Thursday, November 14, 2013

B ye-bye



Photos César Vayssié. Perle, Kate et Jeanne dans Un petit peu de Zelda
Vous pourrez retrouver Kate Moran ce soir et demain à la Maison de la Poésie, Paris, dans les salles de cinéma pour Les Rencontres d'après minuit (en ce moment) et, en janvier, au théâtre du Châtelet, Paris, dans Einstein On The Beach, de Bob Wilson

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Fabienne Arvers





Yves-Noël Genod, coup d’envoi magique aux Inaccoutumés

Un petit peu de Zelda, création d’Yves-Noël Genod, illumine l’ouverture du festival Les Inaccoutumés.



Pour fêter ses trente ans, la Ménagerie de verre a concocté une édition jubilatoire de son festival Les Inaccoutumés. Coup d’envoi magique avec Yves-Noël Genod et hommage à l’hôtesse des lieux signé Jérôme Bel pour « Les Inrockuptibles ».



La profondeur unique du garage de la Ménagerie de Verre, accentuée par l’alignement de quatre rangées de projecteurs posés au sol et prêts à distiller un flux de lumières pâles ou iridescentes, est inoubliablement magnifiée par les apparitions des figures réunies par Yves-Noël Genod dans Un petit peu de Zelda (Ajout au projet 1er avril).

Explication de titre : 1er avril sera la prochaine création aux Bouffes du Nord en 2014 de cet artiste rare qui défie toutes les définitions communes concernant le théâtre, et préfère tâtonner, digresser, fantasmer, s’entourer d’interprètes singuliers et splendides pour concevoir des spectacles à forte charge poétique, s’adressant aux sens bien plus qu’à la raison. Formellement informel : voilà peut-être ce qui le résume le mieux…



Remplacer Jérôme Bel

Initialement, il n’était pas programmé pour cette édition, mais à la demande de Marie-Thérèse Allier, directrice et hôtesse de ces lieux, il a remplacé au pied levé le spectacle annulé de Jérôme Bel : « Remplacer Jérôme Bel ! Je dois dire, moi qui suis snob, c’est presque rentrer dans le cercle très fermé de Madonna ! J’ai un contrat d’exclusivité avec les Bouffes du Nord, cette saison, mais les Bouffes acceptent parce que c’est Marie-Thérèse et à condition que ce soit une étape du projet 1er avril. »

Pragmatique et connaissant le garage de la Ménagerie où il a créé tant de pièces, Yves-Noël Genod ajoute : « Je suis connu pour travailler à la vitesse de la lumière. Mais enfin, là, la lumière, il vaudrait peut-être mieux travailler dans le noir – total – comme je l’ai déjà fait. » Et, de fait, c’est dans un noir total que démarre Un petit peu de Zelda, propice à l’écoute du poème de Baudelaire, Causerie, qu’il prononce avec délectation, les derniers vers distillant l’essence profonde des images qui vont suivre : « Ô Beauté, dur fléau des âmes, tu le veux ! / Avec tes yeux de feu, brillants comme des fêtes, / Calcine les lambeaux qu’ont épargné les bêtes ! »

La figure de Zelda, romancière, épouse et égérie de F. Scott Fitzgerald — qui disait d’elle : « C’est la première garçonne américaine » — , est endossée par Kate Moran avec une grâce et un mordant analogue à son entrée en scène vêtue d’un costume noir, veste ouverte sur buste nu, apostrophant le public dans sa langue natale, celle de Zelda, tandis que des bambins déguisés s’ébattent sur le plateau et disparaissent pour revenir bientôt, rythmant de leurs rires et de leurs bousculades, ce long poème vivant où nous plongent les interprètes dans leurs surgissements et leurs trajectoires, louvoyant avec les limites de l’espace, époustouflants de beauté et répondant aux doux noms de Frida Kahlo (Perle Palombe), Pessoa (Joao Costa Espinho)… Ou, moins célèbres mais tout aussi évocateurs : le chevalier (Louis Laurain), la danse (Stephen Thompson), le Russe (Boris Grzeszczak), la Rom (Diane Regneault), le Lépreux (May Maketa), les Poèmes (Yves-Noël Genod), de Baudelaire toujours…



