Tuesday, July 10, 2012

Jamais un coup de dé n’abolira le hasard



Marseille, faculté d’épuisement. C’est-à-dire, baignade dans la ville très minérale – je pensais aux larmes, à la lourdeur de l’eau, au remplissage lourd des larmes qui s’épuisent sur cette terre, la citation : « The tears of the world are a constant quality. For each one who begins to weep, somewhere else another stops. The same is true of the laugh. » Et puis il y avait eu l’aube au cœur de la ville sur les toits, les terrasses d’un appartement vide, délabré, ouvert sur plusieurs étages (quatre), avec des escaliers partout imaginés, dissimulés qui se terminaient encore en une série de terrasses superposées, un château, un pays, des saisons – et donc, l’after, c’était là… Et puis au retour à pied, Florent m’avait raconté qu’il n’avait pas été amoureux pendant sept ans à cause d’un amour qui l’occupait sans qu’il le sache et qui s’était fini à un moment très précis qui l’avait enfin laissé libre. C’était évident que c’était mon cas : je n’étais pas libre de l’amour de Pierre Courcelle comme il est dit à peu près dans India Song. Et ça me faisait chier, j’aurais bien voulu vivre encore un amour, mais je n’étais pas libre… Je n’aimais pas la dépendance, je n’aimais pas Dieu pour ça, la dépendance… Je ne croyais pas en Dieu ni à Pierre, je démentais et pourtant je n’étais pas libre de cet amour-là. Depuis quelques jours, je regardais même sur mon bureau un portrait de Pierre où je le reconnaissais bien. On voit qu’il est bien « agencé ». Ce n’est pas les traits, mais on voit comment la matière s’est agglomérée avec une bonne énergie, une bonne santé, une vitalité pour faire la tête de Pierre, on voit comment ça fonctionne… Ce portrait (je ne sais plus de qui, c’était à la soirée du prix Rive Gauche) est très différent de ses autoportraits qui sont plus figés, plus étranges, qui se regardent étonnés. Je ne sais pas si Pierre peut apercevoir ce que j’aperçois dans cette photo que je trouve très bonne. Mais la vérité n’est pas dans ce que Pierre aperçoit de lui-même, ça, non. Depuis quelque temps, on m’avait répété une phrase déprimante : « Il n’y a pas de hasard. » J’espérais bien que si : toute ma joie de vivre reposait là-dessus ! La croyance au hasard, plus fort que Dieu. C’était dans le fort de Pierre-Châtel qu’on me l’avait répétée et – en effet – plusieurs coïncidences étonnantes pouvaient faire croire à la prédestination. Mais la prédestination, vous pouvez dire non. Et j’avais dit non dans le fort-monastère, le château Pélléas et Mélisande plus Maeterlinck tu meurs, peuplé de paons blancs, fleuri de fleurs blanches, bâti d’une pierre blanche – art du camouflage – qui surplombe le Rhône. Trois jours après, j’avais recroisé, dans un routier, le chanteur encore en costume, mais, là non plus, je n’étais pas intervenu. J’avais évité la destinée. J’avais salué Laurence Mayor, mais j’aurais sans doute dû l’éviter car : « C’est comme si le ciel me tombait sur la tête ! » – et la phrase agressive : « Qu’est-ce que tu fais là ? » J’avais expliqué que j’étais là par hasard, mais visiblement elle non plus ne croyait pas au hasard et elle n’avait rien dit de sa présence. A Marseille aussi, on s’étonnait beaucoup de me retrouver à la fête de clôture du FID, le Festival International du Documentaire, mais n’étais-je pas partout ? Mais Pierre ne me laissait pas libre de son amour et, pour la première fois peut-être, j’en étais meurtri, le vert paradis, le bleu paradis, pouvons-nous échapper à l’eau, à la mer, même en fuyant ?

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