Friday, May 26, 2017

P orn



S éparation mystique


Qu’est-ce qu’il y a à voir à Paris en ce moment, mes lapins ? Moi, je peux vous parler de deux spectacles sublimes — et sexy — sublimes ou sexy — comment préférez-vous que je les définisse ? Choisissons sexy ! Si vous ne me dites pas qu’il y a autre chose, je ne verrai rien d’autre, je vois l’un et puis l’autre, tous les soirs, j’alterne. Le premier, c’est de Alain Platel, à Bobigny, MC93, et le deuxième c’est la reprise aux Bouffes d’un spectacle mythique, sans doute le plus beau (enfin… sexy !) de Valérie Dréville, le Médée-Matériau d’Heiner Müller, mis en scène par Anatoli Vassiliev. Attention, ce spectacle, ne pas y aller avec n’importe qui, quand même, ça détruit tout, sexy dans le genre volcan, il y faut la santé. (Valérie est d’une santé incomparable.) Je me souviens, la première fois que j’ai vu ce spectacle (plusieurs fois), c’était à Nanterre, il y a, je ne sais pas, au moins dix ans, il y a eu un débat et une femme a posé cette question : « Pardonnez ma naïveté, mais je voulais vous demander, je sais que c’est étrange, mais… vous jouez Médée ou vous êtes Médée ? » Evidemment l'actrice avait répondu en riant, miracle de la vie ordinaire (car il existe une séparation mystique entre la vision poétique et la vie quotidienne) : « Si j’étais Médée, je ne rentrerais pas chez moi le soir ! » Avec le spectacle de Alain Platel, on a le même effet : sur scène des demi-dieux, des géants, des Hercules et après le spectacle, dans le hall lumineux du théâtre : des enfants. « J’ai vingt-et-un an », avoue David Le Borgne (et ça doit être vrai). Deux spectacles d’art de la magie. La première fois que j’arrive à celui de Platel, je suis au rang W. Alors je descends toute l’immense salle et je trouve une place au rang B. Alors je distingue peu le spectacle mais je vois tout en gros plan : les visages — et, les corps, je n’en ai que des morceaux. Et, la danse, eh bien, je suis à l’intérieur comme en Virtual Reality, je peux choisir mon empathie : le bourreau ou la victime — et le spectacle change selon mon attirance ou mon instinct. Bref, je suis dans la boue de la mer, soleil couché caché ; une expérience si intense que je la renouvelle hier encore (rang C). La danse est d'une richesse inouïe. Les danseurs de Nicht Schlafen sont des fantômes (des esprits), ils habitent un corps de chair. Tant d’aventures invertébrées, tant d’animalité. Comme du porno. Dans le spectacle de Médée, une phrase me saisit : « Que ne suis-je restée l’animal que j’étais avant que l’homme ne fasse de moi sa femme ? » On entend aussi : « Je veux fendre l’humanité en deux, moi au milieu. » Après le spectacle, Valérie m'explique qu’elle a travaillé deux mois pour cette reprise (Nicht Schlafen : cinq mois) et que ça a été difficile parce qu’il fallait qu’elle se débarrasse du souvenir : « Le souvenir est trompeur parce qu’il porte sur le résultat, pas sur le chemin. » Ainsi, cette reprise, tout est extérieurement semblable à mon souvenir, mais le chemin (intérieur) n’a rien à voir. Oui, ces spectacles sont pour moi l’équivalent de la mer (filmée d’ailleurs tout le long du Médée-Matériau) : je ne vois pas comment c’est fait, je n’en vois pas les limites. 

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