Voix d’ange

Sans oublier les deux chanteurs à la voix d’ange, le contre-ténor Bertrand Dazin et la soprano Jeanne Monteilhet, et leur interprétation sublime du Stabat Mater de Pergolèse, suivie d’extraits de Bach, de Schumann et de Verdi. Un petit peu de Zelda, écrin sombre d’où jaillissent, telles des enluminures, un flot de sensations, est le rêve incarné sur une scène de ce que nous confie Yves-Noël Genod : « Je vois des splendeurs tous les jours quand je sors dans la rue, l’émerveillement. De cela, je ne porterai rien aux spectateurs, si peu. Comment ces gens splendides comme des dieux (surtout une journée de soleil, évidemment) pourraient-ils être déplacés sur une scène, ça me paraît invraisemblable… Et pourtant, c’est la splendeur. Et comme toute (vraie) splendeur, c’est rien. Comment ne pas tout perdre si ça devenait quelque chose ? Je voudrais que le spectacle de la Ménagerie de Verre soit aussi ouvert que cette pièce de Peter Handke, L’Heure où nous ne savions rien l’un de l’autre. Cette pièce merveilleuse comme la rue, la rue comme aujourd’hui, « lumière claire », dit-il. « Une place ouverte dans une lumière claire. » »

C’est à Jérôme Bel que l’on donne le dernier mot, présent malgré tout, pour rendre hommage à « Marie-Thérèse Allier, la folle Allier comme je l’appelle parfois. Marie-Thérèse est un mystère de l’espèce humaine. Je ne la comprends pas, car en fait le mot comprendre est inopérant : cette femme n’obéit pas à notre système relationnel basé sur la rationalité. Il m’a fallu de bien nombreuses années pour accepter sa désobéissance, son irréductibilité. Et c’est quand j’ai enfin compris cela que j’ai commencé à l’aimer, à l’aimer sans limites pour sa singularité inouïe, pour sa résistance à tout pouvoir qui pourrait l’asservir, pour son irrésistible liberté. Et sa fréquentation est devenue une joie sans pareille. Elle me fait rire comme personne, car tout chez elle est pure subversion. »



Un petit peu de Zelda (Ajout au projet 1er avril), création Yves-Noël Genod, jusqu’au 14 novembre, dans le cadre du festival Les Inaccoutumés (jusqu’au 7 décembre), à la Ménagerie de Verre, Paris. www.menagerie-de-verre.org tél. 01 43 38 33 44.


Par Fabienne Arvers

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Thibaudat


Jean-Pierre Thibaudat




Yves-Noël Genod, jeteur d’imprévus, ouvre le festival « Les inaccoutumés »

J-P Thibaudat



C’est le fruit du hasard, mais le festival « Les Inaccoutumés » à la Ménagerie de verre se devait de s’ouvrir par Un petit peu de Zelda, spectacle impromptu signé Yves-Noël Genod : tous les spectacles de YNG sont des impromptus.



Un jeteur d’imprévus

Les dictionnaires donnent huit synonymes au mot inaccoutumé : étrange, insolite, anormal, exceptionnel, inattendu, inhabituel, original, rare. Chacun de ces mots raconte un pan des spectacles d’YNG, star de la marge, notoirement connu de son petit public (qui est aussi celui de son blog) et notoirement méconnu du grand public.

Chacun de ses spectacles (je n’ai pas tout vu, loin de là) est comme une feuille, voire deux, d’un roman théâtral qui restera inachevé. L’inachèvement est constitutif des spectacles d’YNG, le fini son ennemi. Sur le chemin de chacun de ses impromptus, il jette de l’imprévu comme on jette du sel sur le feu pour le faire crépiter.

Dans Un petit peu de Zelda déboulent 2 enfants, plus tard un bébé, ou encore un homme simplement vêtu d’un haut de jogging qui saute comme un cabri en se tenant les couilles et le gland qu’il cachera au salut d’une perruque, de bout en bout un chien en peluche regarde comme nous ce qui se passe au cœur de cet espace étrange (inaccoutumé) qu’est la salle de la Ménagerie de verre.



Une ode à la sensualité d’un lieu

Un petit peu de Zelda est une ode à la sensualité que génère ce lieu insolite (inaccoutumé). Une salle (quelques gradins pas bien larges, 80 places environ) et, devant, une scène comme infinie, basse de plafond, plus profonde que large, pourvue d’une porte dérobée vers le bout du mur de droite. Le plafond lui-même n’est pas plat mais strié dans sa largeur de poutres en ciment. Le tout est peint en blanc.

