Monday, February 20, 2017

Olivier Steiner 
« Lundi 20 février 2017. Corps de papier crépon rouge, tel une mante religieuse fatiguée mais toujours vorace, appétit et désir déployés, il pousse l'étroite et fragile porte à jardin, s'approche, fait quelques pas hésitants comme dans le raidillon de Combray. C'est ensuite le chemin des aubépines du côté de Tansonville et lui c'est le roi Marcel, Sa gracieuse mélancolie, c’est Yves-Noël Genod lisant Proust, Son excellence, Son altesse des souvenirs. Il va comme pour s'allonger sur le canapé de verte chlorophylle, son trône, l'incroyable machine du spectacle va pouvoir commencer. Au loin, derrière les murs calcinés de ce Théâtre aux allures de Temple romain, quelques pétarades, des départs de feu d'artifice, les applaudissements du spectacle de la semaine dernière, Depardieu / Barbara, ou bien la guerre, les bombardements et les drones, Verdun, Alep. C'est le lendemain d'une fête grandiose, c'est le petit matin dans le Palace, années 80 qu'elles soient de 18 cents ou de 1900, c'est un peu l'aube après la fin des temps, la salle du bal est vide, vidée, vous allez voir ce que vous allez voir, à savoir ce qui reste quand on retire tout, ça va durer des journées entières dans les arbres, une éternité, 2 heures 30 précisément. Il a enfin décidé de parler du cœur des choses, cœur de sa chose à lui depuis qu'il travaille, qu'il façonne des spectacles comme d'autres cousent des robes de haute couture, lui, la mante religieuse à la voix voilée de Mauriac, c’est Yves-Noël Genod qui s'attaque enfin à son sujet préféré, sa spécialité, le temps. Ce ne sera qu'un spectacle sur le temps, celui qu'il fait, qu'il fit, qu'il fera, le temps comme le seul dieu agissant, l'immense cathédrale, l'énorme organisme créateur dont on ne sait, après tout, s'il existe vraiment... Bientôt, demain, j'essaierai de vous parler du rose de cette fleur, couleur "naturellement complexe", et de ce qu'il en fut auprès du mauve de la mer à Balbec, aux siècles derniers. Demain une nouvelle proustinade, après-demain aussi, jusqu'à samedi la dernière. Car aujourd'hui ce soir, ce n'est que la générale, Venise est encore loin, Venise est une lacune dans la lagune, aujourd'hui ce soir tout est encore possible et tout pourra être sauvé, maman montera peut-être pour le baiser du soir, maman qui arrête le monde en disant bonne nuit, à moins que ce ne soit Robert pour la dernière piqûre. Longtemps de bonne heure, chère Céleste. Entendez long temps de bon heur, car il sera long, le temps, avec un peu de chance. »

Labels: