler.
Vous dites quand vous passez en août. Après accord, vous prendrez vos billets de train le plus tôt possible pour les faire les moins chers possible (il y a un budget voyage, je vous raconte pas !) Je ne veux pas finir les distributions (sinon les spectacles sont faits d’avance). Je veux partir, par exemple, avec la moitié, cinq personnes, c’est déjà beaucoup, et compléter à partir de ce qui naît et de ce qui est suggéré par ce qui se montre. Tout à l’heure, avant que l’affaire se fasse à la Croix-Rousse, j’ai passé un long moment avec Gwenaël à imaginer un plan B : puisqu’il n’y avait pas d’apparte pour vous loger, faire des auditions pendant les quatre mois les après-midi de jeu, des répétitions avec les interprètes retenus en audition la semaine suivante (sans représentation) et les représentations avec de nouveaux des auditions l’après-midi pour la suite et ainsi de suite. Un mouvement réitéré sur trois semaines se chevauchant. Ce plan B a été très enthousiasmant. Je suis revenu ce soir au plan A avec joie à cause des cinq chambres qui se sont libérées et j’en suis bien content car j’ai tant envie de vous retrouver ! Mais je cherche à mélanger ces deux plans car le plan B a une force d’ouverture excitante sur le réel (« une espèce de mouvement continu de la rue au théâtre », dit Gwenaël Morin). On verra. Pour l’instant, Paris, une semaine, on se voit, on s’appelle. Et à la fin du mois de juillet, on devrait voir où l’on va plus précisément. Bises,

Yves-Noël

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