Sunday, October 25, 2020


Je voudrais vous remercier chaleureusement, cher « public invité », de votre participation. Une étape de trois semaines qui m’a donné des souvenirs positivement inoubliables. Je n’exagère pas. Des choses sublimes apparues encore aujourd'hui. Une Japonaise en kimono et c’est tout le Japon ; un agriculteur avec ses bottes, sa fourche et sa paille et c’est les travaux des champs, la terre nourricière. Pas seulement à cause du costume, mais, bien sûr, parce que chacun creuse un espace imaginaire, fabrique son environnement (sinon, ça n’aurait rien donné). Nous sommes faits de l’étoffe des songes. Une nouvelle étape s’ouvre maintenant, mystérieuse. Nous allons jouer ensemble une pièce qui n’existe pas, qui, chaque soir, n’aura pas été répétée. Dont le sujet — imaginons — est le vide (qui n’est pas vide), l’espace, le réel, le monde vivant, le non-humain dans lequel nous nous baignons (jamais deux fois dans le même fleuve) — et ce non-humain nous le sommes aussi (jamais deux fois le même). Vous êtes, sur ce plateau, des exemples des métamorphoses perpétuelles d’une même vie. « Nous sommes de la même nature que les montagnes », j’aime reprendre cette phrase du philosophe Emanuele Coccia spécialement en Suisse, au pays des montagnes sublimes. Il dit aussi : « Bactéries, virus, champignons, plantes, animaux : nous sommes toutes et tous une même vie. Chacune de ses vies est à son tour la métamorphose de la chair infinie du monde ». Après La Cerisaie, sa dernière pièce, Tchekhov a eu le projet d’écrire une pièce sur le vide, le blanc, qui se passerait au pôle Nord. C’est le silence qui répond. Chaque jour, à 18h (pour les représentations à 19h30), si vous le pouvez, je vous propose que l’on se retrouve et je vous dirai ce que j’envisage pour la soirée, les entrées, les durées, les retours de la veille… Je me donne la liberté avec vous de recomposer chaque jour un spectacle. Ce qu’il faut bien comprendre — mais je crois que vous le comprenez —, c’est qu’il faut pour chacun rejouer ce qui a été trouvé. Que chacun retrouve — avec cette même qualité de « la première fois », de « l’état de l’apparition » — ce qui a été trouvé ensemble et validé (et pas autre chose). Ce qui est apparu, ce sont des cadeaux du ciel ou du hasard. Nous avons recueilli ces trouvailles et les représentations devraient encore les célébrer, les accueillir. Les soirées seront certes très fragiles (les spectateurs qui débarquent seront mélangés à nous), mais pour que ces représentations aient une chance d’exister, il faut qu’elles soient tenues par vos présences solitaires, uniques et géniales, entièrement mystérieuses, inconnaissables en fait, baignant dans leur environnement, emplissant tout l’espace. Il y aura probablement des gens du public qui seront coincés, d’autres qui « se lanceront » à vos exemples et ce sera (très souvent) gênant. Vous resterez zen, insensibles à ces « expressions » seulement faibles parce qu'elle manqueront d'espace, emprisonnées. Tout est possible à condition que le silence réponde, et qu'on écoute le silence répondre, qu'on fasse de la place pour que le silence réponde. Ce spectacle spectral et transparent n’existera que si, vous, vous affirmez vos partitions, d’une manière très tranquille, occupés comme des dieux, des enfants, chacun à son affaire. Chacun porte une figure, une vision élémentaire. Pas d’éparpillement, mais au contraire une plénitude : rien ne manque. Le sujet de ces spectacles, c’est le temps et l’espace, le monde qui est. Pour que les soirées soient belles, il faut que ce temps et cet espace soient royaux, constamment alimentés, de temps et d’espace, creusés de temps et d’espace. Du temps, de l’espace, des temps, des espaces, des respirations, des royaumes, chacun, comme je vous l’ai déjà beaucoup dit, a le devoir — pas seulement le droit —, le devoir d’occuper tout l’espace entre ces quatre murs et au-delà de ces murs et de ce plafond, l’agrandir encore. C’est cet espace qui nous est commun. Aux spectateurs et à nous, aux chiens, aux enfants, aux plantes. C’est cet espace — « la chair infinie du monde », dit Emanuele Coccia — qui fait que nous ressentons les choses en simultanéité. Pas d’isolement, pas de bulle, tout l’espace jusqu’à ces quatre murs et ce plancher et ce plafond, mais aussi au-delà des murs, de ce plafond, les faire disparaître, agrandir, agrandir, comme le font les lumières, vous en avez le pouvoir. C’est le pouvoir du cœur. Comme le dit une chanson italienne : « Quand tu es près de moi, cette pièce n’a plus de parois, mais des arbres, oui, des arbres infinis et quand tu es tout près de moi, c’est comme si ce plafond-là n’existait plus et je vois le ciel penché sur nous… ». Si vous occupez tout l’espace, vous vous apercevrez que les autres deviennent des invités dans votre propre espace. Et c’est cela la grande beauté. Cette communauté qui émerge, ce troupeau, les instincts d’une communauté. Venez avec des imaginaires solaires, d’été, de plage, de bonheur, d’amour, de plénitude, d’amitié, de splendeur de la vie et développez-les… Soyez heureux. La joie est plus profonde que la peine… 


Amitié, 


Yves-Noël Genod


S’il y a des choses encore à répéter je serai au théâtre à 16h30 tous les jours des représentations de 19h30, à 18h samedi et à 16h dimanche 


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