La sensualité commence par la lumière. Tout spectacle commence quand on fait le noir mais, d’une part, les noirs de la Ménagerie de verre sont plus profonds qu’ailleurs (on est pleinement dedans), et, d’autre part, YNG les laisse vivre, s’installer, nous envelopper. Puis, invisible mais proche, comme un enfant écoute yeux fermés avant de s’endormir un conte que lui dit un adulte, YNG nous dit, doucement, un poème de Baudelaire. Causerie, un sonnet d’une insondable beauté :

« — Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme ; / Ce qu’elle cherche, amie, est un lieu saccagé / Par la griffe et la dent féroce de la femme. / Ne cherchez plus mon cœur ; les bêtes l’ont mangé. »

Cette entrée en matière tient lieu de fond au spectacle, un peu comme ces peintres qui peignent un fond avant de peindre leur toile. Genod et son éclairagiste complice Philippe Gladieux ont disposé sur le sol comme une forêt ordonnée de 24 projecteurs, un pour chaque heure du jour et de la nuit. Un jardin, un verger. Les corps évolueront là, éclairés par des nuages de lumière qui vont et viennent et où soudain le fût-brasero d’un projecteur brûle verticalement de son feu.



L’acteur promeneur, des spectateurs à la promenade

La sensualité se poursuit par l’irruption des corps dans ce paysage dont la lumière caresse la blancheur née de l’obscurité. Une grande Américaine (Kate Moran) pantalon noir, veste ouverte sur sa poitrine nue, hauts talons, fume une cigarette. Elle semble attendre quelque chose, quelqu’un. Souvent dans les impromptus d’YNG, une femme attend. L’être aimé ou disparu, la tristesse du soir, l’aube au terme d’une nuit ravinée ? On ne saura jamais. Plus tard un petit homme brun (João Costa Espinho) n’en finira pas de ne pas mettre son costume : pour sortir à une soirée ? aller à un enterrement ? On ne saura pas. Il n’y a rien de déterminé chez YNG, ses spectacles sont des promenades où les acteurs sont des promeneurs, où le spectateur est à la promenade. Un chien peut débouler entre vos jambes, on peut marcher dans une flaque d’eau, croiser des hommes beaux, suivre indéfiniment la nuque d’une femme.

La sensualité s’achève (non rien ne s’achève dans Un petit peu de Zelda) ou plutôt commence avec les voix. Aucun mot dit dans Un petit peu de Zelda hormis les poèmes de Baudelaire (YNG mugira aussi Les Phares). Mais des mots criés (en langue américaine par l’Américaine) et surtout d’autres chantés à la promenade par un contre-ténor (Bertrand Dazin) et une soprano (Jeanne Monteilhet). Sublime, envoutante, baudelairienne Jeanne Monteilhet qui irradie la soirée.



A chacun son récit

Que raconte Un petit peu de Zelda ? Rien. C’est-à-dire que chacun y puise un récit, le sien. Quelqu’un m’a raconté :

Cela se passe dans le jardin d’une maison de fous où un couple au bord de la rupture que forment un contre-ténor et une soprano sont venus donner un concert. Il y a là une actrice qui se prend pour Zelda, la femme de Joyce, et qui lui a emprunté ses yeux, ses cigarettes, une autre qui se prend pour Frida Khalo et lui a emprunté une jupe et un ananas, un troisième au nom portugais qui s’habille comme Fernando Pessoa, un acteur qui aime tellement le noir qu’il ne veut plus dire ses textes que toutes lumières éteintes.

Une autre personne m’a raconté tout autre chose :

En entrant dans la Ménagerie de verre, m’a-t-elle confié, j’ai vu sur une étagère un livre qui me regardait : Quelqu’un que vous avez déjà vu, un livre de poèmes de John Ashbery (publié chez POL). Je l’ai ouvert et j’ai lu :

« Nous sommes soudain ce que les arbres essayent / De nous dire ce que nous sommes ; / Qu’il leur suffit d’être là / Pour signifier essayent quelque chose ; que bientôt / Nous pourrons toucher, rimer, expliquer. »

Alors je n’ai pas été étonnée quand j’ai vu tous ces projecteurs-arbres sur le plateau. Et à la fin de Un petit peu de Zelda je me suis souvenue d’un des derniers poèmes d’Ashbery où il est question de l’amour et de ses vieux yeux, oui « Les vieux yeux de l’amour » aurait pu être aussi le titre de cet impromptu inaccoutumé, m’a-t-elle dit, avant de filer dans la nuit.



INFOS PRATIQUES

Un petit peu de Zelda
spectacle conçu et mis en scène par Yves-Noël Genod

—  Le spectacle se donne à la Ménagerie à 20h30 jusqu »au 14nov. «  C »est un ajout au projet «  Ier avril  » qui sera présenté du 1er au 12 avril 2014 aux Théâtre des Bouffes du Nord  » précise YN Genod.

— Le festival Les Inaccoutumés se poursuit jusqu »au 7 décembre, programme détaillé sur le site de la Ménagerie de verre

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